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— Je ne suis pas venu ici pour jouer !

— Alors Victor va sagement vous raccompagner vers la sortie… »

Je me dirigeai vers les étals. « Vous n’avez rien d’autre à faire pour occuper vos journées ? Vous vous ennuyez à ce point ?

— Lorsqu’on a tout, il faut bien être inventif pour tuer les journées… »

Je mimai du doigt une cicatrice sur ma joue. « Je suppose que ce n’est pas le beau gosse de l’entrée qui dira le contraire… »

Il rabattit sa visière, me tourna le dos et fendit l’air de coups d’épée précis. J’ôtai ma cravate, ma veste et endossai le galerus par l’épaule. La pièce de cuir tomba le long de mon flanc gauche jusqu’à ma hanche. J’enfilai aussi les jambières et les coudières avant de passer un casque orné d’une crête en forme de poisson. Je glissai mon bras dans un petit bouclier rond, léger et maniable, et, de l’autre main, je saisis un sabre courbe.

« Pamularius », me lança-t-il.

« Pardon ?

— Vous portez l’équipement d’un pamularius. Gladiateur de grande qualité, vif, agile, mais aux protections peu efficaces. Vous êtes prêt ? »

J’eus le temps d’apercevoir le sourire lustré de Crâne-d’Ébène qui barrait l’entrée comme un bon chien de garde avant de me positionner pour l’attaque. « Allons-y », fis-je d’un air faussement assuré.

Nous tournâmes un moment dans le sable à nous observer et, sous le casque, la sueur perlait déjà de mon front pour venir enfler mes sourcils. Soudain, Torpinelli abattit son épée et j’eus à peine le réflexe de parer avec mon bouclier qu’il m’envoya un coup de pied dans l’abdomen. Le choc me propulsa d’un bon mètre en arrière.

« Il faut être prudent ! » vomit-il au travers du casque.

« Je ferai attention la prochaine fois », renvoyai-je dans un souffle court.

Je me courbai un peu plus, me demandant si je n’aurais pas mieux fait de choisir un bouclier plus large, mais il allait m’écraser si je ne réagissais pas instantanément. J’envoyai un coup de sabre en bois qu’il esquiva avec aisance et il répliqua cette fois d’un mouvement de bouclier qui me percuta la cuisse. La pièce de cuir ne me protégea qu’illusoirement et mon visage se plissa de douleur.

« Ça fait mal ? » bava-t-il derrière un rire idiot.

Cette fois, j’y mis du cœur. Deux coups vifs de sabre le placèrent sur ses gardes, un troisième qui manqua de lui raboter l’arête du nez, le fit reculer et buter du pied contre le bord de la piste de sable. Il chuta vers l’arrière.

« Attention de ne pas poser les pieds n’importe où ! » envoyai-je.

« Pas mal pour un vieux… »

L’affront de la chute devant son acolyte dut l’exaspérer. Il se rua dans ma direction, l’épée brandie derrière la tête et je n’eus qu’à basculer sur le côté pour éviter son attaque. Il me tournait le dos, j’en profitai pour lui allonger un coup précis et sec au niveau de l’omoplate gauche. Il grimaça. Le double échec chassa sa confiance. Il me toucha encore une fois ou deux, mais je dominais à présent le combat et il capitula dix minutes plus tard, au moment où je lui abattis le sabre sur le dessus du casque, dans un coup sourd qui le sonna comme une cloche de Pâques.

Je ressentis une sensation de béatitude extrême après le combat, comme si, le temps d’un affrontement, toutes les pensées noires qui m’oppressaient depuis des mois avaient fui la terreur de mon propre corps. Le grog qui chasse le bon rhume…

Le gladiateur déchu claqua des doigts et Crâne-d’Ébène se volatilisa dans une autre pièce.

« Qu’est-ce que vous voulez ?

— La mort de votre cousin n’a pas l’air de vous perturber…

— Il faut savoir faire face à la mort. La mort, je la vois tous les jours rien qu’en regardant mon vieux père. Et ce n’est pas pour ça que je pleure. Répondez à ma question. Que voulez-vous ?

— Enquête de routine. Disons que j’essaie de comprendre pourquoi votre cousin a soudain eu l’envie de faire une séance de musculation à deux heures du matin. »

Il se dirigea vers le vestiaire et je lui emboîtai le pas. Ma chemise suintait de sueur et mes vêtements de rechange étaient à l’hôtel. Je me sentais… gras.

« Accompagnez-moi dans le sauna », proposa-t-il. « Je vais vous faire apporter un change… »

Quitte à me sacrifier, sacrifice rentable je jouai le jeu jusqu’au bout. Il me tendit une serviette en éponge que je nouai autour de ma taille après m’être déshabillé. « Vous êtes plutôt bien bâti », ironisa-t-il. « Pas une once de gras.

— Parce que vous pensez qu’à quarante-cinq ans on est foutu ?

— Disons qu’on traîne parfois un peu la patte… » Lorsque je pénétrai dans la petite pièce tapissée de lambris, une vapeur de marmite bouillante me sauta à la gorge, j’eus sur le coup l’impression d’avoir avalé un flambeau. Torpinelli versa une casserole d’eau sur des pierres volcaniques. Un nuage opaque se répandit autour de nous, accroissant sensiblement la température de quelques degrés supplémentaires. Des rouleaux de feu semblaient pénétrer mes poumons.

« J’ai appris que l’on avait autopsié mon cousin. À quoi jouez-vous ?

— Je vois que vous avez vos sources.

— J’ai des yeux partout. Métier oblige.

— La procédure d’autopsie est obligatoire dans le cadre d’une enquête criminelle. »

Ses yeux brillèrent au travers des écharpes grises de vapeur. « Quelle enquête criminelle ?

— Quelqu’un s’en est pris à votre cousin et a cherché à dissimuler l’acte en accident. »

Torpinelli versa cette fois juste un verre d’eau sur les pierres. Je ne distinguais même plus mes pieds, ni les murs qui nous entouraient. J’entendais seulement sa voix caverneuse : « Alfredo était un gars sans histoire. Pour quelle raison l’aurait-on assassiné ?

— J’aurais aimé avoir votre avis là-dessus.

— J’en sais fichtre rien. »

La chaleur devenait insupportable. J’ouvris la porte, me gorgeai de l’air des vestiaires et restai dans l’embrasure.

« Vous le voyiez souvent, votre cousin ?

— Je n’ai pas beaucoup le temps, vous savez, avec les affaires…

— Quand l’avez-vous rencontré pour la dernière fois ?

— Cet été. En août. Il est venu deux semaines ici.

— Quoi faire ?

— Ça vous regarde ? » Éclipse de silence, puis : « Je lui ai demandé d’installer un système de webcams dans le studio et dans nos donjons de tournage. Vous voulez l’adresse du site ? Vous pourriez vous rincer l’œil moyennant un abonnement au coût très raisonnable. Mais puisque vous m’avez battu, je vous ferai une fleur… »

J’ignorai son sourire de coin. « Pas trop mon style, merci. Vous embauchez beaucoup de hardeuses ?

— Une vingtaine.

— Vous les logez ?

— Dans l’aile ouest. C’est mieux d’avoir les filles à proximité pour… travailler…

— Je vois… La vue quotidienne de ces filles par caméra interposée et même en direct ne rendait-elle pas Alfredo… comment dire… dingue ? »

Le coulis de vapeur gagnait à présent la totalité du vestiaire. Torpinelli se rinça sous une douche froide et s’écrasa sur un banc en pin massif. « Vous connaissez les chauves-souris vampires, commissaire ? Ces animaux me fascinent. Elles pendent aux arbres tout le jour, au point que ceux qui les ont vues en parlent comme de noix ou de cosses géantes. Mais quand arrive la nuit, elles se transforment en de redoutables prédateurs. Capables de vous vider un bœuf comme ça » – il claqua des doigts – « des hommes, des femmes, ne se sont jamais réveillés suite à leur baiser mortel.