— Tu juges selon ta propre optique.
— Et puis ? C’est une femme, elle aussi. Une femelle, comme moi. Tout à l’heure, tu l’as bien vu. Je ne sais pas si, en six mois, tu as eu quelques occasions, mais je ne le crois pas. Tu étais à cran. Pourquoi ne le serait-elle pas ? Avec Sylvie qui ne doit plus la lâcher d’un pouce, elle ne peut même pas chercher ailleurs.
Il marcha sur elle, ne lui donna pas la gifle qu’elle semblait espérer.
— Je sais, je suis dégueulasse.
— Tu ne nous aimes pas. C’est tout.
— Céline, pas du tout. Ce genre qui se contente d’un seul bonhomme, je n’arrive pas à y croire. Sans Sylvie, elle t’aurait trompé comme n’importe quelle autre femme, et elle ne serait pas en train de compromettre tes plans.
Le téléphone l’interrompit, et Hervé décrocha l’écouteur, reconnut avec soulagement la voix de Daniel.
— L’appartement de Paulette Ramet ?
— Daniel ? Nous t’attendons. Tout va bien ? demanda la jeune femme, la voix brusquement plus tendre.
— J’arrive.
Elle raccrocha lentement.
— Tu aurais dû lui recommander de monter discrètement, gouailla Hervé.
Paulette s’éloigna de l’appareil, comme si elle voulait lui dissimuler son visage. Il alla s’allonger sur le divan.
— Tu veux te changer ? Je vais te montrer ta chambre, la salle de bains.
— Tout à l’heure, lorsque je saurai pourquoi il est en retard.
L’attente dura près d’une heure, et même la jeune femme commençait à se montrer nerveuse lorsque le carillon tinta. Quand Daniel fut dans le hall, Paulette le prit dans ses bras et l’embrassa tendrement. Lui, il évitait le regard de son père.
— Que s’est-il passé ?
— Des gendarmes surveillaient le départ des cars. J’ai dû attendre des heures à Manosque.
— Pour te faire repérer ! gronda Hervé. Dans une si petite ville, tu n’as pas dû passer inaperçu.
— Ils contrôlaient les gens.
— Tu te l’es imaginé.
— Non. Vers trois heures, j’ai pris une petite route pour Sainte-Tulle. Deux heures de marche. C’est là que j’ai pris le car.
Il paraissait épuisé et, gentiment, Paulette le guida jusqu’au divan de la grande pièce. Elle échangea un regard prolongé avec Hervé.
— Tu devais m’attendre jusqu’à sept heures, dit le garçon.
— On commençait à me regarder, moi aussi, dans le coin de la brasserie. J’ai préféré venir ici.
— Un whisky ? proposa Paulette… Avec beaucoup d’eau, je suppose.
— J’ai téléphoné de la poste.
— C’est plutôt loin du cours Mirabeau.
— Quand je ne t’ai pas vu, j’ai préféré filer.
— Tu vas aller prendre un bain, dit Paulette. Ton père va te laisser sa place. Tu seras beaucoup mieux ensuite.
Elle l’obligea à se lever, disparut avec lui un grand moment. Lorsqu’elle revint, Hervé fumait, un verre à la main. Il avait bu plusieurs whiskys, et l’alcool lui montait à la tête. Durant les derniers mois, il ne buvait que du vin, et en petite quantité.
— Pourquoi es-tu si dur avec lui ? C’est un pauvre gosse. Il a besoin d’être pris par la douceur.
— Tu t’en charges ?
Paulette ne soutint pas son regard, désigna les sacs des deux hommes.
— Vous avez des vêtements, là-dedans ? Ils doivent être dans un bel état ! Tu devrais me les donner. En les portant tout de suite à une laverie du coin, nous les aurons demain soir.
Elle s’en occupa, et, lorsque Daniel quitta la salle de bains dans un peignoir-éponge à fleurs, la jeune femme venait de sortir. Hervé trouva que son fils avait l’air efféminé dans cette tenue, et sa mauvaise humeur redoubla.
— C’est pas mal, ici, fit Daniel. Un bain chaud et un peu de confort, ça ne fait pas de mal.
Hervé pinça ses lèvres. Il n’aurait été que trop facile de lui répondre. Daniel s’approcha prudemment de la terrasse et resta ainsi, le dos tourné, jusqu’au retour de Paulette. Elle ramenait un filet de provisions.
— Les fringues, vous les aurez demain soir.
J’ai acheté le journal du soir à tout hasard, mais je n’ai rien vu.
Hervé le parcourut rapidement. On ne parlait pas encore d’eux. Ils venaient de se mettre à table lorsque le téléphone sonna.
— Ah ! c’est toi ?… Oui… Ah ! bon… Merci.
Elle revint s’asseoir, s’adressa à Hervé.
— C’était Jean, de l’A.F.P. Ton journaliste a parlé. Il paraît que ça grouille de flics, en Haute-Provence. On vous signale en des tas d’endroits.
Ils se couchèrent tôt. Hervé disposait d’une des chambres, Paulette de l’autre. Daniel occupait le divan du living. Au milieu de la nuit, Barron se leva, entrouvrit sa porte. Des chuchotements lui parvenaient de la grande pièce. Il referma, alla se recoucher, ne trouva pas le sommeil avant l’aube. Il put entendre de l’eau couler dans la salle de bains mitoyenne, puis Paulette rentrer dans sa propre chambre.
Le lendemain, un gros titre barrait en partie la première page du journal. Tandis que Paulette servait le café, Hervé lut l’article de Pesenti, buta sur une phrase qu’il dut parcourir plusieurs fois. Puis, il leva les yeux vers son fils.
CHAPITRE VII
En pleine nuit, un nom fulgura dans sa tête avec une telle puissance, que Céline se dressa sur son lit, le cœur battant, croyant que c’était un danger imminent qui l’avait réveillée. Le nom lui vint à la bouche, et elle le répéta à plusieurs reprises.
— Benoît… Monsieur Benoît.
À l’aide d’une torche électrique, elle fouilla dans le coffret métallique, dut parcourir plusieurs agendas avant de découvrir ce qu’elle cherchait. Hervé avait noté l’adresse et le numéro de téléphone. Le carnet ouvert sur ses genoux, elle resta plusieurs minutes immobile, complètement étourdie par le travail nocturne de son cerveau.
Lorsqu’elle se sentit mieux, elle s’habilla en silence, secoua doucement sa fille. Celle-ci ouvrit les yeux sous la lumière de la lampe, mais sans bouger.
— Nous partons maintenant. Il n’est que trois heures du matin, mais nous pourrons profiter de l’obscurité.
Sylvie obéit et, quelques minutes plus tard, la mère et la fille traversaient le camping vers la barrière nord. Le grillage n’était pas très élevé, et elles purent le franchir facilement. Un sentier conduisait à la route.
— La 404 n’est pas là, constata Sylvie à mi-voix.
Grâce à la lampe qui éclairait l’entrée du camp, on découvrait un bon tronçon de la route, et celle-ci était déserte.
— Ils ont fini par se fatiguer, dit Céline. Ils nous croient endormies pour la nuit. Tu pourras marcher jusqu’au port ?
— Ce n’est pas très loin.
Pourtant, le jour les surprit en route, et, sur le port, des pêcheurs matinaux, des plaisanciers prêts à larguer les amarres créaient un début d’animation.
— S’ils avaient découvert la Renault 8, dit soudain Sylvie, et qu’ils se contentent de la surveiller, elle ?
Céline venait d’y penser, et c’est avec prudence qu’elles s’en approchèrent. Une fois sur la route, Sylvie resta longuement à genoux sur son siège, le dos tourné au pare-brise, surveillant les voitures qui les suivaient.
— Je ne vois rien. Sur cette ligne droite, on voit à des kilomètres, et il n’y a pas un chat.
Elle s’installa plus confortablement.
— Nous serons à Draguignan vers sept heures.
— Qui allons-nous voir ?
— Un certain M. Benoît.