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— C’est entendu, madame Barron. Voulez-vous vous asseoir ou rester debout ?

Elle accepta de poser devant la table. Il prit deux photographies.

— Encore une question. Quels sont vos projets ?

— Trouver un endroit où nous puissions vivre normalement, ma fille et moi. Dites à vos amis que je ne sortirai pas tant qu’ils seront là, et qu’ils se trouvent dans une propriété privée.

Pesenti fit un signe discret en sortant. Ses confrères l’assaillirent. Durant une demi-heure, elle crut qu’ils ne partiraient jamais, puis les voitures démarrèrent les uns après les autres. Elle lissa son visage à deux mains, rencontra le regard de Sylvie.

— On reste ici ? C’est tranquille, très joli. Tu ne trouves pas qu’ils ont bien travaillé ?

— Oh ! si. Mais nous ne pouvons pas rester. C’est trop isolé.

— Personne ne viendrait nous embêter.

Elle ne répondit pas, enfouit son visage dans ses mains.

— Tu devrais t’allonger un moment sur le lit de cette chambre. Tu crois que je peux boire de cette eau ?

La petite fille lui désignait une bonbonne.

Certainement. Ma pauvre chérie, tu dois avoir faim et soif. Nous allons partir à la recherche d’un restaurant.

— Puisque tu ne veux pas rester ici, on peut quand même manger et partir ensuite.

— Bon, si tu veux.

— Laisse-moi faire. Il y a des tas de choses.

Céline ne parvenait pas à surmonter l’épuisement physique et moral qui, brusquement, s’était emparé d’elle.

— Pourquoi posait-il toutes ces questions ? Je ne comprends pas tout. Il n’avait pas l’air méchant.

— Non. C’est vrai.

— Il dit qu’il aime bien papa, et surtout ce qu’il faisait à la télé. Il veut peut-être nous aider.

Sa mère tressaillit et fit un effort pour se lever, s’approcher de la tache de lumière brûlante que le soleil poussait dans la maison. Malgré tout, cette vieille bâtisse conservait la fraîcheur des années d’abandon, et l’air proche des murs se saturait d’humidité.

— On ne peut compter sur personne, dit Céline, oubliant qu’elle s’adressait à une enfant. Pas plus sur ce Pesenti que sur les autres. Ne l’oublie pas.

— Personne ne me fera parler, répondit la petite. Tu mangeras du thon à l’huile, des betteraves rouges en boîte ? Il y a aussi des tas de plats cuisinés. Du saucisson et du jambon. On va laisser tout ça se perdre ?

Ce souci d’économie ménagère fit sourire Céline qui revint s’asseoir à la table.

— Tu es une bonne petite femme d’intérieur, tu sais.

Elles mangèrent rapidement, et Sylvie ne voulut pas laisser la vaisselle sale. Il y avait encore de l’eau dans un jerrycan en plastique.

— Un jour, on pourra peut-être revenir ici passer quelques jours, puisque papa a loué pour toute une année.

Lorsqu’elles remontèrent en voiture, la petite fille se retourna jusqu’à ce que la maison disparaisse.

— Nous retournons à Saint-Mandrier ?

— Jusqu’à demain.

— Parce que tu as promis au commissaire ?

— Oui. Mais, demain, nous chercherons un autre camping.

— À cause des journaux ? Ils vont parler de nous ?

L’été commençait à griller les collines, et des bouffées alourdies de senteurs fortes pénétraient dans la voiture. Sylvie fermait à demi les yeux pour les respirer.

— Comme ils ont dû être heureux, dans ce coin-là ! Si ce journaliste n’était pas venu les déloger…

Le mot « heureux » frappa douloureusement Céline. La petite fille réalisait avec moins d’hypocrisie qu’elle ce qu’avait pu être la vie des deux hommes. En six mois, ils avaient découvert, ensemble, un monde nouveau, des odeurs, des gestes, d’autres fatigues, d’autres sujets de conversation, peut-être de méditation, un autre code de coexistence, des raisons de survivre où le passé, ce passé que sa fille et elle représentaient, n’occupait plus qu’une place médiocre. Elle s’en effraya, ralentit et finit par arrêter la voiture.

— Maman, tu, ne te sens pas bien ?

— La chaleur…

— Il faut rouler jusqu’en bas, il y a des arbres. Nous ne pouvons pas rester ici.

De nouveau, à cause de l’expression vague du regard, la petite fille craignait de perdre sa mère, comme au cours des derniers mois où Céline dérivait dans le quotidien, un sourire mécanique aux lèvres pour rassurer sa fille.

— Repartons, répéta-t-elle d’une voix calme, sans s’affoler. Nous sommes dans une fournaise.

Les gestes mous, empêtrés dans une ambiance où la réalité et la pensée se mêlaient en un grand vertige, elle passa la première. La voiture fit un bond en avant, cala. Pendant une longue minute, le démarreur donna l’impression de racler dans le vide, puis le moteur s’emballa. Céline réalisa que son pied pesait de toutes ses forces sur l’accélérateur. Elle le retira, passa sa vitesse, sourit pour rassurer l’enfant qui ferma les yeux. Tout recommençait comme avant, et sa mère reprenait le masque aux traits figés.

Elle ne s’arrêta pas sous les ombres des arbres fruitiers, tourna à gauche sans marquer le moindre ralentissement, en direction de Gréoux-les-Bains. Dans cette bourgade, au lieu de continuer vers Barjols, elle prit à droite en direction de Manosque. Sylvie préféra garder les yeux fermés. Sa mère conduisait d’étrange façon, comme si elle n’avait plus la force de tenir son volant. Avec une lucidité tranquille, la petite pensait qu’elles allaient peut-être mourir ce jour-là.

CHAPITRE X

Pour garder le contact avec le commissaire Lefort, Pesenti était décidé à séjourner vingt-quatre ou quarante-huit heures à Manosque. À son retour de Labiou, il alla déjeuner chez le correspondant local, et c’est là que le policier parisien lui téléphona.

— Passez à la gendarmerie au début de l’après-midi. J’ai besoin de vous parler.

— Autant vous dire que Mme Barron ne m’a pas appris grand-chose, répondit prudemment le journaliste.

— Venez quand même, insista sèchement Lefort.

À la gendarmerie, Lefort disposait d’un bureau. Son adjoint Tabariech s’y trouvait également.

— Je ne cherche pas à vous forcer la main, mon vieux, déclara le policier. Votre impression générale peut nous aider à comprendre toute cette affaire.

Pesenti s’assit en face de lui.

— Je vous croyais uniquement intéressé par son arrestation. Jusqu’à présent, l’enquête et la recherche du mobile sont restées dans l’ombre.

— J’ai besoin de comprendre certaines choses. Le gosse se vante d’avoir accompli un meurtre justifié. Pourquoi s’est-il enfui, dans ce cas ? J’ai eu affaire à des types qui faisaient leur propre justice. Ils attendaient la police d’un pied ferme.

Tabariech renchérit :

— Si son père l’a accompagné, peut-être même poussé à filer, c’est que lui aussi n’est pas convaincu par les affirmations de son fils.

— Mme Barron se pose également des questions à ce sujet, ne m’a pas paru farouchement partisane de cette version des faits. Mais, surtout, elle voudrait connaître l’opinion de son mari.

— Elle vous a interrogé à ce sujet ?

— Ça doit la ronger. Enfin, c’est l’impression que j’en ai gardée.

— De plus, elle ne supporte plus d’être séparée de Barron, affirma Lefort. Après six mois de dépression, elle a réagi brutalement. Jusqu’à présent, elle s’est montrée assez habile pour nous dissimuler ses intentions, mais, un jour ou l’autre, sous peu, elle craquera. Nous venons d’apprendre qu’elle dispose d’une somme très importante. Près de huit millions anciens. Elle essaiera de leur remettre cet argent par n’importe quel moyen. Si elle réussit, ils passeront à l’étranger et nous aurons perdu.