— Belle description, apprécié-je en connaisseur. Vous savez le nom de ce singulier personnage ?
— Il se fait appeler Mr Smith, mais je suppose qu'il s'agit d'un faux nom.
— Il était accompagné ?
— Oui, d'une femme.
— De quoi avait-elle l'air ?
— D'une religeuse anglicane. Toujours habillée de noir et coiffée d'un chapeau dont une négresse ne voudrait pas pour faire le marché. Pas fardée, les yeux comme ceux d'un mannequin de grand magasin, en plus éteints, si vous voyez ?
— Je vois. Que faisaient-ils ?
— Ils s'enfermaient dans le bureau du vieux. Los Hamouel participait souvent aux discussions.
— Quel genre de voitures utilisaient-ils ?
— Des bagnoles de maître, mais vous dire leur marque… Je ne prêtais pas grande attention à ce détail.
Nous nous taisons soudain, l'air devenant irrespirable because les louffes à répétition de Béru.
— Voulez-vous que nous passions dans le salon d'été ? propose l'unibrassiste.
Je lui suis reconnaissant de cette suggestion. Nous évacuons la pièce pour aller respirer les « dames de la nuit » qui s'évertuent dans l'ombre.
Une vasque où l'eau glouloute ingénument, sollicite nos vessies. La nuit est douce et frêle. Je repense à ma petite Antoinette. Quelle heure est-il chez nous ? M'égare en calculs. En tout cas, il fait grand jour de l'autre côté de la mare aux harengs.
— Pourrais-je téléphoner à Paris ? requêté-je à brûle-pourpoint ?
Aux States, cette question ne trouble personne.
— Naturellement, répond Sancha Panço. Prenez le poste du bar, à moins que ce soit confidentiel ?
- Ça n'a rien de confidentiel, dis-je, c'est seulement intime.
Je vais au comptoir de faux bambous en bronze qui se découpe dans le clair de lune (et non dans la lune de Claire, comme d'aucuns voudraient me faire dire, tu penses bien !).
Le biniou, luxe raffiné, est fluo. Je pianote les touches molles, le cœur battant. Des trucs se mettent à s'enclencher dans l'éther. J'attends. La divine sonnerie de « chez nous » tarde à naître. Ai-je composé trop rapidement le numéro ?
Enfin un bruit répété : « Tchlaof ! Tchlaof ! Tchlaof ! ».
Mais pas dans le combiné !
Derrière moi.
Je volte.
N'ai-je pas déjà pigé ?
Sancha Panço vient d'avoir la bouille fracassée par trois dragées grosses comme ton petit doigt. Elles ont été tirées à bord d'un tromblon de poche muni du classique silencieux. Une quetsche dans chaque œil : gênant pour lire le menu au restaurant. La troisième au beau milieu du front. Signe maçonnique cher à certains miens amis allant à la messe avec un tablier…
Je raccroche à la seconde où la voix de Félicie dit :
— Allô, j'écoute ?
Moi, à cet instant, c'est mon courage que j'écoute.
Fonce vers l'intendant.
Ses lotos crevés semblent me regarder encore.
Vais pour franchir la haie de buis taillée de manière à décrire des arabesques. M'arrête en constatant que le gros manchoteur lui tourne le dos.
Et que, par conséquent, les balles ne proviennent pas du parc, mais de la maison !
21
Parvenu à ce point culminant de mon prodigieux récit, tu as envie de me crier : « Arrête ton char, Ben Hur, sinon tu vas sortir de l'écran ! »
Je sais bien que le drame pleut dru ; mais qu'y puis-je-t-il ? Fallait pas m'accompagner aux States, si tu es une petite nature, Lanlure. C'est un pays de sang où le port d'arme est libre. Depuis l'enfance, ces tordus ont la détente dans les doigts. En France, on tire des coups de bite ; chez eux, ce sont des coups de feu. Ils n'ont pas la parole facile, mais savent faire parler la poudre. Chacun son mode d'expression.
Je me place derrière l'intendant afin de situer l'endroit d'où on l'a praliné. Facile. Il s'est fait mâchurer le cigare depuis une tour d'angle qui ajoute à l'incohérence de la construction. Ladite est percée d'une meurtrière et le canardeur a pu se régaler en toute tranquillité.
Dès lors, je fonce réveiller mes deux êtres auxiliaires (un grammairien inverserait les mots) en les priant de me prêter main-forte. Ordre de sortir des toiles tous les habitants de la demeure afin de leur renifler les doigts.
Tu ne l'ignores pas, Bézuquet, depuis que tu as lu ton premier Agaga Christie : quand on vient de défourailler, il subsiste des molécules de poudre sur les doigts.
Béru prend l'aile gauche, Jérémie la droite, et ma pomme se réserve la partie centrale.
Étranges investigations nocturnes.
Nous toquons à chaque porte. Un individu (mâle ou femelle) vient délourder avec plus ou moins de retard. Nous balbutions une brève excuse, saisissons ses pattounes et les flairons. Certains sentent le cul, d'autres le con, voire les pieds, ce qui est paradoxal pour des mains. Mais la poudre, que nenni !
Arrachés à leur sommeil, les reniflés ne réagissent pas, l'hébétude l'emportant. Seulement ils récupèrent et nous interrogent sur les raisons de notre comportement.
— Il vient d'y avoir un meurtre, répondons-nous, ce qui leur stoppe le caquet.
Au bout de ce contrôle, nous avons fait chou rouge[8].
Je vais consulter les gardes de nuit, lesquels somnolent dans la guitoune leur étant destinée près de l'entrée. Leur demande s'ils ont délourdé à quelqu'un, depuis notre retour. M'assurent que non.
Inlassable, je vais dans la tour. Curieux que l'ouverture par laquelle l'on a composté Sancha Panço s'appelle une meurtrière !
L'endroit pue la poudre. Me fous à l'équerre pour chercher d'éventuelles traces. Bien m'en biche, puisque je découvre un peu plus bas la douille d'une bastos. A examiner avec le plus grand soin.
In the pocket ! comme disait ce kangourou venant de trouver une boîte de préservatifs.
Je continue de gravir l'escalier du donjon. Trois niveaux en tout. M'attends à déboucher dans un quelconque grenier.
Va te faire mettre, je me pointe dans un stand de tir ultraperfectionné et insonorisé. Cibles classiques de carton numérotées, cibles mouvantes sur déroulant, cibles reproduisant l'humain dans différentes positions. Des armes sont accrochées à des râteliers : carabines, revolvers, pistolets, pistolets-mitrailleurs.
Illico, des fragrances de poudre me titillent les naseaux. Je me dirige droit sur l'arsenal. Ne mets pas longtemps à dégauchir l'objet du délit. Il est encore tiède. Un feu superbe, de fabrication ritale.
Je sors d'une fouille mon petit nécessaire à prendre les empreintes de « gitane » chères à Béru. Si j'en déniche, elles ne signifieront pas grand-chose car beaucoup de gens se sont probablement exercés avec ce riboustin.
Cette rapide opération accomplie, je sors du stand par une porte opposée. Ladite donne sur une terrasse. Je la traverse sans tu sais quoi ? Oui : coup férir !
Cet espace d'environ dix mètres sur douze est entouré de fleurs en bacs. M'agine-toi que l'un des massifs se trouve placé perpendiculairement au mur, au lieu de le longer comme les autres. Cette anomalie m'attire. La plate-bande fleurie méritait le détour, en effet. Con-an-juge : elle pivote, ce qui est rarissime pour un massif de fleurs.
Ce faisant, elle dévoile un puits dans lequel s'enfonce une échelle de fer.
Tu sais ma témérité ?
Tu comprendras alors que je m'engage aussitôt par l'ouverture.