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Vers cinq heures du soir, Radio-Monte-Carlo donna l’information, et Pesenti poussa une exclamation de colère.

— Ils exagèrent, ces flics !

Tabariech avait dû se montrer assez vague dans sa communication avec l’A.F.P., laissant croire que l’état des deux blessés était assez sérieux.

— Il y aura un rectificatif à six heures, le rassura Borgeat. J’ai téléphoné, moi aussi.

— Si Barron entend le premier, il va foncer et tomber dans le panneau.

Le correspondant local parut surpris.

— Et puis ? C’est ce qui peut lui arriver de mieux, non ? Ce type s’obstine à vouloir protéger son fils, mais, après six mois, il cherche peut-être une échappatoire. Qui n’en ferait autant, à sa place ?

— Pas lui. C’est un type bien.

Borgeat haussa les épaules d’un air blasé.

— Barron a encore l’avenir devant lui. Il peut recommencer à travailler. Tous ses collègues se sont recasés, lui pas. Le gosse est assez grand pour se débrouiller.

Un peu plus tard, la sonnerie du téléphone rompit leur silence. L’un et l’autre travaillaient face à face. Borgeat décrocha, lui passa le combiné.

— Marseille, pour vous.

Pesenti reconnut la voix d’une secrétaire de rédaction.

— Marcel ? J’ai un correspondant pour vous. Un jeune homme qui refuse de donner son nom. C’est en liaison avec l’affaire Barron.

— Passez-le-moi.

Un instant, il eut la folle pensée que c’était Daniel Barron qui l’appelait.

— Monsieur Pesenti ? Vous ne me connaissez pas, mais j’ai lu votre article. Je suis en vacances dans la région, et j’aurais voulu vous rencontrer pour discuter avec vous. C’est au sujet de Barron.

— Je ne rentre pas à Marseille ce soir. Pouvez-vous m’expliquer tout ça par téléphone ?

— Oui, mais à condition d’être tout seul.

Très lointaine, la voix de la secrétaire déclara furieusement qu’elle sortait pour quelques minutes.

— Bon, ça va. Je suis étudiant en sociologie. J’ai participé aux barricades de l’an dernier. J’ai été arrêté et gardé à Beaujon pendant près de trois jours. C’est là-bas que j’ai fait la connaissance de Daniel Barron. Je m’en souviens parfaitement, car un de mes copains m’a dit qu’il était le fils du réalisateur de télé.

— Vous êtes restés ensemble tout le temps ?

— Pensez-vous ! Presque tout de suite après qu’on ait relevé notre identité, il a été relâché.

— Vous êtes sûr ? Il a peut-être été transféré ailleurs.

— Pas du tout ! s’impatienta l’étudiant. Un flic est entré dans la pièce où nous étions, a appelé Daniel Barron. « C’est toi ? Tu peux passer au greffe. Tu es libre. » Nous, on a trouvé ça moche, parce que, s’il suffisait de porter un nom connu pour voir s’ouvrir les portes… On l’a copieusement hué.

— Et lui, quelle a été sa réaction ?

— Sincèrement, il paraissait drôlement empoisonné. Il a discuté avec le flic, mais ce dernier l’a poussé dehors. Mais nous avons pensé que c’était de la mise en scène.

— Vous avez revu Barron, par la suite ?

— Jamais. Entre nous, il était salement repéré, dans le milieu étudiant, et nous avions divulgue l’histoire. Même au mois d’octobre, il y avait encore des gars pour en parler.

Pesenti sortit une cigarette du paquet posé devant lui, la laissa tomber sur sa feuille de papier.

— Vous pouvez m’assurer que c’est exact ?

— Oui, mais je ne veux pas avoir affaire aux flics. Je tenais à rétablir la vérité. Il n’a jamais été enfermé plus de quelques heures, et non deux jours, comme on l’a écrit.

— Pourquoi cette réaction tardive ? Vous pouviez en parler plus tôt, non ?

— Je vous connais de réputation, monsieur Pesenti, et je sais qu’on peut vous faire confiance. Mon nom, c’est Jean Pourrière. J’ai de la famille à Marseille.

— Que pensez-vous de l’histoire ?

— Un flic en moins, c’est pas pour me déplaire, mais je crois pas que le mobile de Barron soit exact. D’ailleurs, d’après d’autres amis, il aurait été raflé sur le trottoir comme spectateur, et non dans la pleine bagarre, mais ça, je ne peux pas vous l’affirmer.

D’un grognement, Pesenti indiqua qu’il n’attachait qu’un faible intérêt à cette insinuation.

— Mais, pour Beaujon, c’est sûr, se hâta d’ajouter Jean Pourrière. Si vous voulez me rencontrer, laissez un message à votre bureau. Je téléphonerai les jours suivants.

— Attendez. Si je fais état de cette information, vous devez accepter que je cite votre nom. Je ne vous cache pas que la police voudra vous interroger ensuite.

L’étudiant hésita durant quelques secondes.

— Pas question, alors. Oubliez tout ça. Je regrette qu’un fils à papa ne puisse pas être publiquement traité de menteur et de pistonné.

Il raccrocha, et Pesenti crispa ses mâchoires. Il détestait ce genre de délation, mais ces renseignements recoupaient ceux fournis par Lefort. On n’avait jamais retrouvé le nom de Daniel Barron dans les registres de Beaujon. Que s’était-il passé, là-bas ? Maintenant, le journaliste avait la certitude que Lanier et Daniel s’étaient rencontrés, et que le drame avait commencé à ce moment-là. Peut-être que le garçon en avait voulu à mort au sous-officier administratif de cet élargissement qui l’avait rendu suspect aux yeux de ses compagnons de lutte ? On pouvait même aller plus loin, imaginer que l’étudiant avait négocié sa mise en liberté contre certains aveux.

CHAPITRE XI

Le journal froissé atterrit sur le divan défait. Daniel suivit son père du regard. Il marcha vers la baie grande ouverte, revint vers le centre de la pièce. Paulette avait ramassé le quotidien et le lissait sur ses genoux.

— C’est un traquenard. J’en suis certain.

— Mais tu es inquiet pour ta femme et ta fille, constata Paulette.

— Normal, non ?

— Bien sûr.

La jeune femme évitait de tourner la tête vers Daniel. Très pâle, il ne savait comment dissimuler le tremblement de ses mains.

— Je vais téléphoner, dit-elle. On me donnera bien de ses nouvelles.

— Tu vas attirer l’attention de la police sur toi.

— Et puis ? J’ai vu son nom dans le journal, c’est la femme d’un ex-confrère. Quoi de plus naturel ?

— C’est un piège, et la police s’attachera au moindre indice.

— Elle ne va quand même pas perquisitionner ici ? Je suis de taille à me défendre. Si les visites sont autorisées, j’irai là-bas cet après-midi.

Hervé observa Daniel.

— Qu’en penses-tu ?

— C’est toi qui décides. Tu as plus d’expérience que moi.

Il persiflait imperceptiblement, lui rappelait subtilement que, au cours des six derniers mois, il avait fait preuve d’une prudence intransigeante, ne tolérant pas la moindre erreur.

— Téléphone, décida-t-il, n’osant pas affronter ce qui se cachait au plus profond de lui-même.

Lorsqu’elle obtint l’hôpital, elle demanda la chambre de Mme Barron. Une voix d’homme se substitua à celle de la standardiste. Paulette tendit l’écouteur à Hervé.

— À quel titre demandez-vous à parler à Mme Barron ?

— Je suis une amie. J’habite Aix, et je viens d’apprendre la nouvelle de son accident.

— Pouvez-vous me donner votre nom et votre adresse ?

— Mais pourquoi ?

— Mme Barron ne peut répondre à tous les coups de fil. On l’assaille de toutes parts, vous comprenez pourquoi.