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— À triompher du mal qui existe en chacun de nous ! Dieu nous offre les épreuves pour nous permettre de Lui montrer la profondeur de notre foi !

Il se tourna et articula quelques mots silencieux à destination de Mme Kernevel, qui répondit par un grand signe de tête.

L’orgue retentit aussitôt, suivi de la voix claironnante de M. Mouchotte. Le chœur attrapa le chant d’action de grâces en cours de route :

Notre Dieu fait toujours ce qui est bon pour l’homme,

Alléluia, bénissons-le !

Il engendre le corps des enfants de sa grâce,

Alléluia, bénissons-le !

Pour lui rendre l’amour dont il aime ce monde…

Les fidèles, un à un, rejoignirent le chœur. Il était difficile de savoir si le chant exerçait sur eux une fonction consolatrice, cicatrisante ou s’il n’était que l’expression observable de leur obéissance, mais le curé était heureux, il avait fait ce qu’il fallait.

Après l’envoi et la dernière prière, on le vit déplier un papier comme il le faisait ordinairement pour les annonces paroissiales.

— Pour tenter de retrouver notre cher petit Rémi Desmedt, une battue aura lieu demain matin. La gendarmerie appelle à y participer tous les bénévoles qui le pourront. Le rendez-vous est fixé devant la mairie à 9 heures.

Antoine fut assommé par cette annonce.

On allait ratisser le bois, on allait trouver Rémi. Cette fois, impossible d’y échapper.

L’information avait aussi produit son effet sur les fidèles, un brouhaha se fit, que le jeune prêtre calma d’un geste autoritaire.

Puis il se lança dans la bénédiction, il devait filer vers Montjoue, il n’était pas en avance.

8

À la sortie de l’église, les hommes posaient une main sur l’épaule de M. Desmedt et lui glissaient des mots empruntés. Bernadette était partie droit devant elle sans regarder personne. Quant à Valentine, leur fille, elle restait debout sur le trottoir d’en face, on se demandait ce qu’elle attendait. Les mains dans les poches de son blouson, elle regardait la foule quitter l’église avec une indifférence étudiée.

Antoine, lui, avait mal au ventre, il avait peur, il n’avait personne à qui parler, il se sentait effroyablement seul. Il n’avait pas traîné pour rentrer. Il s’était faufilé à travers les groupes.

Théo, entouré de sa cour habituelle, laissait encore filtrer quelques indiscrétions qui faisaient, autour de lui, écarquiller les yeux. Antoine poursuivit son chemin d’un pas pressé. Entre Théo et lui, l’inimitié se ressentait jusque dans l’air qui les enveloppait. Quand Antoine serait enfin confondu, Théo serait le roi du collège, de la ville, plus personne, jamais, ne pourrait discuter son autorité.

Antoine se sentait battu, écrasé, laminé.

Devant la porte du jardin, il se retourna et aperçut, loin derrière, sa mère qui avait pris le bras de Bernadette. Elles marchaient lentement.

La vision de ces deux silhouettes douloureuses lui fit un effet dévastateur : côte à côte Mme Desmedt, pleurant son fils assassiné, et Mme Courtin, la mère de l’assassin…

Antoine poussa la porte.

La maison était remplie de l’odeur de la volaille que sa mère avait glissée dans le four en partant. Au pied du sapin, il y avait quelques paquets qu’elle s’ingéniait toujours à déposer sans qu’il le remarque. Il n’alluma pas. La pièce resta seulement éclairée par la guirlande électrique intermittente. Il avait le cœur lourd.

Après l’épreuve de la messe, la perspective du réveillon maternel le terrassait.

Peu de choses échappaient à la manie de Mme Courtin de ritualiser tous les événements de la vie quotidienne et la soirée de Noël se déroulait de la même manière exactement chaque année. Ce qui, longtemps, avait été pour Antoine une joie sincère et naïve était devenu, au fil des années, une formalité, puis un pensum. Il faut dire, c’était terriblement long. On regardait le programme sur la Une, on dînait à 22 h 30, les cadeaux à minuit… Mme Courtin n’avait jamais fait la différence entre le réveillon de Noël et celui du jour de l’an, elle les organisait sur le même modèle, aux cadeaux près.

Antoine monta dans sa chambre chercher ce qu’il avait acheté pour sa mère. Ça aussi, c’était une sacrée tâche, de lui trouver chaque année quelque chose de différent. Il sortit de son armoire un paquet, il n’arrivait pas à se rappeler ce que c’était. L’étiquette dorée collée dans le coin indiquait « Tabac Loto Cadeaux — 11, rue Joseph-Merlin », c’était le magasin de M. Lemercier, il y avait une vitrine, à gauche en entrant, avec des couteaux, des réveils, des napperons, des carnets… Mais Antoine ne parvenait pas à se souvenir de ce qu’il y avait acheté cette année.

Il entendit sa mère pousser la porte du jardin, il dégringola l’escalier et posa son paquet avec les autres.

Mme Courtin accrochait son manteau.

— Oh, là, là, quelle histoire…

Le retour au bras de Bernadette l’avait retournée. Cette seconde nuit tombée sur l’absence du petit Rémi, cette messe, ce curé qui vous disait de vous préparer à affronter le pire, bon, il ne l’exprimait pas comme ça, mais c’était quand même l’intention, l’arrestation de quelqu’un qu’elle connaissait, tout cela faisait que Blanche Courtin butait sur quelque chose qui dépassait son entendement.

Elle ôtait son chapeau, accrochait son manteau, enfilait ses chaussons en hochant la tête.

— Je te demande un peu…

— Quoi ?

Elle attachait son tablier de cuisine.

— Enlever un petit bonhomme comme ça…

— Oh, arrête, maman… !

Mais Mme Courtin était lancée. Pour comprendre, elle avait besoin de se créer des images :

— Enfin, tu imagines ça, toi, enlever un gamin de six ans… ? Et pour quoi faire, d’abord… ?

Une vision l’assaillit. Elle se mordit le poing. Elle fondit en larmes.

Antoine, pour la première fois depuis des années, eut envie de venir près d’elle, de la prendre dans ses bras, de la rassurer, de lui demander pardon, mais le visage de sa mère, dévasté, lui retournait le cœur, il n’osa pas bouger.

— On va finir par le retrouver mort, ce petit, c’est sûr, mais dans quel état…

Elle avait replié les pans de son tablier de cuisine pour s’essuyer les yeux. Antoine, effondré, quitta la pièce, monta dans sa chambre en courant et se jeta sur son lit. À son tour, il éclata en sanglots.

Il n’entendit pas sa mère arriver. Il sentit seulement sa main qui se posait sur son cou. Il ne la chassa pas. Cet instant était-il celui des aveux ? Antoine, le visage plongé dans son oreiller, le désira plus que jamais, déjà il cherchait ses mots. Mais l’instant de la délivrance n’était pas arrivé.

Mme Courtin disait :

— Mon pauvre grand, ça t’en fait de la peine, à toi aussi, cette histoire… Il était sacrément gentil ce petit, quand même…

Maintenant, elle parlait de Rémi au passé. Elle resta ainsi un long moment à méditer sur cette cruauté, tandis qu’Antoine écoutait les battements du sang dans ses tempes, tellement sourds qu’il en avait mal à la tête.

Pour la première fois, le rituel de fin d’année fut bousculé.

Mme Courtin alluma la télévision, mais ne la regarda pas. Le chapon était aussi volumineux que les années précédentes (il fallait absolument qu’il ressemble à une dinde américaine, énorme, comme dans les dessins animés, on en mangeait toute la semaine), on se mit à table sans se soucier de l’heure.