Des en noir et des en couleurs. Comme me disait un dompteur du cirque Bouglione — les ours se suivent mais ne se ressemblent pas ! Demain, j’aurai mes lendemains qui chantent ! Le tout est qu’ils ne chantent pas trop fort, car j’aimerais bien piquer une ronflette avant de me rembarquer !
Voici enfin la 44e. Je stoppe, perplexe. Je ne sais plus si c’est à l’Est ou à l’Ouest que se trouve l’adresse où je me rends. Le numéro même m’échappe. Mince, je perds un temps fou à rassembler mes souvenirs en colonne par deux !
Il avise un cop, à un carrefour. Il est gras, ventru, mafflu, et s’il ne fumait pas le cigare, on pourrait prendre sa figure pour une paire de fesses[24].
Il fait tourniquer son long bâton noir au bout de son index boudiné.
Je m’approche de lui.
— Please, sir, the F.B.I. address ?
Il hisse son regard globuleux jusqu’à moi. On dirait qu’il manœuvre ses châsses avec un système d’engrenages et de crémaillères. Ça fait quasi du bruit lorsqu’il les oriente.
Il m’examine en détail un peu comme une ménagère trie des lentilles avant de les mettre à tremper. Mon accoutrement n’inspirerait pas confiance à un clodo d’Aubervilliers. Pour tout vous dire, je suis sans chemise. J’ai juste mon bénard et ma veste. Ça fait un peu négligé, vous comprenez ?
Il se dit que je peux entrer dans deux catégories d’individus, soit dans celle des gars qui prennent le whisky pour de l’eau minérale, soit dans celle des messieurs qui ont un caramel à la place du cervelet.
En tout état de cause, je suis indigne de son intérêt.
D’un geste terminé par son bâton de réglisse, il me fait signe d’évacuer la street. Lui, il est pas meûchant. Tout ce qu’il demande, c’est qu’on lui laisse fumer son Corona pénard. Il prend la vie comme elle vient, sans la compliquer outre mesure. Il n’a l’air ni gentil ni vachard. Il ressemble simplement à un tas de viande habillé en flic américain.
Cette masse d’inertie me file en renaud.
— Je suis policier français, insisté-je. Je travaille en liaison avec l’inspecteur Oliver Andy, du F.B.I. J’ai besoin de le voir tout de suite… C’est très grave. Question de vie ou de mort !
Je lui ai monté la phrase tant bien que mal, en utilisant autant le français que l’anglais.
Cette fois, elle tire le bignolon de son apathie. Mais il ne réagit pas dans le bon sens. Il me plante l’extrémité de son bâton sur la poitrine et me pousse comme un jouteur. Je suis tellement lessivé que je pars en arrière. Sans la présence providentielle d’un panneau de signalisation, j’allais à dame !
Furax, à juste titre, je me radine sur « Gras du bide. » Une rage meurtrière me fait perdre tout contrôle. Je voudrais lui faire bouffer son cigare, à ce tordu ! Me voyant charger, il ne s’émeut pas. Il ne fait pas appel non plus à ses deux pétards qui lui battent les miches. Simplement il fait décrire un arc de cercle à sa baguette et v’lan ! Sucrez-vous, marquise ! Je prends sur le temporal un de ces gnons qui vous obligent à demander des explications sur vos origines, car vous ne savez soudain plus si vous vous appelez Robinson, ou si on est vendredi !
Je chope le panneau providentiel et je l’étreins comme s’il était la plus sensationnelle des mousmés.
Il ne reste plus à Monsieur le guignol qu’à me choper par une aile pour m’emmener au poste voir si ma lucidité s’y trouve déjà !
Nous faisons quelques pas de conserve[25] et mon entendement rejoint sa base, qui se trouve être celle de mon crâne.
Je réfléchis que, dans le fond, c’est encore la meilleure solution. Une fois au poste, je m’expliquerai et j’obtiendrai sans doute qu’on alerte l’ami Andy.
Quelques badauds nous regardent, mais d’une façon plutôt distraite. Les New-Yorkais sont les citadins les plus blasés du monde ! Il n’y a qu’une chose qui les intéresse : le défilé des personnalités dans Broadway. Sorti de là, on peut se trucider au coin des rues, ça ne les impressionne pas outre mesure. Ils font de grands pas pour enjamber les flaques de sang et c’est tout !
Nous longeons maintenant, le flic et moi, une longue bâtisse obscure. A cet endroit, le trottoir est pratiquement désert.
Je me trouve entre le mur et le poulet. Notez le détail, d’ici trois secondes il va avoir son importance. Du moins pour moi !
En effet, sans que nous y prenions immédiatement garde, une auto stoppe dans un grand miaulement de freins à notre hauteur.
Toto-la-Bonbonne, mon volumineux convoyeur, regarde. Il voit le canon d’une Thompson dépasser la portière, et il ne réagit pas. Il a peine à piger ce qui se passe. C’est un tort ! Because ça se met à cramioter ferme dans le secteur.
Et rapide ! Je me fous à plat ventre en même temps que mon garde du corps. On n’a jamais rien inventé de mieux pour se garer des balles !
L’auto repart dans un grondement féroce. La cérémonie n’a pas duré plus de quatre secondes. Je respire bien à fond, le nez sur un chewing-gum usagé. Pas de bobo ! Et je comprends très vite pourquoi en voyant le trottoir tout rouge sur ma gauche. C’est la Globule qui a effacé la purée de sa bedaine de notaire de province. Lorsque je me suis foutu à plat ventre, il s’écroulait, out ! Et il a continué d’intercepter la bonne camelote calibrée de messieurs les distributeurs de friandises !
Maintenant, il est mille fois plus mort que l’entrecôte marchand de vin que vous vous êtes farcie hier. Sa casquette a roulé sur la chaussée, ce qui me permet de constater que Zizi-Beau-Burlingue était aussi chauve que le dôme des Invalides !
« Mon San-Antonio joli, me dis-je en aparté et en français, tu viens de l’échapper belle. Si t’es pas un ingrat, tu vas pouvoir faire brûler un cierge en rentrant à Paname ! »
Vous avouerez que pour du bol, c’est du bol !
Des gens s’approchent, regardant le cop qui gît sur le bitume avec l’air de se dire que, ma foi, ça n’est pas une perte tellement énorme pour la Nation américaine.
Déjà la sirène d’une bagnole de police mugit. C’est fou ce qu’ils sont rapides, les archers, au pays du dollar en branche ! Pas comme chez nous ! In France, ils sont champions pour la contredanse valsée, nos braves gardiens dits de la paix (et qui savent pourtant si mal nous la foutre). Mais quand y a du grabuge, good bye Hawaii ! On ne les voit pas, les pèlerins en pèlerine !
La voiture des cops se range en voltige au bord du trottoir. La coupole rouge qui surmonte le toit de l’auto continue de distribuer le rayon pourpre de son phare tournant.
Trois malabars baraqués comme des armoires normandes jaillissent de l’auto. Eux, croyez-moi, sont sensibles au fait que la victime est un poultock. Ici, la peau de flic est plus sacrée encore qu’à Pantruche. Défense de s’en payer une sous peine de faire si-site à Sing-Sing sur la chai-chaise !
Ils regardent le collègue. Pas laubé, une fois viande froide. Johnny Violon ! Un vrai poème pour mouches à miel ! Il est déjà verdâtre, le Popeye !
Ayant constaté que la femme du cop est devenue veuve, les mecs de l’auto se tournent vers moi. Ils me chambrent avec des questions à l’emporte-pièce, nasillées de façon inaudible.
Je bonnis :
— Minute, I am french…
Voyant que je ne peux m’expliquer sur place, ils me font grimper dans leur fiacre.
En route !
Je finis tout de même pas arriver à destination. Le tout, c’est d’être patient.
CHAPITRE ELEVEN
ORAGE ! O DÉSESPOIR !
Une grande salle divisée en boxes vitrés. Le clapotement des téléscripteurs. Des bourdilles qui passent, escortant des civils. Le bruit rapide des machines à écrire. L’appel caverneux des interphones.
24
Une paire de fesses fumant rarement le cigare, sauf cas exceptionnels, la confusion est impossible.