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— Bon, je vais y aller, dit Antoine.

— Je rentre aussi…

Ils se mirent à marcher.

Émilie alluma une seconde cigarette dont l’odeur, mêlée à la fraîcheur de la nuit et au parfum discret qu’elle portait, était agréable. Antoine était presque tenté, c’était arrivé deux ou trois fois dans sa vie, il n’avait pas aimé mais il avait cédé. La tension de la fin de journée retombait, laissant derrière elle une intense fatigue. Une cigarette, pourquoi pas…

Émilie revenait à la conversation qu’ils avaient ébauchée plus tôt dans la soirée. Elle se déclara intriguée par le projet d’Antoine. L’humanitaire. Pourquoi ne voulait-il pas être un médecin… normal ? Ce qu’il aurait fallu d’énergie pour répondre à ça… Antoine coupa au plus court :

— Médecin de famille, c’est un peu ennuyeux…

Émilie hocha la tête. Elle butait sur quelque chose.

— Si tu trouves ça ennuyeux, pourquoi tu fais médecin ?

— Non, ce n’est pas être médecin qui m’ennuie, c’est devenir médecin de famille, tu vois…

Émilie approuva, mais quelque chose la dépassait dans cette théorie. Antoine la regardait discrètement. Mon Dieu, ces pommettes hautes, cette bouche, la racine des cheveux, là, dans la nuque, ce duvet blond… Elle portait un corsage dont les premiers boutons étaient ouverts, dévoilant le haut d’une poitrine qu’on devinait ferme, et lorsque Antoine se laissait très légèrement distancer, il apercevait sous sa robe un cul d’un galbe sidérant…

Elle parlait :

— Parce que, bon, quand même, médecin… Ça doit être drôlement intéressant de soigner des gens…

Il y avait quelque chose de douloureux à constater qu’une jeune femme si délicieuse, si sexy, puisse être aussi franchement sotte. Elle s’exprimait à l’aide de généralités, d’idées qui, comme elles lui arrivaient toutes faites et prêtes à l’emploi, n’avaient quasiment pas besoin de passer par sa tête. Sa conversation sautait, sans raison ni transition, d’un sujet à un autre qui tous concernaient le peu qu’elle connaissait : les habitants de Beauval. Pendant qu’Antoine la détaillait et mesurait, de très près, la perfection de certains détails (ses sourcils, ses oreilles, cette fille parvenait même à avoir des oreilles ravissantes, c’était inouï), Émilie était remontée à leur passé, leur enfance, leur voisinage, leurs souvenirs…

— J’ai plein de photos de nous à l’école ! Et au centre de loisirs… Avec Romane, Sébastien, Léa, Kevin… Et Pauline !

Elle parlait de gens dont Antoine avait du mal à se souvenir, mais qui, pour elle, semblaient parfaitement actuels. Comme si la ville et sa vie elle-même n’étaient rien d’autre que la cour de récréation quelques années plus tard.

— Ah, ces photos, il faudrait que tu les voies, c’est à crever…

Son petit rire résonnait dans la nuit, féminin, délicieux et insupportable. On ne voyait pas ce qui l’amusait à ce point.

Pour Antoine, ces photos de classe étaient loin de réveiller de bons souvenirs. L’image du petit Rémi Desmedt qui avait hanté son enfance avait été prise à cette occasion, c’était le rituel, ce jour-là on disciplinait votre mèche, on vous changeait de chemise, on partait à l’école comme pour un dimanche.

— Je t’en enverrai, si tu veux !

La proposition lui sembla si enthousiasmante qu’elle s’arrêta un instant. Il la dévisagea. Son beau visage triangulaire, ses yeux clairs, cette bouche veloutée…

— Bah oui, si tu veux…, répondit-il.

Une courte gêne s’installa. Antoine baissa les yeux, ils reprirent leur marche.

Du centre-ville, on percevait encore, au loin, les échos de la musique chez M. Lemercier. Près de la mairie, en peine de sujets de conversation, Antoine évoqua l’immense platane que la tempête avait abattu.

— Ah oui, dit Émilie, ce platane !

Elle laissa passer quelques secondes pendant lesquelles l’ombre du platane recouvrit la conversation puis elle ajouta :

— Ce platane, c’était un peu l’histoire de Beauval…

Antoine laissa filer, qu’est-ce que vous voulez dire… Ils restèrent silencieux de nouveau. La douceur d’août, la nuit, le vin, cette rencontre inattendue, cette fille ravissante, tout poussait à la confidence et à revenir sur des questions qu’il s’était posées.

— Quelles questions ? demanda-t-elle.

Sa voix exprimait une naïveté sans arrière-pensée.

— Eh bien, par exemple… Théo et toi… Ce qui s’est passé entre vous…

Cette fois, le petit rire clair d’Émilie ne lui fit rien.

— On avait treize ans !

Elle s’arrêta au milieu de la rue, se tourna vers lui, surprise.

— Bah… Tu ne vas pas être jaloux, si ?

— Si.

Ç’avait été plus fort que lui. Il regretta aussitôt ce réflexe qui était avant tout un mouvement d’humeur. Car au fond, c’est d’abord à lui qu’il en voulait, de s’être si longtemps laissé assujettir à son charme, sa séduction. Et il lui en voulait aujourd’hui de n’être que ce qu’elle était.

— J’étais très amoureux de toi…

C’était un constat simple et triste. Émilie trébucha, elle se retint à sa manche, mais la lâcha aussitôt, comme s’il s’agissait d’un geste que la situation rendait inconvenant. Antoine se sentit pris en faute.

— Ça n’est pas une déclaration, rassure-toi !

— Je sais bien.

Comme ils arrivaient devant sa maison, Antoine revit tout à coup le visage d’Émilie derrière la fenêtre, le jour de la grande tempête.

— Tu avais l’air très fatiguée… Tu étais aussi très jolie. Vraiment… très belle…

Cette confidence tardive la fit sourire.

Elle poussa la porte de la grille, s’avança jusqu’au fond du jardin et vint s’asseoir dans la balancelle qui grinça légèrement. Antoine la suivit. La banquette suspendue était beaucoup plus étroite qu’on pouvait le penser, ou peut-être penchait-elle un peu… Antoine sentit contre lui la hanche chaude et souple d’Émilie, il tenta de s’écarter, mais n’y parvint pas.

Émilie poussa légèrement du pied, ils se balancèrent. Une lumière pâle et jaune arrivait du réverbère de la rue. Tout était silencieux, ils ne parlaient pas.

Le mouvement de balançoire les rapprocha encore. Antoine fit alors quelque chose qu’il savait ne pas devoir faire, il prit la main d’Émilie, elle répondit en se serrant contre lui.

Ils s’embrassèrent. Ce fut tout de suite raté.

Il n’aima pas sa manière d’embrasser, le mouvement vorace de sa langue qui faisait penser à une exploration buccale, mais il poursuivit parce que finalement, ça n’avait pas d’importance puisqu’ils ne s’aimaient pas. Grâce à quoi, tout était plus simple.

C’était un flirt sans promesse, de l’amour familier, la conséquence d’années à se croiser sans se toucher. Ils pouvaient le faire aujourd’hui parce que rien ne les y obligeait. Ils étaient des amis d’enfance. Il y avait seulement entre eux une longue histoire à réduire. Pour en avoir le cœur net. Pour ne rien regretter. La petite fille qu’il avait tant désirée n’avait rien à voir avec la jeune femme ravissante et idiote qu’il avait dans les bras. Et dont, à cet instant, il avait terriblement envie.

C’était une situation fausse et ils le comprirent tous les deux mais en sachant aussi que maintenant, ce qui était commencé allait se poursuivre et se dérouler jusqu’à son issue normale et prévisible.

Antoine glissa sa main dans le corsage d’Émilie, trouva un sein d’une chaleur et d’une élasticité folles, elle répliqua en posant la sienne sur son entrejambe. Le baiser se poursuivit, maladroit et impétueux, la salive coulait sur leurs mentons, ils ne se détachaient pas l’un de l’autre pour ne pas avoir à se parler.