— Mystère et caleçon de bain, réponds-je. Mais je te conseille de la boucler parce que le monsieur que tu vois là à droite parle mieux le français que toi !
En entendant ces paroles, l’intéressé fronce ses sourcils qu’il a particulièrement fournis. Béru se tait un peu. Mais il regarde Pinaud et bégaie :
— Dis, le Vieux est canné, on dirait, non ?
— Je ne sais pas. Vise voir s’il respire…
Le Gros colle son oreille sur la poitrine concave[17] de Pinaud. Au bout d’un instant, il redresse son crâne de bois.
— Oui, fait-il, il respire. Mais qu’est-ce que ces vaches nous ont sonnés. Il me semble que je viens d’avoir une insolation.
A cet instant, un coup de sonnette retentit.
CHAPITRE EIGHT
LA VENDANGE ROUGE
L’escogriffe va délourder, d’une démarche nonchalante de bateau de plaisance qui aurait des jambes comme les petits bateaux de la chanson[18].
Il revient, flanqué de… devinez qui ? Du mec qui nous suivait le matin pendant qu’on trucidait Médor à l’hôtel.
Et ce dernier personnage est lui-même flanqué de… devinez quoi ? De la valise que nous sommes allés planquer à la consigne des Greyhounds.
En apercevant ma pauvre valoche qui donne un air penché à son porteur, je suis saisi d’une forte hilarité. Elle est bavelle, celle-là ! Voilà donc ce que nos kidnappeurs attendaient ?
Ils nous ont fouillés, ont trouvé la clé du coffre, et sont allés récupérer le pacson en croyant affurer les plans… Je préfère leur laisser la surprise.
Mon rire, du reste, semble indisposer ces messieurs. Je sens que s’il se prolongeait un tantinet, j’aurais droit à une tarte aux quetsches. L’homme au sex-appeal prononcé s’approche de la valise dont il fait jouer la fermeture. Il soulève le couvercle et pousse un juron peu compatible avec son élégance. Bérurier me file un coup de saveur chaleureux qui ferait fondre le mont Blanc. Lui aussi est heureux de ce petit intermède. Une grosse mouche bleue sort d’une oreille du gaille et se met à râler parce qu’on l’a dérangée dans ses occupations. Puis elle prend le parti de choisir une nouvelle charogne et, naturellement, va se poser sur Bérurier.
L’homme aux tempes grises donne à ses sbires l’ordre de soulever le chien mort. Il examine alors le fond de la valise, car c’est un méticuleux, qui ne laisse rien inachevé.
Ensuite de quoi, d’un geste bref de la main, il fait signe à ses louveteaux d’évacuer ce bagage à main peu ragoûtant.
Pendant ces vérifications, la fille au tailleur blanc, souverainement écœurée, s’est tenue à l’écart. Maintenant que la macabre valoche n’est plus laga, elle se réinstalle dans un fauteuil, non loin du mien, et se met à me dévisager avec un certain intérêt. Un intérêt avec majoration de retard, car ses ramasse-miettes font du morse. Je ne crois pas m’avancer outre mesure en affirmant que je dois être son genre. Cette pépée aime les garçons athlétiques, sympathiques, enjoués, beaux et intelligents[19].
— Ils se sont collé le doigt dans l’œil, fait Bérurier.
J’acquiesce.
— J’ai idée qu’il va vaser des beignes avant longtemps, non ? reprend le Mahousse d’un air soucieux.
— Moi aussi.
En effet, il s’est établi un profond silence annonciateur d’orage. Le chef de ces pieds-nickelés est en train d’allumer avec minutie un cigare gros comme la fusée Atlas.
Parallèlement, Pinaud soupire et ouvre les yeux.
— T’es de retour ? lui demande Béru qui triomphe dans l’art délicat de constater les évidences.
Le vieux navet semble plus étourdi que Manon. Il examine avec attendrissement son dentier, tombé sur le tapis.
— Colle-toi les chailles dans le clappoir ! je grommelle ! C’est indécent et tu risques de te mordre les fesses !
Il obtempère.
Ensuite, il coule un regard tranquille sur l’assistance, aperçoit la belle blonde et, impressionné, soulève son bitos que le coup de crosse lui a enfoncé jusqu’aux prunelles.
— Mademoiselle.
Ils sont suffoqués, les malfrats, devant cette manifestation au plus haut degré de l’exquise politesse française.
— Vous n’auriez pas un peu d’aspirine ? demande alors Pinuche à l’escogriffe. Je souffre d’une violente migraine et…
Mais le regard glacé — un regard froid et pâle — de son interlocuteur le fait taire. Le vieux daim se met à frissonner comme s’il venait de s’asseoir sans pantalon sur une banquise.
Vu son grand âge, on a négligé de lui entraver les pognes. Il en profite pour donner des chiquenaudes agiles aux grains de poussière déshonorant les taches de graisse de son costar.
Maintenant, le maître de céans a allumé son cigare. Il semble avoir pris une forte décision, car, après avoir expiré la première bouffée du Corona, il s’avance sur moi. Il est toujours strict, élégant, quasi courtois, et pourtant, je ne sais quoi de terriblement inquiétant brille dans son regard.
— Où sont les plans ? demande-t-il.
Je gamberge à plein rendement. Si je lui dis la vérité : à savoir que nous sommes des Royco français ; que nous avons laissé les documents à bord de Liberté et que je l’em… à pied, à cheval, en voiture et en soucoupe volante, il n’aura pas d’autre éventualité que de nous emmener faire un tour, selon la belle tradition du milieu ricain. Ici, le kidnapping est puni de la chaise électrique, ne l’oublions pas. Et n’oublions pas non plus que ladite chaise n’est pas Louis XV ! Elle ne vient même pas des Galeries Lafayette, ce qui serait normal aux States !
Conclusion, la seule manière de ne pas se faire distribuer de la mort aux rats illico, c’est de se faire passer pour des truands.
Seulement, faut que j’affranchisse mes notables et loyaux camarades. Une couennerie de leur part (ce qui ne serait pas fait pour vous surprendre, n’est-ce pas ?) et tout est fichu, à commencer par nous.
Mais comment les prévenir ? L’autre jacte le français admirablement. J’ai un trait de génie. Il parle français mais sans doute pas l’argomuche, ce noble langage qui a fait la gloire de Paul Valéry.
Pour en être certain, je dis au quidam :
— On commence à se faire tartir, dans votre crémerie !
Il fronce les sourcils, ce qui donne au-dessus de son regard une barre velue, continue.
— Vous dites ?
Rassuré, je balance à mes potes :
— Ne mouftez pas, quoi qu’il arrive, hein ? On chique aux malfrats. C’est mégnace qu’a planquousé le fade, vu ?
— O.K. ! rétorque Bérurier qui commence à parler anglais couramment.
Pinaud masse sa nuque endolorie. Il a une tronche de déterré. Il ressemble à une dame que j’ai bien connue et qui tenait les gogues souterrains de la place des Terreaux, à Lyon, jadis. Elle était jolie comme un cœur d’artichaut, précisons-le. Elle avait autant de poils, d’ailleurs !
L’homme aux sourcils froncés, aux tempes argentées, au cigare et au complet bleu marine réitère sa question.
— Où sont les plans ?
— Je les ai soldés…
— Quoi ?
— Vendus, mon pauvre monsieur… A qui ? A un collectionneur !
Il se force à sourire. Mais il n’obtient de ses lèvres qu’une grimace inquiétante.
— Ces plans étaient en possession d’une amie à nous, mon cher. Vous les lui avez volés…
Je ricane.
— Très drôle ! C’est ça, abordons le chapitre de la culpabilité et ensuite celui de la morale. D’où les teniez-vous, s’il vous plaît ? Vous les aviez peut-être gagnés dans une tombola au profit des petits sénateurs sans emploi.
18
Comparaison d’une idiotie achevée, car je n’ai pas l’habitude de faire les choses à moitié.
19
Si vous estimez que je me passe trop la brosse à reluire, dites-le-moi, j’achèterai un aspirateur.