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— Elle est pas formide, celle-là, dis, San-A. ?

— Hors concours, Gros.

Je profite de son allégresse passagère pour l’entraîner ainsi que notre estimable débris. Je sens que si je ne trouve pas d’urgence un coin où l’on puisse boire des trucs alcoolisés, il me sera impossible d’endiguer la révolte qui gronde au sein de mes troupes valeureuses.

Je me souviens alors du bar de notre hôtel. On doit certainement pouvoir y écluser des choses convenables.

Je frète un taxi pour nous y conduire plus vite.

J’ai beau me détroncher, je n’aperçois plus notre ange gardien.

Dès l’entrée, nous sommes rassurés. Les rayons du bar sont peuplés de flacons de whisky de toute provenance. Il y a du scotch, du rye, du bourbon…

L’endroit est tout en longueur, comme tous les bars américains. Un comptoir l’occupe entièrement, l’éclairage est tamisé. Un juke-box diffuse confidentiellement Loving you de M. Elvis Presley, l’homme qui prend son fade en éructant ses romances.

Ambiance sédative.

Je dis au barman, un mironton chauve comme un œuf à la coque, de nous servir du bourbon des quatre roses. Il s’exécute. Une fois que mes compagnons ont mis le naze là-dedans, c’est la croix gammée et la bannière étoilée pour le leur en faire sortir.

Au quatrième biberon, ils sont blindés comme un contretorpilleur et je les arrache au bar à l’instant où le Gros entonne « les Matelassiers » afin de concurrencer Elvis !

Dans le couloir qui conduit à nos chambres, nous croisons une femme de chambre noire. Elle est un peu plus maigre que l’aînée des Peters Sisters et sa poitrine offrirait des distractions de qualité à un équipage de marsouins. Elle nous adresse un sourire d’une blancheur éclatante. Bérurier s’arrête et se met séance tenante à lui débiter des galanteries de garde champêtre en goguette.

— Allons, le sermonné-je, laisse cette dame, Gros ! T’es pas chez la baronne pour vouloir te farcir la négresse.

Il me suit en décrivant des embardées d’un mur à l’autre.

— Qu’est-ce qu’il tient ! rigole Pinaud.

Et de s’écraser le pif contre une porte ouverte qu’il n’avait pas vue.

Nous voici enfin à nos piaules. J’engage la clé dans la serrure et je tourne à droite, ainsi qu’il sied, mais le pêne ne joue pas. En y regardant de plus près, je constate que la porte n’est pas fermée à clé, mais simplement tirée. Probable que les femmes de service sont venues faire du zèle en notre absence.

Ayant poussé le battant, je suis détrompé par tout le spectacle qui s’offre à nous.

Tout est déversé dans la carrée. Les matelas gisent sur la moquette, les tiroirs des commodes sont enlevés, le meuble servant d’écritoire bée comme Bérurier, la penderie est grande ouverte et nos pauvres chères valises ont été défoncées.

— M…, dit péremptoirement Pinaud. C’est un pays de gangsters, on ne m’avait pas trompé !

Je fais « Mfff mfff » du bout des lèvres pour appeler le cador, mais va te faire cuire un œuf, il ne répond pas. Les visiteurs l’ont emmené…

Au lieu de pousser des clameurs de détresse, je m’abats dans un fauteuil en souriant.

— J’avais vu juste, les gars. Une fois de plus, ma gamberge a fonctionné idéalement. Grâce au chien, j’ai attiré l’attention des gens chargés de réceptionner les documents.

Pinaud passe dans la pièce voisine, en traversant la salle de bains.

— Viens voir ! bavoche-t-il tout à coup.

Je trotte le rejoindre. Là, je m’arrête de rigoler. Mon petit camarade à quatre pattes gît dans la baignoire avec une olive dans le plafonard.

Pauvre chien. Les States ne lui ont pas réussi. Je remarque qu’il n’a plus de collier. Probable que la bouille du mec qui le lui a pris ne lui revenait pas et qu’il a voulu lui croquer les noix ! A moins… Oui, à moins que le voleur n’ait redouté le flair du chien !

Oh ! mais ça m’ouvre des horizons, ça. Car s’il redoutait le flair du chien c’est qu’il habite l’hôtel !

— Qu’en penses-tu ? questionne Pinaud.

— Je pense que l’homme qui nous filait tout à l’heure était chargé de garantir la tranquillité de manœuvre de son complice. Lorsqu’il nous a vus attablés au restaurant, il l’a prévenu qu’il pouvait commencer la perquise. Bigle, le cador est encore chaud !

Ils ne perdent pas de temps, ici !

— Le pays est réputé pour…

Cette carcasse de chien est plutôt encombrante.

— Qu’est-ce qu’on fait de Médor ? bafouille le gars Béru qui a bandé toute sa volonté pour pouvoir prononcer intelligiblement cette petite phrase.

— Un paquet, dis-je. Un gros paquet qu’on ira balancer dans l’Hudson ou l’East River ! Je ne tiens pas à affranchir la direction de ce qui se passe.

Je fouille mes vagues à la recherche de la carte remise à bord par Andy, le gnace du F.B.I.

Son téléphone personnel est Chelsea 3-4501. Ça va être duraille à réclamer. Pourtant, il faut que je le demande depuis ma chambre, car je ne veux pas attirer l’attention de ceux qui nous surveillent.

Je m’entraîne à prononcer le nombre. Puis je décroche.

La voix aimable d’une standardiste me balance un truc à bout portant dans les entonnoirs à ondes courtes. Elle parle anglais avec l’accent chewing-gum, la demoiselle.

Je me mets à lui dégauchir mon baratin, comme quoi que je suis français, né à Paris-sur-Seine et je me hasarde à lui réclamer mon numéro. Elle pige le Central, mais je suis obligé de lui épeler chacun des chiffres.

— O.K., fait-elle enfin, d’une voix très nasale.

Pendant qu’elle compose son appel, je regarde mes collaborateurs.

Béru dort comme une grosse brute en travers de son lit. Pinaud épanche son whisky, en jets prostatiques dans le lavabo.

— Deux ivrognes et un chien crevé, soupiré-je. Avec une pareille équipe, t’es pas fauché, San-Antonio.

CHAPITRE FOUR

POIL AU NEZ[8]

Après quelques minutes pendant lesquelles je parlemente à ma façon avec les standardistes de différents services, j’ai enfin l’ami Olivier au bout du fil.

Il est vaguement surpris par cet appel.

— Déjà, dear collègue ?

Je le mets au parfum de ce qui vient d’arriver au chien.

Lorsque j’ai fini ma brève historiette, il murmure :

— O.K., j’arrive.

— N’en faites rien !

— Pourquoi ?

— Mais parce que les gens qui sont après nous nous prennent certainement pour un trio de gangsters et non pour des poulets…

— Pour des comment ?

— Pour des flics… Votre venue dans cette salade leur ferait comprendre que le terrain est glissant.

— Well, alors pourquoi m’appelez-vous ?

— Parce que j’ai tout lieu de croire que ces gens sont descendus à notre hôtel. Or ils y sont arrivés « après » nous, nécessairement, puisqu’ils ignoraient, avant notre venue ici, où nous allions loger, you see ?

— Oui, alors ?

— Alors, il me faut la liste des arrivées postérieures à la nôtre, tout simplement. Moi je n’ai aucune qualité pour poser une semblable question à la direction de l’hôtel. Vous allez donc, vous, demander dans l’ordre chronologique, la liste des entrées d’aujourd’hui : nom des clients, numéro de leur chambre, vous pigez ?

— O.K.

Sur ce, je lui souhaite bonne chance et je raccroche.

Pinaud vient d’achever ses épanchements. D’un geste posé, il rajuste son bénard en prenant soin de fixer le bouton d’en bas à la boutonnière d’en haut de façon à ménager une constante ventilation.

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8

D’aucuns seront surpris par ce titre de chapitre qu’ils trouveront sans doute étrange, voire insolite. Je dois leur faire une confidence : je suis aussi surpris qu’eux !