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Que ton nom soit sanctifié»! Je devais avoir l'air tellement désemparée qu'un curé s'est approché de moi et m'a demandé ce que je faisais là. Je lui ai dit que je voulais me confesser. On est entrés dans le machin. Je ne sais pas pourquoi, je me sentais mal à l'aise dans cette église, pour tout dire déplacée. J'avais laissé mes sacs plastiques à l'entrée, je me rendais bien compte qu'ils ne faisaient pas très bon effet. La haute voûte et tout ça, c'était beau mais ça ne me donnait pas l'élévation voulue. C'était peut-être la présence de ce curé. Je l'entendais renifler de l'autre côté de la grille, heureusement qu'ils avaient installé des hygiaphones sinon j'aurais eu peur d'attraper son microbe. Le curé m'a demandé si j'étais malade. J'ai dit que je n'étais pas malade mais que je me sentais bizarre. Le curé m'a dit de prier et de me repentir. Je me suis repentue aussi fort que j'ai pu. Ça faisait très longtemps que je n'étais pas allée à confesse, depuis ma première communion en vérité, mais ça m'avait marquée cette histoire, j'avais senti à l'époque que ça m'avait fait beaucoup de bien de manger le corps du Christ. Je voulais manger ça à nouveau. Mais le curé n'a pas voulu m'en donner. Il m'a dit que je ne lui avais pas tout raconté. Il m'a dit qu'il y avait beaucoup de maladies qui traînaient et qu'elles punissaient seulement ceux qui avaient péché; et que ça se voyait sur mon visage que j'étais malade. A travers l'hygiaphone je distinguais qu'il pressait un mouchoir contre son nez. Le visage du curé était tout déformé par la double vitre, ça lui faisait des yeux à fleur de tête et un museau de chien, et des sortes de plis troubles, des dédoublements. Le curé me scrutait pour ainsi dire. Je ne voyais pas ce que je pouvais lui raconter de plus. J'essayais de me concentrer, mais je n'y arrivais pas, c'était son regard, au curé, et puis l'odeur de sa robe noire, l'odeur de sa peau aussi. Cette odeur très fade m'arrivait avec une intensité curieuse, de même que l'odeur de l'encens et des vieux tableaux pendus aux murs, et l'odeur du salpêtre, et celle des rameaux de buis sec. Il faisait froid et humide dans cette église, et très sombre, je voyais de moins en moins bien le curé et j'avais envie d'éternuer, et de me rouler en boule sur mon siège et de dormir. «Sortez!» m'a dit le curé. Je l'ai payé à travers le guichet et je suis sortie. On m'avait volé mes sacs, mais ça m'était égal. Être dehors me faisait du bien. Je n'ai pas voulu voir un médecin tout de suite, ça faisait assez de réinsertion pour la journée. Je me sentais très fatiguée. Je suis retournée sur mon banc et je me suis recroquevillée. J'ai dormi. Il pleuvait toujours. Quand je me suis réveillée il y avait une éclaircie dans le ciel et le soleil était à la moitié de son chemin, le vent sentait le soir. J'ai eu honte. Ça n'était pas comme ça que j'allais redevenir un peu présentable, toute mouillée que j'étais à ne faire que dormir sur mon banc. Après tout, maintenant que j'avais perdu mon travail à la parfumerie, il faudrait sans doute que j'en retrouve un autre dès que ma provision d'argent serait épuisée. Je me suis levée et j'ai marché autant que j'ai pu. Ma nuque et mes hanches, et le creux de mes reins, me lançaient. Il fallait que je m'arrête souvent et que je rentre les épaules dans la poitrine pour soulager un peu la tension dans mon dos. Petit à petit je me suis mise à marcher courbée, je me voyais dans les vitrines. J'avais une drôle de touche. Je suis arrivée à la parfumerie. Je ne savais pas trop ce que je faisais là. J'ai reniflé dans le vent et j'ai senti l'odeur d'une femme en sueur parfumée au Yerling, et l'odeur caractéristique des jours d'affluence, huile de massage et sperme froid. Je me suis assise sur un banc dans le square. La dame en noir était là, mais elle n'a pas eu l'air de me reconnaître. J'ai replié mes jambes sous moi pour avoir moins mal au dos et j'ai creusé la poitrine. Je sentais mes seins pendre, ils étaient lourds et douloureux. J'avais du mal à les porter, c'était peut-être ça qui me donnait si mal au dos quand je marchais. Du banc on voyait la vitrine. Pour le moment la parfumerie semblait vide, on avait tiré le rideau de soie doublée. Il devait y avoir une séance de massage dans l'arrière-boutique, dans le beau salon plein de sofas dorés, de gris-gris de luxe pour la puissance et de diffuseurs d'encens aphrodisiaque. J'avais l'impression d'y être, je voyais tout très nettement dans mes yeux, il suffisait que je fixe le rideau et j'avais la sensation de voir au travers, de le percer. Connaissant les exigences du directeur le choix avait dû être difficile pour me remplacer, il fallait être à la hauteur. Tout ce que je regrettais, c'est de ne pas avoir suivi la formation de
chiromancienne, je crois que c'est comme ça qu'on dit. C'est-à-dire, j'avais fait le stage de manucure en cours du soir et tout, mais le nec plus ultra c'était de savoir lire dans les lignes de la main. Comme je n'avais pas fait d'études le directeur m'avait promis de me faire obtenir au moins ce diplôme à la Grande Université du Centre-Ville, où il avait des relations. Pour le directeur cela aurait encore augmenté le standing de sa chaîne d'avoir des vendeuses diplômées. Ça avait au moins ça de bon, la parfumerie, une formation solide, et quand on y pensait ce n'était pas un mauvais métier. Ça me rendait triste de me dire que désormais je resterais bête et inculte. Je me demandais ce que j'allais devenir, mais quand je touchais la liasse de billets dans ma poche ça me rassurait, je me disais que j'avais le temps d'y réfléchir et que finalement j'étais tout de même arrivée à quelque chose dans la vie. La vitrine s'est illuminée à travers le rideau et j'ai flairé la vendeuse qui m'avait soi-disant coiffée, à l'Aqualand. En plus d'arrondir ses fins de mois là-bas cette garce avait monté en grade à l'intérieur de la chaîne et m'avait donc piqué ma place. Ça m'a fait mal de voir comme elle était belle et comme le client qui l'accompagnait lui bourrait le derrière avec satisfaction. Malgré le rideau je voyais, j'avais comme un sixième sens bizarre, de nouveaux yeux. Le client était un ancien client à moi, un de ces clients très chic et très vieux avec des goûts très vicieux et qui paient très cher pour les onguents, les godemichés et les gris-gris de luxe. Je le devinais derrière le rideau, c'était lui et pas un autre, un des meilleurs clients de la boutique; je percevais une sorte d'odeur de vieux papier et comme un tremblement de l'air autour de lui. Après tout, la vendeuse, si ça lui plaisait comme clientèle, je la lui laissais sans regret. Et puis j'ai senti une présence connue qui descendait du bout de la rue, et j'ai vu le marabout se diriger vers la boutique. Depuis quelque temps il fournissait la chaîne en produits africains, il savait se faire discret vis-à-vis de la clientèle chic et il avait abandonné ses affreux vêtements indigènes. En échange le directeur faisait des prix au marabout sur les crèmes ultra-blanchissantes pour peaux noires de chez Loup-Y-Es-Tu, et sur tous les services proposés par les vendeuses de la chaîne. Je voyais qu'il en profitait, le cochon, ça me faisait un peu mal quand je repensais à l'excellente semaine que nous avions passée ensemble. Cette pétasse de vendeuse, qu'on pouvait renifler à cent mètres comme toutes les rouquines, et ça malgré tous les Yerling du monde, je me demande ce que le marabout pouvait bien lui trouver. Le marabout vendait ses talents de médium, pourtant il est passé devant moi sans me voir alors que moi je l'avais tout de suite détecté dans la rue. Ça m'a déçue de sa part. Mais à ma grande surprise le marabout n'est pas entré dans la boutique. Il s'est assis à côté de la dame en noir. Ils ont parlé longuement tous les deux, et puis ils sont partis ensemble. Le square est resté vide. Je me suis sentie tout à coup extraordinairement seule. J'ai entendu un petit grincement familier, à peine perceptible pourtant. C'était le rideau électrique de la boutique qui fermait. J'ai senti le parfum de la sueur et du Yerling se mouvoir dans la rue. Le soleil se couchait. J'y voyais très mal à nouveau, trouble, comme si j'étais atteinte de la myopie des pipistrelles. Les pipistrelles s'éveillaient autour de moi. Ça faisait un vacarme d'enfer. J'entendais, en haut des arbres, les plumes des moineaux se froisser dans leur sommeil précoce, leurs paupières battre soyeusement dans les derniers réflexes de la veille, et je sentais leurs rêves glisser sur ma peau avec les derniers rayons du couchant. Ça faisait des rêves d'oiseaux partout dans l'ombre tiède des arbres; et des rêves de pipistrelles partout dans le ciel, parce que les pipistrelles rêvent même éveillées. Ça m'émouvait tous ces rêves. Un chien s'est approché de moi pour pisser et j'ai senti qu'il voulait me parler pour ainsi dire, et puis il s'est ravisé et a rejoint prudemment son maître. J'ai senti la solitude au creux de la poitrine, là, avec violence, avec terreur, avec jouissance; je ne sais pas si vous pouvez comprendre tout ça en même temps. Il n'y avait plus rien qui me retenait dans la ville avec les gens. J'aurais pu m'envoler comme les oiseaux si je n'avais pas été si lourde. Mais mon derrière, mes seins, toute cette chair m'accompagnait partout. En plus de la douleur dans l'échiné j'avais mal dans la poitrine, je ne voulais pas soulever ma robe pour voir où en étaient les taches, et ma nouvelle mamelle tirait douloureusement sous la peau, comme à la puberté. Je me suis courbée en avant et toute cette douleur a disparu. Ma robe tenait raide autour de moi, elle sentait bon la sueur fraîche, la chair vivante, le sexe chaud. Je me suis roulée dans mon odeur pour me tenir compagnie. Les oiseaux se sont tus. J'ai senti la nuit tomber sur ma peau. J'ai glissé du banc et j'ai dormi là, par terre, jusqu'à l'aube. Il y avait les rêves des oiseaux dans mes rêves, et le rêve que le chien avait laissé pour moi. Je n'étais plus si seule. Je ne rêvais plus de sang. Je rêvais de fougères et de terre humide. Mon corps me tenait chaud. J'étais bien. Quand le soleil s'est levé j'ai senti la lumière couler le long de mon dos et ça a fait du jaune vif dans ma tête. Je me suis dressée sur mes pattes. J'ai secoué la tête et étiré les jarrets. Sous mon visage, mes deux mains étaient plantées dans le sol. Elles n'avaient plus que trois doigts. J'ai mis tout mon poids sur la main gauche et j'ai pu dégager la droite. J'ai secoué la terre qui la maculait, je me suis tout entière ébrouée. Ma main avait cinq doigts à nouveau. J'avais mal vu, mais j'ai eu très peur tout à coup. J'ai repensé à ce que je n'avais pas voulu voir dans le miroir du marabout, à la petite queue vissée en spirale sur mon derrière. Je me suis mise à trembler. Ma main était comme engourdie, recroquevillée, et je n'arrivais pas à l'ouvrir entièrement. J'ai secoué la main gauche, et j'ai vu que le petit doigt, l'auriculaire comme on dit, avait raccourci. L'ongle était long et dur, très épais, et tous les autres ongles pareil. Je ne les avais pas manucures depuis longtemps il faut dire, mais pour l'auriculaire on aurait presque dit qu'il manquait une phalange, ou que du moins le bout du doigt s'était comme atrophié en corne dure. Pour le stage de chiromancienne, alors, je n'avais plus rien à regretter. J'ai pris une profonde inspiration et je me suis dressée, ça m'a presque arraché un cri. Le soleil montait dans le ciel. Ma robe était toute déchirée par les buissons, j'avais dû beaucoup ruer dans mon sommeil.