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Nos coups à la porte n’obtinrent aucune réponse. En tournant la poignée, je remarquai : « Tu n’as pas entendu ? Quelqu’un nous a dit d’entrer !

— Mais… Je n’ai rien entendu. » Je fronçai les sourcils. Il corrigea : « Si, je crois bien avoir entendu quelqu’un, tout compte fait… Oui… Il nous demande bien d’entrer. »

La porte n’était pas verrouillée. Les espaces s’ouvrirent devant nous en lignes fuyantes lorsque nous pénétrâmes et contournâmes une piscine chauffée, abritée sous une véranda.

Ce fut dans la salle de sports que nous découvrîmes le corps sans vie d’Alfredo Manchini. Une barre olympique de développé-couché chargée à son maximum lui écrasait le larynx et sa langue, bleu lavande, pendait. Ses mains avaient gardé une position crispée, comme si, dans un ultime effort, il avait cherché à basculer la barre sur le côté pour se dégager de l’étreinte métallique.

« Je crois que nous arrivons trop tard », crut bon de préciser Crombez.

« Tu aurais pu faire voyant, toi, tu sais ? » Sous une flambée de colère, j’arrachai un haltère de son support chromé et le claquai sur les dalles de mousse avec violence. « Fais chier ! Bordel de merde !!! Préviens Leclerc, appelle Van de Veld ainsi que le lieutenant de la police scientifique ! Je vais contacter le juge d’instruction pour réclamer l’autopsie du corps !

— Du calme, commissaire ! Tout laisse à penser qu’il s’agit d’un accident, non ? Il était en survêtement et baskets, il a peut-être eu un malaise. Vous savez quoi ? J’ai fait pas loin de quatre années de muscula tion. Et je ne vous raconte pas combien de fois je suis resté coincé comme ça, avec la barre sur la poitrine. »

Je m’approchai du corps refroidi. « Il n’aurait pas eu le moyen de basculer la barre sur le côté ?

— Ça dépend. On est souvent en tension maxima lorsqu’on pousse et il arrive parfois que les muscles lâchent, lors du tout dernier mouvement. C’est pour cela qu’il vaut mieux être deux. Mais seul, si la barre reste bloquée sur la poitrine, on tente de la faire rouler jusqu’en haut des pectoraux pour pouvoir la basculer plus facilement… Je suis persuadé qu’il a essayé de le faire ; regardez, les fibres de son tee-shirt sont tirées, voire arrachées sur les pecs. Seulement, le poids était trop important pour qu’il y arrive en solo. Il est alors mort étouffé, la poitrine écrasée… Puis la barre a roulé sur son larynx lorsqu’il ne l’a plus retenue… »

Je comptai la charge totale. « Il y a quand même cent huit kilos de poids.

— Avec la barre, ça fait cent vingt-huit. Mais vu son gabarit, ça ne m’étonne pas trop. J’avais un maxi à cent quinze kilos.

— Appelle quand même. On ne peut pas laisser ça sur le compte du hasard. »

Alors que Crombez contactait le légiste, je jetai un œil aux autres appareils, la presse à cuisses, les deux vélos, les sets d’haltères rangés par ordre de poids croissant. Rien, apparemment, n’avait été dérangé. Pas un seul disque de chrome qui traînât sur le sol, pas une seule barre déplacée, sauf celle du développé-couché.

« Le portable de Leclerc est sur messagerie » râla Crombez en haussant les épaules. « Je lui ai laissé un bref message lui signalant de vous rappeler. De ce fait, j’ai prévenu le commissaire général Lallain. Il va nous envoyer une équipe…

— Très bien… Dis-moi, lors d’une séance normale de musculation, tu emportes toujours une bouteille d’eau, non ?

— Bien sûr. C’est essentiel ! Pour éliminer l’acide qui s’accumule dans le muscle pendant l’effort. Sans eau, impossible de s’entraîner. Surtout en muscu…

— Alors, explique-moi pourquoi Manchini n’avait pas de bouteille d’eau ! »

Crombez eut des yeux en bille de verre. « Exact ! Troublant, en effet…

— D’autant plus troublant selon le témoignage de sa voisine de chambre ; elle l’a entendu cette nuit revenir vers 23 h 00, puis partir aux alentours de 3 h 00. Je ne suis pas légiste, mais j’ai vu suffisamment de cadavres pour t’affirmer que celui-là n’est pas frais de ce matin.

— Il aurait été tué dans la nuit ?

— Il semblerait… Et une séance de musculation en pleine nuit me paraît assez improbable… Sans oublier ces données effacées de l’ordinateur. Quelqu’un avait peut-être intérêt à ce que Manchini disparaisse… »

Nous attendîmes dans le salon le temps que la police scientifique fît son ouvrage de prélèvements. L’excellent Dead Alive, treillis couleur pain brûlé et pull camionneur à fermeture lui remontant jusqu’au cou, exhibait un nez à rendre jaloux un nasique. Il grogna : « Je m’occupe de celui-là, puis je pose malade. J’en ai plus que marre de trimballer des rhumes la moitié de l’année sans avoir le temps de me soigner. Vous avez vu mon pif ? On dirait un lampion.

— C’est gentil de faire ça pour nous, docteur… »

Une fois le travail de la scientifique effectué, nous retournâmes auprès de feu Mancini. Van de Veld examina la chevelure brune du cadavre, puis les différentes parties de son corps avant de revenir sur la poitrine.

Il enclencha son dictaphone. « Aucune plaie ni lésion apparentes sur la tête, les membres ni le dos. Présence d’écoulements sanguins minimes au niveau des narines, inégalité du diamètre des pupilles, présence d’excoriations sur les pectoraux droit et gauche certainement dues au frottement de la barre métallique. »

Il coupa l’enregistrement. « Vous pouvez ôter la barre ? » Nous nous exécutâmes. Cette satanée ferraille me parut plus lourde que la femme-baleine du Piccadilly Circus.

Dead Alive pressa à nouveau le bouton marche. « Le larynx a été broyé par la barre, ce qui a causé une mort quasi immédiate par asphyxie. » Il retourna le corps. « Au vu des lividités cadavériques ainsi que de la rigidité du corps bien en place, il ne semble pas que le corps ait été déplacé après la mort. Le thermomètre rectal indique… 25 °C. La pièce est chauffée à 18 °C, donc, en supposant une baisse d’un degré par heure depuis le dernier souffle, cela nous donne une mort qui remonterait aux alentours des… une heure ou deux heures du matin grand maximum… »

Il coupa une nouvelle fois son enregistrement. « Drôle de moment pour lever de la fonte…

— Deux heures ? Vous êtes sûr ? »

Son regard s’obscurcit. « Ai-je déjà avancé des propos sans être certain ?

— Quelque chose de concret pourrait-il différencier l’accident du meurtre ?

— Il n’y a pas de traces de coups ou de contusions autres que celles causées par la barre, rien d’évident, quoi. Par contre, l’autopsie nous révélera la présence ou non d’acide lactique dans les muscles, ce qui nous donnera une indication sur l’intensité de son entraînement. Dites, c’est qui ce type ?

— L’un des neveux de Torpinelli.

— Le roi du sexe ? Wouah !

— Sonnez-moi dès que vous aurez du nouveau… Tu me suis Crombez ? Allons jeter un œil dans l’Audi… »

Mon lieutenant me questionna dans le hall d’entrée. « Si Manchini est mort entre une heure et deux heures du matin, comment aurait-il pu sortir ou entrer chez lui à trois heures, comme l’affirme sa voisine ?

— Difficile pour un mort, en effet ! Seule possibilité, quelqu’un d’autre est venu à sa place effacer les données de son disque dur avant de mettre les voiles. Ce que contient cette saloperie de boîte de métal est peut-être la réponse à toutes nos questions… »

Les loquets de la voiture sportive étaient abaissés. Courbé au niveau des vitres, je demandai à Crombez : « Manchini portait juste un tee-shirt dans la salle de musculation. Il devait bien avoir une veste ou un blouson, non ? Retourne à l’intérieur et essaie de me le retrouver… »