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— Ma position est précaire, mais je dispose d'une monnaie d'échange qui n'est pas sans valeur.

— Laquelle ?

— Votre peau !

Nous nous défions du regard.

J'ajoute :

— Vous avez la preuve de ma détermination. Voyez-vous, je suis un garçon trop aguerri pour me laisser fabriquer par un forban de votre espèce. La question est d'une netteté absolue : on pactise ou je vous tue. Rien, pas même l'arrivée des quelques marins composant l'équipage de ce yacht, ne peut m'empêcher de vous mettre une balle dans la gueule, à vous aussi !

Il a un haussement d'épaules pour admettre la justesse de l'argument.

— Quelle autre solution serait envisageable ?

Tu parles si je le malaxe, le problo ! S'arracher de cette galère, compte tenu des circonstances, est aussi coton que de s'opérer soi-même de la vésicule biliaire.

— Sans bavures pour peu qu'aucune des deux parties ne cherche à arnaquer l'autre.

— Dites !

— Vous nous débarquez, mes collègues et moi, dans le port le plus proche avec miss Stuppen, et on se quitte à tout jamais.

— Pourquoi en compagnie d'Elnora ?

— Elle servira de garantie et, lorsque nous serons à terre, si vous entreprenez une action à notre encontre, elle la paiera de sa vie…

— A quel moment la relâcheriez-vous ?

— Nous nous rendrons d'abord à Montréal, et une fois au Canada, nous la laisserons filer avant de continuer sur Paris. Simple, non ?

Il regarde la fille qui demeure de marbre.

— Qu'en pensez-vous ? lui demande-t-il.

— C'est à vous de décider, répond-elle.

Le saurien rallume son cigare éteint, puis s'incline sur les trois hommes allongés à ses pieds. Deux sont morts, le troisième râle because sous sa monstre bosse doit se nicher une fracture du crâne de toute beauté.

— Tenez-vous droit ! dis-je sèchement à notre hôte.

Il se redresse, réfléchit et murmure en me défrimant avec une sombre admiration :

— Vous croyez sincèrement que votre plan peut réussir ?

— Je n'ai plus les moyens de ne pas y croire, réponds-je. En tout cas, il y a une chose que je puis vous jurer : s'il échoue, vous mourrez ! Là-dessus, allons délivrer mes amis !

28

Sais-tu qu'il est coton de ne pas perdre quelqu'un de vue ? On ne peut réussir ce tour de force qu'à plusieurs et en étant entraînés.

Il a fallu escorter la petite Elnora dans sa cabine pour qu'elle se prépare un baise-en-ville, puis affronter l'équipage en dédramatisant la situasse.

On nous a lâchés dans un petit port de plaisance du nom de Machinchose-Spring, ou assimilé. De gros enrichis et de riches engrossées pompaient leurs gin-fizz avec des chalumeaux poisseux de rouge à lèvres sur la Promenade des Français.

Les gens se retournaient sur notre quatuor, car le mec Jéjé avait la frime plus rouge que noire. Si on lui avait posé les points de suture que nécessitait son état, il aurait ressemblé à la fermeture Éclair d'une housse à skis.

J'avais soigneusement fouillé la môme avant de débarquer, poussant la vigilance jusqu'à lui glisser deux fingers dans la moniche. Elle subissa cette délicate inspection sans me brandir la charte des doigts de l'homme (pardon : des droits de l'homme).

A présent, bien qu'éclopés (ma main gauche et ma hanche droite me font atrocement souffrir), nous savourons cet air infiniment grisant de la liberté retrouvée. Mais, Seigneur, ce que nous avons eu chaud à l'oigne !

Pour commencer, je vais quérir une tire avec Elnora. La lui fais louer à son nom, soucieux de ne pas distribuer mes traces. On se prend du tout-chouette : une Lincoln long châssis, vitres teintées, télé de bord. Tu ne vois jamais ce genre de voitures dans les films « d'action », biscotte leur tenue de route ne vaut pas celle d'une Ferrari. C'est du carrosse de milliardaire. Là-dedans, tu téléphones à ton agent de change, tu embroques une gerce, tu suis le baveux TV ou tu dégustes des toasts au caviar. En tout cas, ça correspond pile à l'hôpital roulant dont nous avons besoin.

Bref pillage d'une pharmacie pour y acheter des désinfectants et un nécessaire à pansements gros modules. Puis c'est au tour d'une pizzeria d'avoir l'honneur de notre clientèle.

Ces différentes emplettes achevées, nous récupérons Othello et Gargantua sur le banc où ils ont mis à sécher leurs ecchymoses. Mes malheureux troupiers prennent possession du salon mobile et s'allongent sur la peluche des sièges avec un soulagement proche de la volupté.

Go !

* * *

C'est Elnora qui conduit. Moi, je me tiens accagnardé contre la portière, de façon à demeurer face à elle, l'arquebuse en pogne, toute poisseuse de ma sueur.

Bien joli, mais une telle situation peut-elle se prolonger ? Je te prends un exemple : va bien falloir qu'elle se rende aux chiches ? Je me vois mal brandir ma pétoire pendant que ses sphincters font relâche.

Difficile à solutionner.

Tu connais mon ange gardien (lequel est durement à la tâche en ce moment, et très peu à l'honneur) ? Il se manifeste sous l'apparence d'un vaste magasin rutilant de lumières ; sa façade grouille de personnages grandeur nature, évoquant le folklore cow-boy.

Je prie la belle Utérus de se ranger sur le parking attenant. Elle obéit. A ma demande, Alexandre-Benoît s'arrache à son début de dorme pour venir me remplacer.

— Si cette beauté tente quoi que ce soit, n'hésite pas à défourailler ! lui recommandé-je.

L'endroit se nomme Texas Shop. C'est un antre dans lequel tu dégauchis tout ce qui peut avoir trait à l'univers western. Je drague un moment entre les rayons débordants de camelote et ne tarde pas à trouver ce qu'il me faut : une paire de menottes réglementaires. Jamais lésiner sur son confort, je me bute à te le seriner !

De retour à la limousine-appartement, je passe la boucle d'une poucette à la cheville d'Elnora, et l'autre après la pédale du frein. Tout cela sans un mot.

Sa Majesté retourne se vautrer à l'arrière.

Cette fois, nous taillons le ruban pour de bon !

La tombée du jour nous prend à Savannah, en Géorgie.

Je décide une halte dans un motel moyen des faubourgs. Son enseigne verte et rose fait songer à un cornet de glace pistache-framboise.

Un jeune mulâtre aux tifs décolorés, occupé à construire une maquette d'avion de chasse allemand de la guerre de Quatorze, nous loue distraitement deux bungalows contigus.

J'installe mes éclopés dans l'un, réservant l'autre à ma prisonnière et à moi-même.

Il fallait bien que cela arrive : nous sommes en tête à tête dans une petite construction préfabriquée comportant une chambre équipée d'une kitchenette et d'une salle de douche avec gogues. L'endroit pue le rance et le Bulgomme moisi. Quelques bestioles du genre cloportes vident les lieux précipitamment. L'éclairage est chiche. Pour unique décoration : le poster d'une Hollandaise en costume, l'air aussi con que le moulin à vent de l'arrière-plan. Deux chaises d'osier, une table en bois blanc, un lit constituent le mobilier de l'apparte.

La môme qui s'assoit en soupirant, semble lasse, avec ses yeux cernés et ses traits accusés.

En cours de trajet, nous nous sommes arrêtés une seule fois pour faire le plein du réservoir et le vide de nos vessies. La double opération s'est déroulée sans encombre.

— On boit une bière ? questionné-je.

— Vous n'avez rien de plus fort ?

— Du bourbon ?

— Je préfère.

Ayant fait l'acquisition de quelques flasques, j'en décapsule une, la lui présente. Elle y pratique une ponction pour gardes-côtes dans la bourrasque. Ces filles ricaines ont la dalle en pente raide, je te le garantis.