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Nounou se retrouva seule dans l’obscurité. Une torche tremblotait en haut du mur ; elle ne réussissait qu’à rendre les ténèbres environnantes plus menaçantes. D’étranges formes métalliques, conçues dans l’unique but élevé d’effectuer divers tests de résistance sur le corps humain, jetaient des ombres déplaisantes. Nounou Ogg s’agita dans ses chaînes.

« D’accord, dit-elle. Je vous vois. Qui vous êtes ? »

Le roi Vérence s’avança.

« J’vous ai vu faire des grimaces dans son dos, reprit Nounou Ogg. J’ai eu du mal à garder mon sérieux.

— Je ne faisais pas de grimaces, femme, je fronçais les sourcils. »

Nounou plissa les yeux. « Dites, j’vous connais, vous, fit-elle. Vous êtes mort.

— Je préfère le terme « trépassé ».

— J’vous saluerais bien[11]. Seulement, avec toutes ces chaînes et le reste… Vous auriez pas vu un chat dans le coin, des fois ?

— Si. Il est dans une pièce au-dessus, il dort. »

Nounou parut soulagée. « Alors, ça va, dit-elle. J’commençais à m’inquiéter, moi. » Elle fit à nouveau du regard le tour du cachot. « C’est quoi, ce gros machin comme un lit, là-bas ?

— Le chevalet », répondit le roi qui lui en expliqua l’usage. Nounou Ogg opina.

« Il arrête donc jamais, dans sa p’tite tête.

— Je crains, madame, d’être responsable de la situation fâcheuse où vous vous trouvez actuellement, dit Vérence qui s’assit sur une enclume à portée de fesses, ou du moins s’assit juste au-dessus. Je voulais attirer une sorcière.

— J’imagine que vous y connaissez rien en serrures ?

— Je crains que ce ne soit hors de mes compétences présentes… mais sûrement que… – le fantôme du roi fit de la main un geste vague qui englobait le cachot, Nounou et les chaînes – pour une sorcière, tout ceci n’est rien de plus que…

— Du fer solide, le coupa Nounou. Vous, vous pouvez peut-être passer à travers les murs, mais moi pas.

— Je ne me suis pas rendu compte, dit Vérence. Je croyais que les sorcières faisaient de la magie.

— Jeune homme, trancha Nounou, vous m’obligeriez en la fermant.

— Madame ! Je suis roi !

— Et vous êtes mort aussi, alors j’éviterais d’émettre des avis à votre place. À présent vous vous taisez et vous attendez, comme un gentil garçon. »

Malgré ce que lui dictait son instinct, le roi se surprit à obéir. On ne la contredisait pas, cette voix-là. Elle résonnait par-delà les années, depuis ses premiers jours à la nourricerie. Son écho lui disait que s’il ne finissait pas son assiette, il filerait se coucher tout de suite.

Nounou Ogg s’agita encore dans ses chaînes. Elle espérait qu’ils ne tarderaient pas à venir.

« Euh… fit le roi, gêné. Je crois que je vous dois une explication… »

* * *

« Merci, dit Mémé Ciredutemps qui ajouta, parce que Shawn avait l’air d’attendre ça : T’es un brave petit.

— Oui, m’am, fit Shawn. M’am ?

— Y a autre chose ? »

Shawn triturait le bout de sa cotte de mailles, embarrassé. « C’est pas vrai ce qu’on raconte sur not’mam, vous savez, m’am, dit-il. Elle s’amuse pas à jeter des mauvais sorts au monde. Sauf à Daviss, le boucher. Et à la vieille Cakepain qu’avait donné un coup de pied à son chat. Mais c’était pas ce qu’on pourrait appeler des vrais sorts, hein, m’am ?

— Tu peux arrêter de m’dire m’am.

— Oui, m’am.

— On a raconté ça, alors ?

— Oui, m’am.

— Ben, ta m’man, des fois, ça y arrive de fâcher les gens. »

Shawn dansait d’un pied sur l’autre.

« Oui, m’am, mais on raconte aussi des affreusetés sur vous, m’am, sauf vot’respect, m’am. »

Mémé se raidit.

« Quoi donc ?

— Ça m’gêne de l’dire, m’am.

— Quoi donc ? »

Shawn réfléchit sur la marche à suivre. Il n’avait guère le choix.

« Des tas de choses qui sont pas vraies, m’am, dit-il, préférant donner au plus vite son point de vue. Toutes sortes de choses. Comme : le vieux Vérence était un mauvais roi et vous l’avez aidé à monter sur le trône, c’est à cause de vous qu’y a eu l’mauvais hiver l’année passée, et quand vous avez regardé la vache à la vieille Nonmais, elle a plus donné d’iait, la vache. Rien que des menteries, m’am, ajouta-t-il sincèrement.

— C’est vrai », fit Mémé.

Elle ferma la porte au nez du soldat essoufflé, resta un instant plongée dans ses réflexions et regagna son rocking-chair.

« C’est vrai », répéta-t-elle enfin.

Un peu plus tard, elle ajouta : « C’est une vieille bourrique, mais on va pas laisser les gens s’amuser à embêter les sorcières. Une fois qu’on a perdu le respect, il reste plus rien. Je m’souviens pas d’avoir regardé la vache à la vieille Nonmais. C’est qui, d’ailleurs, la vieille Nonmais ? »

Elle se leva, prit son chapeau pointu au crochet sur la porte, s’en coiffa, se regarda d’un œil noir dans la glace et embrocha férocement le couvre-chef d’une rafale d’aiguilles pour le faire tenir en place. Elles s’enfoncèrent une à une, aussi irrésistibles que la colère de Dieu.

Elle disparut un moment dans l’appentis et en ramena sa cape de sorcière qui servait de couverture aux chèvres malades quand elle-même n’en avait pas l’utilité.

Jadis elle était en velours noir ; elle n’était plus que noire.

Mémé se l’attacha lentement et soigneusement à l’aide d’une broche en argent ternie.

Aucun samouraï, aucun chevalier partant en quête ne s’était jamais vêtu avec autant de cérémonie.

Mémé se redressa enfin, inspecta son reflet sombre dans le miroir, s’adressa un petit sourire approbateur et sortit par la porte de derrière.

L’impression de menace qu’elle dégageait ne fut que légèrement dissipée par le bruit de ses galopades dans un sens puis dans l’autre devant la chaumière, tandis qu’elle essayait de faire démarrer son balai.

* * *

Magrat aussi s’examinait dans la glace.

Elle avait exhumé une robe d’un vert ahurissant, taillée pour être à la fois moulante et décolletée et qui aurait atteint son objectif si Magrat avait eu quelque chose à mouler ou à mettre dans le décolleté. Elle s’était donc fourré deux chaussettes roulées en boule aux endroits stratégiques dans un effort pour pallier les lacunes les plus évidentes. Elle avait également recouru à un charme pour ses cheveux, mais ils étaient naturellement allergiques à la magie et déjà leur aspect d’origine faisait valoir ses droits (une aigrette de pissenlit semée à tous vents).

Magrat avait aussi fait appel au maquillage. Ce n’était pas un franc succès. Elle manquait de pratique. Elle commençait à se demander si elle n’avait pas forcé sur le fard à paupières.

Son cou, ses doigts, ses bras portaient à eux tous assez d’argenterie pour forger un service de table au grand complet, et par-dessus tout ça elle avait jeté une cape noire doublée de soie rouge.

Sous une certaine lumière et un angle bien choisi, Magrat n’était pas sans attrait. Qu’une seule de ces mesures y fût pour quelque chose, on pourrait en discuter, mais elles témoignaient qu’un léger vernis de confiance recouvrait son cœur palpitant.

Elle se redressa, se tourna d’un côté, puis de l’autre. Les amulettes, bijoux magiques et bracelets cabalistiques accumulés un peu partout sur son anatomie s’entrechoquèrent ; il aurait fallu qu’un ennemi éventuel fût aussi sourd qu’aveugle pour ne pas remarquer qu’une sorcière approchait.

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11

Les sorcières ne font jamais la révérence.