— Voulez-vous que je vous dise ? demande Jérémie. On avait décidé de rentrer en France, maintenant c'est urgent parce que entre la Résidence et cet apparte, question décès violents ça commence à bien faire.
Quel argument opposer à pareille sagesse ?
Nous acquiesçons.
Le Noirpiot qui prend les choses en main, déclare :
— En sortant, on frète un bahut pour l'aéroport où nous prendrons le premier vol en direction de l'Europe !
— Faut toujours suive ses ressentiments, ponctue le Goret transformé en charcutier.
Les hommes sont marqués par le destin. Une couille-molle ne vit que de couille molleries, et un type d'action d'actionneries. Ainsi en a décidé, « le grand Régulateur ».
A la seconde où Jérémie délourde, il se trouve nez à nez avec un mec en chapeau clair, au visage grêlé, affublé d'une fine moustache comme seuls en arborent encore quelques merlans de l'extrême sud italien.
Malgré la température clémente, l'escogriffe porte une gabardine. Ses deux mains y sont enfoncées. Je n'ai pas besoin d'être grand clerc ou gros con pour piger qu'il tient un soufflant dans chacune d'elles, ni d'être voyant pour savoir que ses index sont posés sur les détentes.
Ce qui nous sauve, je vais te le dire sans ambager, c'est la promptitude de Mister Blanchâtre.
Alors là, oui, je dodeline, disait le bon de Funès. Réflexe instantané. Un coup de boule fulgurant du Noirpiot, sans le moindre préalable. Nonobstant la chevelure à ressorts de mon ami, l'arrivant se met à manger ses dents. Sonné sèchement.
Note qu'il parvient à extirper ses arquebuses, mais l'énergie n'y est pas. D'une monstrueuse talonnade dans les pendeloques, Béru achève la négociation en lui éclatant les pendentifs. C'est trop pour le ci-devant petit-vérolé : il s'évanouit comme la marquise de Pompadour trouvant un rat de gouttière crevé dans sa réserve de Tampax.
On se le traîne dans l'apparte, mes péones and me.
— Les gars, décidé-je, saucissonnez ce crabe malade et descendez me rejoindre : je vais m'occuper de ses éventuels complices.
Je prends les deux flingues de Chtouillard à toutes fins utiles.
Cette fois, on doit jouer archi-serré car les archers miamiens, malgré notre qualité de flics, pourraient nous offrir un séjour prolongé en Amériquerie.
Les vagues alourdies, je descends, sors du petit immeuble et renouche les lieux. Ne tarde pas à apercevoir une vieille Chrysler verdâtre, émaillée de rouille, avec un pare-chocs retroussé comme les moustaches du Kaiser Guillaume II. Un mec mâche de la gum au volant, un autre grille un clope, le coude passé par la portière. De la musique pour débile mental fait trembler la caisse…
N'écoutant que mon instinct, je délourde à l'arrière et prends place.
— Salut, les gars, je jette avec entrain ; c'est pas pour me vanter, mais il fait rudement beau aujourd'hui.
Mon assurance et mon accent étranger les sidèrent.
— Qu'est-ce que c'est que ce zozo ? gronde le conducteur qui aurait pu être nain s'il avait mesuré cinquante centimètres de moins.
— Un ami qui vous veut du bien, le renseigné-je.
Je place mes coudes sur chacune des banquettes avant dans une attitude familière.
— Voyez-vous, ajouté-je, il n'est point de détente véritable si l'on n'y met pas chacun du sien. Vos deux copains qui viennent de monter chez Adamo vous diraient la même chose s'ils pouvaient encore parler.
Le type assis près du chauffeur pichenette sa tige et remonte la vitre. Puis il se retourne vers moi. Ma surprise est grande d'apercevoir un couteau dans sa paluche ; un curieux ya, à la lame longue et étroite, extrêmement pointue.
Cette peau de zob racornie me le plante dans la main gauche ! Ah ! le vérolé de sa mère ! L'acier a traversé ma pogne pour s'enfoncer dans le garnissage du siège. M'y voilà épinglé comme le papillon à sa boîte.
La situation est grave, mais pas encore désespérée.
24
Je considère ma paluche percée de part en part d'où le sang se met à dégouliner.
— Ce connard va saloper mon costard ! grogne le conducteur en se penchant sur son volant.
— Je te promets qu'il va t'en payer un autre ! affirme son pote.
Pendant ce bref échange, j'ai récupéré l'usage de ma dextre toujours libre et l'ai engagée dans ma fouille. D'un glissement imperceptible, je saisis le flingue qui attend.
Entre le dossier et le siège de mon tourmenteur, existe un mince interstice dans lequel j'insinue le canon. Sans attendre, je presse la détente à deux reprises.
Le bruit des détonations est étouffé par l'épaisseur du fauteuil. Tu pourrais le prendre pour celui d'un échappement défectueux, si ce n'était l'odeur de poudre…
— Qu'est-ce que ?… commence à s'enquérir le driveur, qui, je te le répète, aurait pu être nain s'il n'avait grandi.
Je dégage mon feu de la banquette et le lui montre tout en songeant qu'il ne reste plus qu'une bastos en magasin. Mais quoi : une balle bien tirée peut faire un mort en état de marche, non ?
Le silence de ma victime m'intrigue. Le blessé reste immobile sur sa banquette.
Au bout d'un instant, il chuchote :
— J'ai la colonne vertébrale touchée, je ne sens plus mes jambes.
— Tu t'achèteras une petite voiture, lui dis-je cyniquement ; il y en a de très performantes, avec moteur et direction assistée.
Puis, à son copain qui Verdi comme le Trouvère :
— Toi, tu vas enlever cette lame de ma viande en gaffant de ne pas me faire souffrir. Si j'éprouve la moindre douleur supplémentaire, faudra un aspirateur pour décoller ta cervelle du plafonnier.
Et de braquer l'arme entre ses sourcils fournis.
Pile comme s'achève l'extraction, mes deux camarades réapparaissent. On lit sur leur visage la satisfaction du citoyen venant d'accomplir sa tâche.
Un signe de Bibi : ils me rejoignent à l'arrière.
- Ça pue la guerre de Quatorze dans c't' chignole, déclare Béru.
— Du grabuge ? demande Jérémie, voyant le raisin dégouliner de ma dextre.
— J'ai eu la main transpercée par un coup de surin, le mec de droite a pris deux bastos dans la région roubignolo-culière en représailles. Quant au vaillant conducteur, si j'en crois l'odeur de merde se mêlant à celle de la poudre, il doit connaître la reddition de ses sphincters.
Je fais de la place à mes chers larrons (des bons en l'occurrence) et ordonne au chauffeur de rouler.
— On va où ? questionne-t-il en actionnant la clé de contact.
— Un coin désert, lâché-je.
— Vous allez pas me buter ! larmoie-t-il. Je vous ai rien fait !
— Mais non ! Seulement bavarder.
Dans le langage des truands, le verbe bavarder revêt une signification redoutable, surtout lorsqu'il intervient après la perspective « d'un coin désert ».
— Je n'efface les gens qu'en état de légitime défense, ainsi jamais je n'aurais zingué le bassin de ton camarade s'il ne m'avait traversé la pogne de son eustache !
Dans le rétroviseur, le nain raté me considère avec défiance. Pour atténuer ses affres, je lui souris.
A cet instant, une tire au gyrophare en folie débouche dans la rue, freine à mort et stoppe devant le ciné. Deux draupers en jaillissent, cependant qu'un troisième attend à l'intérieur.
Je te parie un séjour à Venise contre le slip de Béru que ces archers se rendent chez Adamo Corvado, mort accidentellement à bord d'une bagnole volée. S'ils n'y sont pas venus plus rapidement c'est tout bonnement parce que j'avais chourré ses fafs et qu'ils ont dû procéder à des recherches pour l'identifier.