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splendeur ancienne tout ou presque avait disparu. La peau de mon dos était rouge, velue, et il y avait ces étranges taches grisâtres qui s'arrondissaient le long de l'échiné. Mes cuisses si fermes et si bien galbées autrefois s'effondraient sous un amas de cellulite. Mon derrière était gros et lisse comme un énorme bourgeon. J'avais aussi de la cellulite sur le ventre, mais une drôle de cellulite, à la fois pendante et tendineuse. Et là, dans le miroir, j'ai vu ce que je ne voulais pas voir. Ce n'était pas comme dans le miroir du marabout, mais c'était aussi terrible. Le téton au-dessus de mon sein droit s'était développé en une vraie mamelle, et il y avait trois autres taches sur le devant de mon corps, une au-dessus de mon sein gauche, et deux autres, bien parallèles, juste en dessous. J'ai compté et recompté, on ne pouvait pas s'y tromper, cela faisait bien six, dont trois seins déjà formés. Le jour se levait. J'ai été prise d'une soudaine impulsion. J'ai jeté un manteau sur moi et je suis allée droit au quai de la Mégisserie. J'ai attendu que les magasins ouvrent. J'ai pris mon temps pour choisir. J'ai acheté un joli cochon d'Inde aux yeux verts, une femelle, les mâles me dégoûtaient un peu avec leurs grosses trucs. Et puis j'ai acheté un petit chien. Ça m'a coûté cher. C'est assez rare les animaux, maintenant. Mais je n'ai pas eu besoin d'acheter une laisse. Le petit chien s'est mis à me suivre tout seul d'un air intrigué, il reniflait sans arrêt dans mon sillage. Le cochon d'Inde, lui, dormait dans mes bras, il était mignon comme tout, avec un air apaisé et heureux. Le petit chien me flairait avec circonspection, on avait l'impression qu'il cherchait quelque chose. Mon cas l'a tout de suite passionné. A chaque chien qu'il croisait dans la rue, il me désignait de la truffe. Les autres chiens me regardaient avec de grands yeux. J'en ai rapidement eu assez. Je cherchais un compagnon, quelqu'un qui me comprenne et me console, pas quelqu'un qui m'exhibe comme un phénomène de cirque. Je n'ai pas regretté le petit chien quand Honoré l'a jeté par la fenêtre, seulement les sous qu'il m'a coûté. Honoré est rentré ivre mort. Il sentait la femelle, sans doute une de ses étudiantes. Il s'est tout de suite mis à braire contre ma
ménagerie. J'ai compris que décidément notre couple battait de l'aile. J'ai hurlé que s'il touchait à un cheveu de la tête de mon petit cochon, c'était lui, Honoré, qui allait passer par la fenêtre. Ce matin-là je ne suis pas allée à la parfumerie. Ou plutôt si, je suis allée furtivement relever le rideau, et j'ai volé des parfums et des produits de beauté. Je sais que ce n'est pas bien, mais j'étais un peu déboussolée, dans mon état normal je n'aurais pas fait ça. Je me suis lancée dans l'opération de la dernière chance. J'ai vendu les produits dans la rue et je suis allée voir une dermatologue. Il fallait absolument que je sois belle pour quand Honoré rentrerait. La dermatologue a poussé les hauts cris quand elle m'a auscultée. Elle m'a dit qu'elle n'avait jamais vu une peau dans cet état. On peut dire qu'elle a trouvé les mots qui consolent. Je lui ai dit que tout ce que je voulais, c'était pouvoir me maquiller un peu ce soir, et sentir moins mauvais. La dermatologue m'a dit qu'elle n'était pas esthéticienne. La dermatologue était une femme vraiment très chic, je me sentais minable devant elle. Elle m'a tout de même injecté une sorte de sérum, elle m'a dit qu'il y a des maladies qui traînent, surtout dans les squares avec tous ces pigeons. Ensuite elle m'a demandé d'un air soupçonneux si j'avais eu des rapports sexuels ces derniers temps. Je n'ai pas osé répondre. La dermatologue a levé les yeux au ciel et m'a injecté une seconde dose de sérum. Ça m'a donné des maux de tête terribles, et des nausées. La dermatologue m'a priée de ne pas vomir sur sa moquette. Tout ça a coûté très cher. Mais le soir j'ai pu me maquiller sans allergie trop importante et le rasage a semblé vouloir tenir un peu plus longtemps que d'habitude. Dans la même journée j'ai aussi fait une folie: j'ai acheté une robe à ma taille. La vendeuse m'a dit qu'en 48 je ne trouverais que ce modèle. La robe cependant était jolie, ample certes, avec la taille sous les seins et un col montant, mais vaporeuse et légère et pour tout dire très féminine. Quand je suis rentrée à la maison je n'avais plus un sou vaillant. Mais j'ai trouvé comme un moment de répit. J'ai pu boire un café sans tout vomir et prendre un peu de repos dans un fauteuil.