Je repose le bristol, fortement impressionné par ce qu’il vient de m’apprendre.
— Sale aventure, dis-je assez bêtement, mais c’est pas le genre de nouvelle qui t’inspire des traits d’esprit.
Martin assure son nœud de cravate. C’est un tic, chez lui, je l’ai déjà remarqué.
On entend grésiller des radios, des téléscripteurs, d’autres appareils encore. Je me dis que la police d’à présent est bien loin de celle de Vidocq.
Gueulimans est aux prises avec quelque chose qui doit ressembler à sa conscience professionnelle. Puis, tout de go, il décroche son bignouf et aboie :
— Arrivez, Simoën !
Très vite, un homme jeune pénètre dans le vaste bureau.
— Mon plus proche collaborateur ! me le présente Martin.
Et à l’autre :
— Vous n’aurez jamais vu ce monsieur, il est donc inutile que je vous révèle son nom.
L’arrivant ne marque pas de réaction et néglige de me regarder, du moment que je n’existe pas.
— Vous allez vous rendre à la maison Ballamerdsche au Bois de la Cambre avec un minibus et quelques hommes. Vous rassemblerez tous les occupants et leur notifierez une convocation pour l’hôtel de police ! déclare le mari de la froufroutante Ingrid. Vous direz que cette réunion est relative à la mort dramatique de leur patronne, survenue dans la banlieue parisienne. Si d’aucuns jugent hâtive, voire un peu arbitraire, une telle mesure, expliquez-leur qu’elle est destinée à faire gagner du temps à l’enquête. Dites ce que vous voudrez, vous êtes un garçon intelligent et vous avez carte blanche.
Courbette du flatté qui aime visiblement se laisser humecter la compresse.
— Ce n’est pas tout, reprend mon homologue. Vous placerez un homme sûr pour, officiellement, surveiller les lieux en l’absence de ses occupants. Mais sa principale fonction consistera à ne pas réagir aux faits et gestes du monsieur qui n’est pas censé se trouver dans mon bureau en ce moment. Tout cela est-il enregistré, Simoën ?
— Totalement ! rassure l’interpellé.
L’époux de la chère Ingrid-qui-suce-comme-elle-peut-mais-ce-qui-importe-en-toute-chose-c’est-la-bonne-volonté, me demande encore :
— Vous pensez en avoir pour combien de temps ?
— Une bonne heure devrait suffire.
Si j’avais pu prévoir la suite, j’aurais tourné sept fois ma langue dans la bouche de son épouse avant de lui répondre !
15
ASSUREZ-VOUS DE L’ARRÊT COMPLET
DU VÉHICULE AVANT DE DESCENDRE
— C’est la premièr’ fois qu’ j’clape un sandouiche aux frites, assure Béru, la bouche pleine et les lèvres copieusement moutardées. T’sais qu’ c’est délectabe ? Y m’l’ont arrosesé d’huile pour qu’ c’soye moins sec.
— Je vois, grommellé-je, tu laisses une tramée derrière toi comme un vieux Solex exténué ; je te serais reconnaissant de le finir avant d’entrer.
Sa Grosserie, devant une telle obligation, met les gueulées doubles et engloutit son en-cas en quelques efforts de gosier.
Bientôt, c’est la demeure qui semble figée dans son grand parc solitaire et glacé où deux ombres vont, tout à l’heure, passer.
Suivant ce qu’il fut convenu, la grille n’est pas fermée. Une charrette policière, au gyrophare éteint, est rangée devant le perron.
Nous le gravissons, poussons la porte ouverte. Dans le hall encombré de l’antiquaillerie déjà décrite lors de notre première venance, un flic en civil est assis sur un coffre gothique.
Il lit Les Vies parallèles de Plutarque, traduites par Amyot, avec une attention à ce point soutenue que notre surgissance ne lui fait même pas dresser la tête. Cette impassibilité (impassible n’est pas français) nous dispense d’échanger quelques-unes de ces turpitudes pitoyables que les hommes se croient obligés de s’adresser lorsque la vie les met en contact. Si bien que nous filons comme des dards jusqu’au sous-sol.
La porte de droite se dresse, compacte, nue, rébarbative.
Le Mastard se met à la palper, à la recherche d’une saillie quelconque susceptible d’en déclencher l’ouvrance ; mais que tchi !
Ma pomme, plus marle, c’est à l’arrière-plan que j’exerce mes recherches. Me tenant le raisonnement suivant : le système de déponage est forcément facile à actionner. Il doit permettre le déblocage de la lourde sans offrir le moindre problo. A tes méninges de jouer !
Je prends du recul et considère le lieu d’un œil tellement sagace que celui de Sherlock Holmes ressemblait à celui d’un veau en comparaison. Tu me laisses le temps de me gratter les testicules, dont l’ampleur est propice à des démangeaisons, et le système m’apparaît dans toute son ingéniosité. Le sol est revêtu de morceaux de tommettes aux couleurs différentes. L’ensemble compose un camaïeu terre de Sienne rouge-jaune. Plus deux petites parcelles bleues distantes de cinquante centimètres. Je pose chacune de mes pattounes sur ces éclats de grès et illico la lourde s’ouvre. Bravo, San-Antonio, t’as pas encore le cervelet farineux, ni les cellules grises poisseuses. L’astuce de ce système c’est qu’il ne peut pratiquement pas être actionné fortuitement, les deux « touches » d’ouverture se trouvant dans l’alignement l’une de l’autre, alors que les pas d’un individu sont parallèles. Tu comprends-t-il ? Oui ? Bravo ! Je sentais que t’étais moins locdu que t’en avais l’air !
Un couloir, vitement aperçu naguère avec, au fond, des portes en verre dépoli.
Nous les atteignons sans un mot. Mister Mastard et l’élégant Santoto savent que l’instant est grave, que cette galerie en sous-sol dessert un lieu secret où doivent s’élaborer des choses aussi bizarres que peu catholiques. Curieusement, on a le réflexe de se regarder, une fois parvenus devant les panneaux vitrés.
— J’aim’rerais bien avoir mon riboustin en pogne, chuchote le Gros Fourré au saindoux. C’est comm’ si qu’on s’rait à loilpé !
La porte, quand je remue, a une espèce de frémissement avant-coureur, ce qui indique qu’elle est à ouverture automatique.
— Paré ? je chuchote.
— Ça peut se faire ! répond le Gros en mettant un paturon déclencheur devant soi.
Et ça s’ouvre.
Quand tu t’attends à tout, en fait tu t’attends à rien, aussi es-tu toujours surpris par la réalité.
Tu sais quoi ? Faut vraiment t’y dire ? Bon, alors : un dortoir. T’entends, Édouard ? Un vrai dortoir : double rangée de lits vides. Il y en a quatorze. Au-dessus de chacun, des appareils très cliniques dont, d’emblée, je ne situe pas l’utilité.
La pièce est en longueur, vivement éclairée par deux rampes de néon. Le sol recouvert d’un épais Bulgomme amortit le bruit des pas. Je note que les murs sont tapissés de matière isolante.
Nous échangeons un nouveau regard, le Mammouth et moi. D’intelligence, en ce qui me concerne ; d’hébétude intégrale pour ce qui est de Bérurier.
— Où ça va, ça ? murmure-t-il.
Je ne lui réponds pas, ce pour deux raisons.
La première, c’est que je suis incapable de formuler une opinion ; la deuxième, parce qu’une chose tombe du plaftard par un menu trappon qui, aussitôt se referme.
Il s’agit d’une espèce de grosse grenade, ayant la dimension d’un melon de Cavaillon.