Paulette donna son nom et son adresse, insista sur le fait qu’elle était une amie de la famille et qu’elle ignorait la présence de Céline dans la région.
— Je vous passe sa chambre.
Lorsque la voix de sa femme lui parvint, Hervé n’eut qu’un battement de paupières. Daniel s’était éloigné à l’autre bout de la pièce.
— C’est moi, Paulette. Je ne savais pas que tu étais dans le coin, la prévint-elle. Pour quoi n’es-tu pas passée me voir ? Comment vas-tu ?
— Je te remercie. J’ai quelques écorchures un peu partout, mais d’ici à quelques jours je pourrai sortir.
— Sylvie ?
— Elle se lève déjà. En ce moment, elle est près de moi, en train de lire. Nous avons surtout été terriblement choquées.
— Puis-je te rendre visite cet après-midi ?
Céline hésita à peine :
— Bien sûr. Si cela ne te dérange pas.
— Au contraire.
Lorsqu’elle raccrocha, Daniel avait disparu dans la salle de bains. Hervé allumait une cigarette.
— Le policier, je le connais. Un adjoint du commissaire Lefort, un certain Tabariech. Tu vas les ramener tous les deux sur tes talons. Ils risquent de te rendre visite. Nous devons faire disparaître toute trace de notre séjour. Où pouvons-nous nous cacher ?
— Il y a un grand placard-penderie au fond du couloir. Mais il faudrait ménager des trous d’aération invisibles.
— Nous allons nous en occuper tout de suite, Daniel et moi.
L’endroit était assez vaste pour qu’ils y tiennent à l’aise, assis sur une grande malle de voyage. Hervé tâta la cloison, découvrit qu’il pouvait la percer du côté des W.-C.
— Je vais faire un trou assez grand. Tu peux accrocher un sous-verre, pour le masquer ?
— Plusieurs, pour que ça ne paraisse pas incongru.
Il lui prit le bras.
— Tu t’exposes beaucoup. Ils sont capables de surveiller l’immeuble pendant plusieurs jours. Une semaine.
Elle se dégagea doucement.
— Aucune importance. J’ai de quoi vous faire manger sans attirer l’attention par des achats trop importants.
— Pourquoi le fais-tu ? Uniquement pour Daniel ?
— La curiosité, aussi. Dans toute cette histoire, il n’y a qu’une personne sincère : Sylvie.
Vous trois, vous jouez un drôle de jeu, et ça m’intéresse.
Hervé se mit au travail avec les moyens du bord, arriva à pratiquer un trou de quelques centimètres de diamètre. Le sous-verre le masquait entièrement, laissait entrer l’air. Il nettoya soigneusement les plâtras.
Au volant de sa Morris, Paulette Ramet mit moins d’une heure pour atteindre l’hôpital de Manosque. Elle ne rencontra personne dans les couloirs, jusqu’à la chambre de Céline.
Cette dernière avait des pansements sur le front, à la base du cou et sur les bras. Sylvie, qui la fixait sous sa longue frange, n’avait que des égratignures.
— Je suis heureuse de te voir.
Paulette déposa les paquets qu’elle portait, des fruits, un bouquet de fleurs, des revues et des illustrés pour la petite fille.
— Ton téléphone est surveillé, dit-elle tout de suite, et j’ai expliqué que j’étais sans nouvelles depuis longtemps. Je n’ai pas parlé du coup de fil de Cazan.
— Ne t’inquiète pas…
— Tu te trompes. Il s’agit d’autre chose.
Le sang afflua brusquement au visage maigre de Céline.
— Hervé ?
— Il m’a téléphoné.
— Où sont-ils ?
— Ça, je l’ignore. Mais il doit me rappeler.
— Quand ?
Mettant un doigt sur sa bouche, la visiteuse attira une chaise près du lit, se pencha vers Céline.
— Il a téléphoné avant-hier. Lui et Daniel vont chercher un autre refuge, et il me donnera de ses nouvelles d’ici à une semaine.
— Tu lui as dit que…
— Bien sûr.
— Il m’en veut, d’avoir essayé de le rejoindre ?
Paulette ne répondit pas.
— Nous devons nous rencontrer. Peux-tu le lui dire ?
— Ne vas-tu pas compliquer la situation ?
— Je ne sais pas. Peut-être que tout deviendra plus net, ensuite.
La curiosité de Paulette perdit toute modération. L’espace d’une seconde, elle se trahit, et son visage alerta Céline qui, aussitôt, se replia sur elle-même.
— Qu’est-ce qui deviendra plus net ? L’affaire de Daniel ? Tes propres relations avec Hervé ?
Le sourire las de Céline lui signifia qu’elle avait été trop gourmande. Elle se ressaisit habilement, alla ouvrir un paquet.
— Ce sont des calissons. Les meilleurs de la ville. Tu n’en prends pas, Sylvie ? Au fait, une chance qu’on vous ait admises toutes les deux. Que serait-elle devenue ?
— Oui, murmura Céline. Une chance.
— Comment as-tu fait ton compte ?
— Un malaise. La chaleur… La déception aussi de ne pas avoir trouvé Hervé et Daniel à Labiou.
— La faute à ce journaliste, Pesenti ?
— De toute façon, on aurait fini par les trouver. Six mois, c’est peut-être trop long.
— Que venais-tu faire à Manosque ?
Céline ferma les yeux pour échapper au regard incisif de son amie. Dans une seconde vertigineuse, elle avait voulu parler avec Pesenti, mais, depuis l’accident, elle refusait de le recevoir. Le matin même, il avait longuement insisté au téléphone. Lefort était venu, et elle avait dû le recevoir.
À partir de cet instant, Paulette sut qu’elle ne pourrait plus rien arracher à la blessée. Mortifiée, elle se leva.
— Je m’en vais, dit-elle sèchement.
— Comment saurai-je… qu’il a téléphoné, qu’il accepte que nous nous revoyions ?
— Ça, ma petite, je n’en sais rien. Je dois partir en voyage sous peu et, s’il tarde trop…
Le désespoir visible de Céline la calma.
— Ce sera très difficile à mettre au point. Maintenant, les policiers vont également me surveiller.
— Je dois lui remettre de l’argent, souffla Céline. Une forte somme.
— C’est là ton secret ? laissa échapper Paulette, fortement déçue.
— En partie, oui. Le commissaire Lefort sait que j’ai cette grosse somme sur moi. Je ne peux te la donner maintenant…
— Oh ! tu sais, je déteste ce genre de transaction. Des paroles, des coups de téléphone, des risques, ça me convient. Pour l’argent, c’est autre chose. Je te téléphonerai demain.
Elle les embrassa toutes les deux. Lefort l’attendait dans le hall d’entrée. Elle se souvint de l’avoir vu en photographie, l’avait cru plus grand.
— Mademoiselle Ramet, je désire m’entre-tenir avec vous quelques instants.
Mais, dès les premières passes, il se rendit compte qu’il avait affaire à une forte jouteuse. Il y avait près de deux ans qu’elle n’avait pas vu Hervé Barron, et seule l’annonce de l’accident l’avait incitée à téléphoner.
— En décembre, vous n’avez pas tenté de joindre Mme Barron ?
— À quoi bon ? Je ne pouvais lui être utile en aucune façon.
— Par amitié pour son mari ?
— Je ne suis pas une femme téméraire, monsieur le commissaire. Après les purges du mois de mai, j’ai eu la chance de passer au travers. J’occupe une bonne situation à Marseille, et je compte monter à Paris en octobre prochain. J’ai compris que je devais éviter de rappeler mes relations anciennes dans cette nouvelle chasse aux sorcières.
Il sourit.
— Vous exagérez, non ?
— Pas du tout. Je suis peut-être méprisable, mais je n’ai pas envie d’être au chômage. Le drame des Barron les regarde seuls.