Pour toute réponse, il enquille son reste de sandouiche dans la poche béante de son lardeuss, preuve qu’il se prépare pour un entretien de haut niveau.
— On cause ? demande-t-il.
— Vas-y ! engagé-je-t-il, je ferai semblant de t’esgourder.
L’homme de Gros-Moignon s’assure de la solidité d’un siège avant de lui confier cette sculpture monumentale de Maillol qu’il appelle son cul.
— Eh bien, moilà, attaque l’Obèse. Pendant qu’les espécialistes s’énervaient su’ le cadav’ de la gonzesse, analysaient ses fringues, son flingue, tout l’ch’nil habituel, ma pomme a concerté ses efforts su’ tout’ aut’ chose…
— Vraiment ?
— Testuel ! J’m’ai dit ; « Comment est-ce é est arrivée dans c’t’église d’banlieue, la brave dame ? Si tu raisonn’rais, tu t’dis : l’est v’nue pour zinguer un cur’ton. D’alors on peut penser qu’si elle aurait mis son exécution à projet, é n’aurait rien t’eu d’plus pressé, une fois son forfaiture accomplie, que d’s’casser subito prompto. Quand un assassin vient d’refroidir sa victime, y n’perde pas d’temps à admirer ensuite sa collection de timb’-postes : il taille la route fissa. Alors superposons qu’elle aye bel et bien scrafé le chamoine. Qu’eusse-t-elle fait n’après ? Réponse ? Elle jouait cassos dans les meilleurs des laids. Pour cela, é n’allait pas attend’ l’autobus à l’estation du coin ou appeler un taxoche. J’m’fais-je-t-il bien comprend’ ?
« J’ai poussé mon arraison’ment plus loin. J’m’aye dit : « Quand tu t’pointes pour perpétuer un homicide, Gros, t’as tendance à pas plastronner : t’arrives, tu butes et tu t’tailles l’plus discrèt’ment possib’. Donc, t’es voituré. Et ta chignole, tu la laisses pas su’ l’pare-vis d’l’église, mais discrétos, dans une rue agaçante. » Tu m’suives-tu ? »
— D’une façon hallucinante, Gros.
Il sait que je ne blague plus, qu’il m’a ferré sec, comme une truite quand on pêche à la mouche. Alors, satisfait, épanoui, il repart :
— Mégnace pomme, que fais-je-t-il ?
— Tu dragues aux alentours de l’église pour chercher une tire abandonnée ? supputé-je.
— Là, j’voye qu’ tu m’filoches le dur, grand. Exaguete : je pars en chasse d’une guinde, ce morninge, en m’mettant dans la peau d’un criminel. J’me dis : « Faut qu’ é fût dans un coinceteau à promiscuité de l’église et qu’é n’attirasse pas la tension. » Alors m’v’là à tourner-virer dans les abordages de Saint-Fîrmin-les-Gonzesses. J’renouche toutes les guindes bien ou mal parquées dans un péripatétimètre assez large. Mais y en a des chiées et des chiées.
« Au bout d’une plombe, j’élime les matriculées 78, pensant qu’ la meurtrière assassinée habite Pantruche. Nanmoins y en restait beaucoup d’autres. J'commençais à pisser dans mes brailles d’décourageance quand la Providence me sourille. J’voye un’ propriété dont su’ la grille d’laquelle y a marqué « A vendre ». L’genre vieille bicoque en décharnance aux volets d’fer rouillés, qu’le gazon du jardin s’est d’puis lulure transformé en foin. L’portail est ouvert biscotte y n’peut plus fermer. Mon instincte de perdreau me pousse. Je m’avance à l’intérieur et qu’aspers-je, planquée derrière les bransages d’un phèdre du Liban ? »
— Une bagnole ! crois-je opportun de deviner.
Le Mammouth a un sourcillement mécontent.
— Comment tu l’as su ?
— Mon sens divinatoire, Gros.
Il renifle une stalactite que la stupeur lui a sortie des fosses nasales (et non des forces navales).
— Jockey ! finit-il par soupirer, une tire en effet. Une Mercedes bleue matriculationnée en Belgique.
Il sort un parchemin gras de sa fouille et l’abat sur le bureau.
— V’là son numéro immunologique. Mais j’m’ai déjà renseigné : c’carrosse appartient à une certaine dame Ballamerdsche Irène, de Bruxelles, avenue du Bois de la Cambre.
— D’où tiens-tu ce tuyau ?
Il se fend comme une citrouille tombée de la charrette.
— Je veuille pas t’emmener en barlu, Sana, les fafs de la proprio s’trouvaient dans une poche du pare-soleil. Tiens, les v’là.
Il ajoute :
— Su’ l’permis de conduire, y a sa photo, tu constatras qu’il s’agite bien d’la morte du confessessionnal.
Vaincu, je lui tends la large main à cinq doigts des félicitations.
10
À TOUT BERZINGUE
Toujours un grand bonheur de retrouver Bruxelles. Une autre façon d’être français, je dis. Juste assez dépaysant pour qu’on ait le sentiment de l’étranger. Un poil folklo : la bière, les frites, le style flamand ; sinon on sait qu’il n’y aura jamais de guerre franco-belge, que nos deux pays sont liés pour toujours avec cette légère pointe de raillerie qui attise les amitiés vraies.
J’ai loué une tire à la gare. Une assez large, biscotte le Gravos, qui m’accompagne. Je pouvais pas le laisser sur la touche alors que c’est sa pomme qui a levé le lièvre belgium.
Pendant le voyage en train, il a dragué à mort une forte commère flamingante au cul plus large que le pont du Clemenceau, avec des pommettes empourprées et une jolie barbe blonde frisottée, des yeux de faïence, comme on dit puis dans des livres astiqués avec Monsieur Propre, le tout monté sur deux piliers de soutènement capables de supporter les tribunes du futur terrain de foot espéré pour les prochains championnats du world. Jointes à cela, des odeurs de parfum de bazar et de charcuterie fumée mêlées. Y en avait assez pour pâmer le Mastard qu’était en rade de chaglatte depuis plusieurs jours et déplorait de la verge. Il s’est mis à chambrer la gravosse tant que ça pouvait, ulcérant une dame bêcheuse qui emmenait sa grande fille dans un pensionnat libre. À la fin, elle a fini par exploser :
« Un peu de tenue, monsieur, je vous prie, il y a une jeune fille ! »
Le Mammouth lui a rétorqué comme quoi sa pucelle ne le resterait plus longtemps avec un pareil regard viceloque qui racontait tout sur ses langueurs ; si ça se trouvait, elle s’était déjà fait disjoncter la toile d’araignée par le commis épicier, et son caparaçon joli donnait dans l’illusoire, le souvenir mignon du temps jadis.
Outrée, la dame a dit qu’elle allait porter plainte, clamait qu’il lui fallait dare-dare un contrôleur. Je suis intervenu, lui ai montré mes papiers en lui expliquant qu’elle devait changer de compartiment sinon j’allais, moi, la faire emballer à l’arrivée pour persécution outrancière. Abasourdie, la dabuche a ramassé son évasive viergeasse et a vidé les lieux. Béru n’en demandait pas davantage.
Quarante secondes après leur départ il s’est emplâtré sa grosse Flamande de première. Levrette de grand style. Combinaison subtile. Agencement de fortune, mais ingénieux, auquel participaient la tablette du repas (propice à l’accoudage de la personne) ainsi que les deux banquettes latérales. Docile, la charmante voyageuse suivait les directives du tacticien avec application. Comme elle n’avait pas encore maté la chopine au père Lustucru, elle a cru, quand il a décarré sa manœuvre, qu’il lui massait le frifri avec le poing. Elle pigeait pas. N’à la longue, elle s’est payé un jeton arrière.
A vu ! A manqué s’évanouir devant l’ampleur du membre qu’on lui dévolait[2]. Je connaissais la scène. J’avais si souvent vu jouer la pièce !
Le One man braque de Sa Majesté appartient au répertoire. Dans un premier réflexe, la partenaire veut déclarer forfait, allègue l’impossibilité de se laisser introduire un monstre aussi terrific.