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Là où j'ai repris le dessus, c'est quand il y a eu cette invasion de piranhas. Tout le monde a fichu le camp. J'ai bien été obligée de partir moi aussi. Il y a de plus en plus de gens maintenant qui adoptent des animaux incroyables et puis quand ils en ont assez, hop! dans les égouts. Quand j'ai vu les piranhas et que j'ai senti les premières morsures, ça a fait comme une onde de terreur en moi, je n'ai plus du tout contrôlé ce que je faisais et j'ai fui vers le dehors. Je ne savais pas que je tenais encore à ce point à la vie. Ça m'a comme qui dirait réveillée. Mes neurones se sont remis en place. A l'extérieur, à l'air, j'ai réussi à me calmer, à retrouver quelque peu mes esprits. J'ai pu me remettre debout. Il devenait urgent de trouver des vêtements si je devais à nouveau marcher dans cette ville, et je me suis acoquinée avec un groupe de clochards. C'a été un peu dur au début. Moi, j'avais une bonne odeur franche et forte, ça les enivrait ce parfum de campagne; mais l'odeur des citadins pas lavés, j'avoue que j'ai du mal. Et puis ça faisait longtemps qu'ils n'avaient pas côtoyé une femme, surtout aussi mafflue que moi. Ils en ont profité, ça se comprend. Ils m'ont quand même donné une espèce de gabardine, et un peu à manger. Le soir, au bord des rails où ils dormaient, le grand jeu c'était d'échapper au

SAMU-SDF, mes potes les clochards ne voulaient surtout pas qu'on les embarque. Avec moi ils avaient tout ce qu'ils voulaient finalement, en plus je faisais leur tambouille, et je n'étais pas bavarde, je les comblais pour ainsi dire. J'ai retrouvé une certaine dignité à vivre avec eux. Ceux qui avaient voté avaient choisi Edgar et ils attendaient qu'Edgar vienne les voir. J'ai fait sensation quand j'ai réussi à articuler que je connaissais Edgar. Je ne sais pas ce qui les a le plus épatés, que je parle tout à coup, ou que je connaisse Edgar. J'ai voulu leur donner une preuve, on a trouvé une vieille affiche toute miteuse collée sur un mur de la gare, mais ils ont eu beau comparer, ils ne me reconnaissaient pas. Moi je me reconnaissais très bien, ça m'a rendue triste qu'ils ne me reconnaissent pas. Le soir j'ai eu droit à une raclée pour avoir menti. Pour une fois que je parlais. J'en ai eu un peu marre de mes potes les clochards. Pour leur apprendre, je me suis dit qu'il fallait que je retrouve Edgar et que je revienne les voir bien habillée et bien coiffée avec un tout nouveau travail. Un soir je leur ai faussé compagnie et je suis montée dans la camionnette du SAMU-SDF. Là ils m'ont dit que les seuls métiers publics accessibles aux femmes désormais c'était assistante privée ou accompagnatrice de travels. Toutes les parfumeries allaient être fermées pour le respect des bonnes mœurs et je me suis fait du souci pour le directeur de la chaîne. Mais ils m'ont dit qu'en connaissant les bonnes personnes je parviendrais sans doute à trouver une place de nourrice dans les beaux quartiers, ou de masseuse du Palais, seulement il fallait être très jolie pour ça. Ça m'a un peu vexée qu'ils se croient obligés de préciser. Ils m'ont aussi dit qu'eux, le SAMU-SDF, ils allaient bientôt disparaître, que je faisais bien d'en profiter maintenant, qu'ils allaient me donner à manger chaud et des vêtements corrects. Le chauffeur m'a dit que si j'avais besoin de tomber enceinte pour devenir nourrice il pouvait me proposer ses services. C'est là que j'ai compris que rien n'était encore perdu et que je pouvais encore plaire dans mon genre. Mais je n'ai pas réussi à tomber enceinte. Ça devait être au mauvais moment par rapport à mes chaleurs, je ne saisissais toujours pas très bien le mécanisme. Je suis restée plusieurs jours au