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Je le vis peiner avec ses béquilles dans les gravillons. « Non, reste plutôt ici. J’y vais. »

Je requis deux inspecteurs pour m’aider ; l’un d’eux finit par me présenter une veste de cuir. « Je l’ai prise sur le lit de l’une des chambres à l’étage.

— Continuez de fouiller. Si vous mettez la main sur un téléphone portable, apportez-le-moi ! »

Tout en palpant le vêtement, je retournai auprès de Crombez. Les poches de la veste ne révélèrent qu’un jeu de clés ainsi que des papiers d’identité. Ni téléphone portable, ni organiseur électronique, ni portefeuille. Juste les clés et les papiers.

Dans la boîte à gants, s’entassaient pêle-mêle des CD, deux paquets de cigarettes et une paire de gants en cuir. Le cendrier débordait de mégots. Crombez alluma l’autoradio et le caisson de basses incrusté dans la plage arrière faillit pulvériser les vitres du véhicule.

« Éteins ça, bordel ! » hurlai-je, les mains plaquées sur les oreilles.

Le tremblement de terre cessa.

Je constatai : « Aucune trace de portable, ni ici, ni dans la villa, ni dans la chambre de sa résidence.

— Il n’en possédait peut-être pas ?

— Il n’y avait pas de ligne fixe à la résidence Saint-Michel. Manchini est parti précipitamment de chez lui hier soir, pour une raison X ou Y. À supposer qu’il dormait, puisque le lit était défait, qu’est-ce qui aurait pu le contraindre à sortir brusquement à onze heures du soir ?

— Un coup de fil ?

— Exactement. Je pense que celui qui a visité la chambre vers trois heures du matin, a aussi fait disparaître ce fameux portable… Nous allons être rapidement fixés. »

Une nouvelle fois, je mis à contribution cette bonne pâte de Rémi Foulon.

« Après ça, tu pourras me faire livrer une caisse de bouteilles de Champagne ! Du Dom Perignon et rien d’autre ! Allez… Donne-moi les coordonnées de ton type et rappelle dans une demi-heure… Mais tu sais que tu pourrais me mettre dans l’embarras ? Chaque accès au fichier est tracé.

— Oui, mais c’est bien toi qui contrôles ces traces, non ?

— Je vois qu’on ne te la fait pas… » Je le sonnai au bout de vingt minutes.

« Je t’avais dit une demi-heure ! » grogna-t-il. « Ça va… Je l’ai… Son numéro de portable est 06 14 12 20 15. Il a en effet reçu un appel à 22 h 50, provenant d’une cabine publique, au Plessis-Robinson. Je te faxe l’historique de ses appels à ton bureau, mais sache déjà qu’il a coulé deux bonnes semaines cet été au Touquet, dans le nord de la France.

— Je sais où ça se situe, merci. Comment tu as récupéré l’info ?

— Le fichier nous donne les numéros appelés et appelants, mais aussi, dans le cas particulier des cellulaires, le lieu de l’appelant.

— Grand merci ! D’une incroyable efficacité, comme d’habitude ! »

Dans la minute, j’envoyai un technicien de la police scientifique relever les empreintes et les éventuels résidus de salive sur le combiné téléphonique originaire de l’appel. Avec un peu de chance, personne n’aurait utilisé la cabine entre-temps…

Le Touquet… La tanière de Torpinelli Junior, le point chaud de son commerce sulfureux. Quelqu’un avait eu peur de Manchini, alors on l’avait écarté du circuit, presque proprement. Quel genre d’appel avait pu contraindre le jeune homme à sortir en pleine nuit pour se rendre précipitamment à la villa de ses parents ? Quelle raison puissante avait poussé au crime et, surtout, quel rapport avec l’Homme sans visage ? J’avais la sombre certitude que les affaires fusionnaient, sans en avoir les preuves ni les explications. D’un côté, des meurtres sauvages, abominables ; de l’autre, un assassinat camouflé en accident. Un terrible secret se dissimulait derrière cette toile opaque et je n’avais pas encore déniché le moyen d’en percer la trame…

Le coup fil qui me délivra, provint de l’un des ingénieurs du SEFTI, Alain Bloomberg. « Commissaire ! Venez vite ! On a eu de la chance, l’appareil de reconstitution de disque dur a réussi à capturer l’adresse de boot du système d’exploitation !

— Parlez français !

— La porte d’entrée aux fichiers, si vous voulez ! Certaines données sont définitivement corrompues, mais… Nous avons récupéré le plus intéressant… Sainte Marie… Vous n’allez pas en croire vos yeux… »

* *

*

Le disque dur était relié à un PC par une nappe de fils grise. L’ingénieur Bloomberg avait branché un rétroprojecteur. « Voilà le topo, commissaire. Nous avons mis la main sur deux fichiers vidéo compressés en technologie MPEG. Un format qui réduit considérablement leur taille, afin de les stocker plus facilement ou de les faire circuler plus rapidement via Internet.

— Et que montrent ces fichiers ?

— Regardez… »

Il appuya sur la combinaison ALT + F8 de son clavier et un logiciel de lecture vidéo apparut sur l’écran. Puis il enclencha le bouton marche.

La silhouette charnue de Manchini se découpait dans le champ de l’objectif. La caméra tenait probablement fixée sur un trépied, car filmant en hauteur sans aucun tremblement. Derrière, une femme inconsciente sur un lit. Son visage, tourné vers la caméra, me permit d’identifier sur-le-champ Julie Violaine, l’enseignante. L’apprenti acteur s’approcha d’elle, sortit d’un sac au pied du lit, des liens, un bâillon, des pinces crocodile ainsi qu’un bandeau pour les yeux. Et il entama son méticuleux ouvrage de cordes…

L’ingénieur diffusa la majeure partie du film en accéléré, mais, d’après l’indication temporelle au bas du logiciel, la scène de ligotage avait duré une bonne heure. La suivante, pendant laquelle il s’était filmé en train de la torturer et de se masturber, s’étalait sur une durée de temps équivalente. Bloomberg appuya sur stop. « Même chose sur la deuxième vidéo, sauf qu’il a coupé les scènes où on le voit à l’écran, rendant ainsi le film totalement anonyme. Ce Manchini était un sacré pervers ! »

Des papillons noirs volaient dans ma tête. À quoi cette foire à la décadence pouvait-elle bien rimer ? Une image me revint à l’esprit. Celle du DVD chez Fripette. Cette jaquette de Viol pour quatre où une fille, d’après le résumé de l’histoire, se faisait violer dans des conditions réelles. Une œuvre signée Torpinelli… Je demandai à l’ingénieur : « Vous pensez que ce genre de vidéos circule sur Internet ? Des types en train de violer des femmes pour de vrai, ou, comme dans le cas de Manchini, une agression grandeur nature ?

— Ma foi, nous sommes déjà tombés sur ces films et nous les stockons sur CD ROM, conservés dans nos armoires, avec des CD de MP3 piratés, des adresses de sites illégaux et des fichiers dangereux qui polluent Internet. Vous connaissez les snuff movies ?

— J’en ai déjà entendu parler… des vidéos de meurtres filmés ?

— En effet. Ces dernières années, des cassettes ont été retrouvées par le FBI, dans les milieux glauques comme des marchés sados nocturnes, où les enregistrements pirates circulent de main en main. Le phénomène s’est propagé aussi en Afrique et dans une bonne partie des pays occidentaux… On découvre sur ces vidéos des hommes masqués en train de violer puis tuer des femmes, à coups de couteau… Les scènes de snuff restent extrêmement courtes, concentrées dans quelques minutes de visionnage uniquement. On pense que ce sont des comédiens qui jouent et, même si les scènes de violence sont bien réelles, le meurtre, lui, ne l’est pas. Avec le développement de la technologie, le flux vidéo a été réorienté sur Internet. Jusqu’à présent, la véracité de ces images a toujours pu être démentie, même si les techniques se perfectionnent et rendent les analyses délicates. Concernant les viols, idem… Des sites pirates proposent ce genre de fantasmes, mais pas à n’importe quel prix… Des gens paient des fortunes pour mater ces saloperies.