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pneumatique, et là il faut bien avouer que je le perdais peu à peu. Encore un mois ou deux, et je ne pourrais plus du tout entrer dans ma blouse, mon ventre déborderait, et déjà ce n’était plus si excitant que ça aux bretelles et au décolleté, la chair ressortait trop. Au premier déstockage, un an tout juste après mon embauche, j’ai eu droit à des fonds de poudre, et je m’en suis mis tous les matins, ça atténuait un peu mon côté fermière à joues rouges. J’ai pu tenir encore un mois. Je grossissais de partout, pas seulement du ventre. Et mon ventre ne ressemblait pas du tout à celui d’une femme enceinte, ce n’était pas un beau globe rond mais des bourrelets que j’avais. J’avais quand même déjà vu des femmes enceintes, je savais à quoi ça ressemblait. Ma mère elle même il n’y avait pas si longtemps que ça, avait attendu le cinquième mois avant de se faire avorter en pleurant, on avait trop besoin de son salaire à la maison. Je ne mangeais presque plus. J’avais des éblouissements le jour, des rêves absurdes toutes les nuits. Honoré se disait gêné par mes grognements, ensuite ça a été des cris perçants et il n’a plus supporté de dormir avec moi. Je dormais dans le salon. C’était plus confortable pour tous les deux, je pouvais me vautrer sur le côté comme j’aimais et ronfler. Je dormais pourtant de plus en plus mal, j’avais des poches sous les yeux que je tentais d’effacer à coups d’anti-cernes Yerling, deux tubes gratuits reçus pour les étrennes. Mais l’anti-cernes était périmé et s’effritait, j’avais vraiment une drôle de touche. Il me venait des angoisses terribles à l’idée de cet avortement. Ils ne sont pas tendres avec les avortées. On dit même qu’on ne gâche pas une anesthésie pour ces femmes-là, elles n’ont qu’à faire attention. Et puis il y a toujours ces commandos qu’il faut craindre, je n’étais pas très au courant. A l’époque je ne suivais pas les informations. Maintenant je suis très loin de tout ça, fort heureusement. Je suis allée à la clinique. J’avais revendu en sous-main des rouges à lèvres ultra-chics, je tremblais de me faire prendre. Je ne suis restée que six heures, le directeur de la chaîne n’a déjà pas du tout apprécié cette demi-journée fuchue par terre. Il y avait un type enchaîné aux étriers de la table d’opération, il psalmodiait quelque chose, mais ce crétin s’était enchaîné trop bas, il ne gênait pas vraiment. Il a été obligé d’assister à tout, et quand la police est arivée pour couper ses chaînes – vu qu’il avait avalé la clé – il était tout couvert de mon sang. A la clinique ils lui ont dit qu’il ne ferait pas de vieux os s’il continuait à avaler des clés. A moi ils m’ont dit que si je ne faisais pas attention, après ces deux curetages je risquais de devenir stérile. Ils m’ont aussi dit qu’ils n’avaient jamais vu un utérus aussi bizarrement formé, que je ferais bien de m’en soucier un peu, qu’il y a des tas de maladies qui traînent. Ils ont même gardé l
’hystérographie pour l’étudier de près. Le type m’a raccompagné. Il était tout pâle. Il m’a dit que j’étais damnée pour toujours, que je ne pouvais pas, malheureuse que j’étais, imaginer les conséquences de mon acte, que j’étais une fille perdue. Moi je m’en fichais de ce qu’il disait, je m’appuyais sur son bras pour rejoindre la parfumerie. Il était gentil au fond, sans lui je n’aurais jamais pu marcher. Je me demandais comment j’allais faire pour ne pas mettre du sang partout et pour tenir le coup avec les clients. J’ai relevé le rideau de fer. Quand le type a vu l’enseigne, il est devenu encore plus pâle. Il s’est écarté et il a pointé deux doigts sur moi, il a dit que j’étais une créature du diable. "Là, là!" il a hurlé. Il me regardait tout à coup, il me scrutait pour ainsi dire. "La marque de la Bête!" il a hurlé. Moi ça m’a un peu retourné, qu’on puisse dire ça en me regardant. Le type s’est enfui en courant. Je me suis regardée dans la glace. Je n’ai rien remarqué d’anormal. Pour une fois j’étais pâle, on ne pouvait plus penser à une fermière rougeaude. Finalement cette saignée m’avait fait du bien.