Je me suis mal habituée à ce nouveau rythme de mon corps. J'avais mes règles tous les quatre mois environ, précédées juste avant d'une courte période d'excitation sexuelle, pour appeler un chat un chat. Le problème c'est que si ma nouvelle clientèle s'était désormais bien implantée, il restait encore quelques anciens habitués. J'étais obligée, d'un côté de faire comme si j'étais constamment dans cet état d'excitation, de l'autre de simuler toujours la froideur. C'était fatigant. Je m'embrouillais dans mes états, dans les moments où il fallait que je simule ou que je dissimule. Ça n'était plus une vie. Je ne pouvais jamais être au diapason de mon corps, pourtant Gilda Mag et Ma beauté ma santé, que je recevais à la parfumerie, ne cessaient de prévenir que si on n'atteignait pas cette harmonie avec soi-même, on risquait un cancer, un développement anarchique des cellules. De plus en plus, je me réfugiais dans le petit square entre deux clients, je les faisais patienter un peu. Je prenais des risques avec le directeur, mais je n'en pouvais plus. Je subtilisais les crèmes conseillées par les magazines et je les étalais soigneusement sur ma peau, mais rien n'y faisait. J'étais toujours aussi fatiguée, ma tête était toujours aussi embrouillée, et le gel micro-cellulaire spécial épiderme sensible contre les capitons disgracieux de chez Yerling ne semblait même pas vouloir pénétrer. Honoré disait qu'il était bien le seul. Honoré devenait vulgaire, il se doutait vraiment de quelque chose. En plus de développer une profonde graisse sous-cutanée ma peau devenait allergique à tout, même aux produits les plus chers. Elle épaississait fort disgracieuse-ment et se révélait hypersensible, ce qui était un bonheur quand j'avais, pour parler crûment, mes chaleurs, mais un vrai handicap pour tout ce qui concernait les maquillages, les parfums et les produits ménagers. Or dans mon métier ou pour tenir la maison d'Honoré, j'étais pourtant bien obligée d'en faire usage. Alors ça ne ratait pas: je me couvrais de plaques rouges, et après la crise ma peau devenait encore plus rose qu'avant. Et j'avais beau passer toutes les crèmes du monde sur mon troisième téton, rien n'y faisait, il ne voulait pas disparaître. Quand j'ai commencé à voir enfler comme un vrai sein par-dessous, j'ai cru que j'allais m'évanouir. Si cela continuait, il allait falloir que j'aille en clinique me faire opérer, et je n'avais pas un sou vaillant. Les magazines féminins fournissaient des adresses de chirurgiens esthétiques, en sous-entendant que pour les cas les plus gracieux ils savaient être obligeants, mais je ne voulais pas me lancer à nouveau dans des histoires à n'en plus finir. J'avais un terrible besoin de calme. Je ne répondais plus à aucune invitation en week-end. Ce n'était pas que ces vastes maisons à la campagne ne me faisaient pas envie, mais comme on dit, chat échaudé craint l'eau froide. Une grange, une étable même m'auraient très bien convenu, mais seule, tranquille. Je grognais toujours dans mon sommeil, une fois même je dois avouer que j'ai uriné sous moi. Je voyais bien qu'Honoré résistait à l'envie de me jeter dehors. Je lui sais encore gré de sa bonté, de sa patience, rien ne l'obligeait à me garder puisque je ne l'attirais plus sexuellement. J'ai même téléphoné à ma mère pour savoir si je pouvais retourner chez elle au besoin, mais elle a éludé la question. J'ai appris par la suite que ma mère avait gagné une petite somme au Loto et qu'elle comptait s'installer à la campagne, mais elle ne voulait rien m'en dire pour être sûre que je ne vienne pas faire le parasite. Mes journées pour le moment se passaient à guetter la moindre minute où je pourrais m'échapper entre deux clients. Le directeur m'avait reproché un certain laisser-aller vestimentaire, mais il ne se rendait pas compte que ma vieille blouse, qu'il avait cru bon me laisser, n'était plus du tout aussi sexy qu'avant. Elle était beaucoup trop étroite, le blanc s'était terni et mes bourrelets avaient fait craquer trop de coutures. J'avais sans doute l'air un peu minable. J'étais tellement fatiguée. Mes cheveux se hérissaient comme du crin et tombaient par poignées, ils devenaient difficiles à discipliner. Je mettais des baumes, je me faisais des mises en plis cache-misère, mais mon manque de goût pour tout ça devenait, lui, nettement perceptible. J'avais toujours des éruptions cutanées impossibles à dissimuler puisque je ne pouvais plus supporter ni la poudre ni les fonds de teint; et bien entendu je ne me maquillais plus, plus de rimmel, plus de mascara, c'étaient tous ces produits qui me donnaient des allergies. Mes yeux dans le miroir me semblaient maintenant plus petits et plus rapprochés qu'avant, et sans poudre mon nez prenait un petit air porcin tout à fait désastreux. Il n'y avait que le rouge à lèvres que je supportais encore. Le directeur de la chaîne m'a forcée à baisser mes prix, et pour ne pas nuire à l'entreprise j'ai dû réduire mon pourcentage, je ne gagnais plus que de quoi payer les transports en commun et la nourriture, le reste je le donnais à Honoré pour le loyer. La clientèle s'est mise à changer de nouveau. Comme les prix baissaient et que j'avais l'air moins chic, moins difficile aussi, les meilleurs clients se sont offusqués et sont partis. Le pire, je vous l'ai encore caché. Le pire, c'était les poils. Ils me venaient sur les jambes, et même sur le dos, de longs poils fins, translucides et solides, qui résistaient à toutes les crèmes dépilatoires. J'étais obligée d'utiliser en cachette le rasoir d'Honoré, mais à la fin de la journée je devenais râpeuse sur tout le corps. Les clients n'appréciaient pas beaucoup. Heureusement, il restait des fidèles, une poignée de doux dingues. Ceux-là me faisaient toujours mettre à quatre pattes, me reniflaient, me léchaient, et faisaient leurs petites affaires en bramant, poussaient des cris de cerf en rut, enfin, ce genre de choses. Le marabout, qui avait ces goûts-là, m'a téléphoné quelquefois et m'a incitée à lui rendre visite, en