Si c'est pas malheureux. » Moi j'ai voulu lui dire merci, mais impossible d'articuler! Je me suis dit, me voilà bien pour confesse. Le sandwich était au jambon, je l'ai lâché et il est tombé par terre, l'ouvrier n'a pas eu l'air content. Bon, ce qui a fait que je me suis levée de mon banc, et avec quelles difficultés, c'est quand j'ai vu la photo qu'ils ont collée sur le panneau tout neuf. C'était moi. C'est-à-dire qu'au début, je me suis dit que cette personne me faisait penser à quelqu'un. Un des ouvriers me regardait d'un drôle d'air. Ça m'a aidée à comprendre. L'ouvrier m'avait reconnue, ou plutôt je crois qu'il avait reconnu la robe. La robe rendait bien, sur la photo, mieux en tout cas que sur moi parce qu'elle était déjà toute tachée de jus de gland et de terre. La pluie s'est mise à tomber. Ça brouillait un peu ma vue mais je crois que je pleurais aussi. La robe était très belle, rouge avec de petits festons et un tablier blanc sur le devant; et moi j'avais un peu de mal à me reconnaître, mais le regard sur la photo ne trompait pas. C'est-à-dire que ce que j'ai cru voir d'abord, c'est un cochon habillé dans cette belle robe rouge, un cochon femelle en quelque sorte, une truie si vous y tenez, avec dans les yeux ce regard de chien battu que j'ai quand je suis fatiguée. Vous comprendrez pourtant que j'avais du mal à me reconnaître là-dedans. Ensuite j'ai cru me rendre compte que ce n'était qu'une illusion d'optique, que la couleur très rouge de la robe me donnait ce teint très rose sur la photo, beaucoup plus rose que je n'étais en réalité malgré mes allergies à répétition; et que cette impression de groin, et d'oreilles un peu proéminentes, et de petits yeux et tout ça, n'était due qu'à l'atmosphère campagnarde qui se dégageait de l'affiche, et surtout à ces kilos en trop que j'avais. Prenez une jeune fille bien saine, mettez-lui une robe rouge, faites-lui prendre du poids et fatiguez-la un peu, et vous verrez ce que je veux dire. Une fois que j'ai eu démonté l'illusion, je me suis effectivement reconnue sur l'affiche. Alors j'ai pris la ferme décision de maigrir, et de me ressaisir un peu. Cette photo m'a aidée à me lever. Cette photo m'a aidée à comprendre qu'il fallait que je me lave, que je quitte ce banc, et que je reprenne les choses en main. Ça me fatiguait à l'avance mais il fallait que je le fasse. En ce sens je dois une fière chandelle à Edgar. J'ai décidé d'aller à la messe. Là, devant l'église j'ai compris que je devenais un peu bête, parce que la messe bien entendu c'est le dimanche, et que je venais de voir travailler des ouvriers. On devait être lundi ou mardi alors, peut-être mercredi. J'avais raté le passage d'Honoré, ou alors je ne l'avais pas reconnu. Je me suis rendu compte que je ne me souvenais plus très bien du visage d'Honoré, j'avais beau me concentrer, son image fuyait dans ma mémoire. L'église était ouverte. J'ai poussé la porte. J'ai fait le signe de croix au-dessus du bénitier et ensuite j'ai voulu m'agenouiller pour prier. Le croirez-vous, je n'arrivais pas à retrouver la suite, après «