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Le lendemain matin, très tôt, la Simca quitta le camp pour se rendre chez Roumagnes. Céline gara la voiture dans la cour, pénétra dans l’atelier avec Sylvie. Après quelques mots avec le vieil homme, elles ressortirent dans une autre rue, se dirigèrent vers l’arrêt des cars.

— Je crois que nous les avons semés, constata Sylvie une fois dans le véhicule. Ils doivent attendre devant l’atelier.

À Toulon, elles changèrent de car, prirent celui d’Hyères. Elles descendirent dans cette ville un peu avant dix heures.

— Nous allons à Draguignan, n’est-ce pas ? demanda la petite fille.

— D’abord, nous allons louer une voiture. Nous reviendrons avec elle jusqu’à Saint-Mandrier et nous la laisserons au parking du nouveau port. Je ne peux pas partir pour Draguignan tant que je n’ai pas trouvé ce que je cherche.

— Les deux policiers vont demander à M. Roumagnes ce que nous sommes devenues.

— Nous reviendrons par le même chemin, comme si nous étions allées nous promener.

Tout en marchant à côté de sa mère, Sylvie fronçait son nez court. L’aventure semblait l’exciter et lui rendre un peu de sa gaieté de jadis.

— Malheureusement, on ne pourra pas leur faire deux fois le coup. Il faudra trouver autre chose pour aller prendre la voiture de location.

— Nous trouverons bien, dit sa mère avec un entrain nouveau.

Il ne restait qu’une Renault 8 disponible. Céline versa une caution de mille francs actuels, tandis qu’on photocopiait son permis de conduire. Elle regrettait de ne pas avoir laissé Sylvie chez Roumagnes. Avec sa petite fille, elle était facilement repérable, et, les jours suivants, le commissaire Lefort ferait peut-être la tournée des loueurs de voitures. À Toulon, d’abord, puis dans les villes voisines. Sylvie parut tout heureuse de monter dans cette nouvelle voiture.

— Nous rentrons tout de suite ?

— Oui. Notre chance serait que Lefort ne soit pas allé demander où nous sommes à Roumagnes. Mais, au bout d’une heure, il a dû trouver cette visite suspecte.

Malgré la circulation difficile, elle réussit à rejoindre Saint-Mandrier une demi-heure avant midi. Elles abandonnèrent la voiture dans un parking encore peu fréquenté en ce début de saison, coururent jusque chez Roumagnes.

— Ils sortent d’ici et sont furieux, leur annonça le gardien de bateaux. Ils m’ont menacé de je ne sais quoi parce que je vous avais laissées filer par une autre sortie. Mais je ne me suis pas laissé faire. Ils doivent vous chercher dans toute la ville.

Céline revint tranquillement jusqu’au camping. Tabariech en surveillait l’entrée. Il était venu là en stop, tandis que son chef patrouillait dans toute la ville. Sylvie eut une réaction qui amusa Céline. Elle tira la langue au policier, fut la première surprise de cet enfantillage et reprit son air grave.

Ce n’est qu’après une heure de recherches vaines que Lefort joignit Tabariech.

— Elles sont revenues. La gosse m’a même tiré la langue.

— Je vais lui parler, fit Lefort avec irritation. Je commence à en avoir par-dessus la tête.

Tabariech n’osa pas lui conseiller de rester tranquille. Mieux valait se montrer patient. Mme Barron avait le droit d’aller et venir à sa guise.

Assise sur le petit escalier extérieur, Sylvie vit venir le commissaire. Il était assez incongru, avec son costume, parmi tous ces gens en short et en maillot de bain. Assez corpulent, court en jambes, il attirait l’attention.

— Voilà le flic ! lança la petite fille vers l’intérieur de la caravane.

Mais elle ne bougea pas d’un pouce lorsque l’ombre du commissaire la recouvrit.

— Je veux voir ta maman.

Céline parut. Vêtue d’un pantalon bleu clair et d’un polo en coton blanc, elle paraissait en pleine forme, très fraîche. Les traces de fatigue et de souffrances s’atténuaient sous le hâle qui commençait à recouvrir sa peau d’une teinte dorée.

— Écoutez-moi, dit Lefort d’une voix basse, pleine d’énergie. Il y a une sorte de convention tacite entre nous. Vous pouvez vous balader à votre guise, et je peux vous filer. Mais, si vous compliquez les choses, je change ma tactique et j’alerte toutes les polices de la côte et de l’arrière-pays. Ce ne sera pas très agréable pour vous.

— C’est à cause de ce matin ? Ma fille et moi avons voulu nous promener sans vous avoir sur les talons.

Il la regarda durant quelques secondes, puis haussa les épaules.

— Je vous connais très bien, maintenant, madame Barron, pour savoir que vous n’avez plus de cœur à plaisanter ou à faire des caprices. Si vous nous avez semés ce matin, c’est pour une raison bien précise. Qu’avez-vous fait, durant les trois heures de votre absence ?

— Des courses, une promenade au port, aux plages.

— Je vous préviens. Si vous disparaissez plus de deux heures, je donne l’alerte, et vous n’irez pas loin. J’aurais alors de bonnes raisons de vous demander des explications.

Soudain, il se sentit envahi de colère, parce que cette femme et sa fille le narguaient visiblement.

— Nous pouvons faire mieux, madame. Votre fille ne doit pas être mêlée à cette histoire déplorable. Un juge d’enfants pourrait estimer qu’elle se trouve en danger moral et décider qu’elle doit être envoyée dans une maison spécialisée ou un refuge pour enfants.

Céline devint très pâle, et il ne put soutenir l’intensité de ses yeux.

— C’est tout ce que vous trouvez, murmura-t-elle. C’est une véritable provocation. Tout comme pour mon fils Daniel.

Lefort tourna les talons, s’éloigna, furieux contre elles, contre lui. Tabariech jugea inutile de lui poser des questions, certain de se faire rabrouer.

— Allons bouffer, dit son chef.

— Mais, l’un de nous doit rester…

— Inutile. Je commence à en avoir ras le bol, de cette femme. Elle prépare quelque chose, et impossible de savoir exactement quoi.

Installé à la terrasse d’un petit restaurant proche du camping, Lefort déjeuna sans appétit. Les journaux écrivaient qu’il avait juré d’avoir la peau de Daniel Barron. Ce n’était pas tout à fait exact, mais il ne supporterait pas plus longtemps qu’on se joue ainsi de lui.

— Roumagnes doit savoir quelque chose. En vertu du mandat d’amener, je peux l’interroger dans les locaux de la gendarmerie. C’est ce qu’on va faire cet après-midi. Toi, tu t’occuperas d’elle. Et ne la laisse pas filer.

CHAPITRE V

Levé à l’aube, Daniel avait l’intention de terminer sa paillasse en tomettes avant la nuit. Il faisait son ciment par petites quantités, sur une large pierre de la murette qui dominait la vallée. La journée s’annonçait lumineuse et chaude. Bien qu’elles ne soient pas encore en fleur, les lavandes sentaient.

Hervé se leva un peu plus tard, prépara le café. Les deux hommes s’installèrent devant la porte pour manger. Parfois, le bruit très atténué d’un moteur montait de la départementale. Des oiseaux qui nichaient dans les ruines s’égosillaient jusqu’aux heures chaudes. Il y avait aussi des frémissements furtifs dans les herbes, des cailloux qui roulaient sans raison du haut de la colline. Au début, les deux hommes sursautaient, guettaient pendant des heures. Il leur avait fallu des mois pour éviter de confondre les bruits de la nature avec ceux des hommes. Ainsi, pour les rares visites qu’ils avaient reçues, quelques chasseurs, plus curieux qu’amateurs de grives, les Barron les avaient pressenties chaque fois. L’intrus était signalé par un vide silencieux de la montagne. Toute la vie occulte se terrait. Plus un souffle, plus un vol dans le ciel. Des boules de plumes filaient à ras des pierres.