Sa perplexité vola en éclats soudain car deux sonneries retentirent simultanément : celle du téléphone et celle de l’entrée. Le bigophone étant à portée de main, il l’empoigna de sa large patte de flic couverte de poils roux. C’était son épouse qui l’appelait de Madère. Il la pria d’attendre et courut délourder. Il se trouva en présence de l’officier de police Van Tardyse, le flic qui était de faction naguère chez l’antiquaire.
— Entrez ! fit Martin ; je suis au téléphone.
Ingrid lui annonçait que, contrairement aux prévisions, elle différerait son retour d’une huitaine « tellement qu’il faisait beau ». L’époux accueillit la nouvelle sans montrer de contrariété, considérant cette prolongation comme un supplément de vacances. Bien des couples harassés se réjouissent de leurs séparations momentanées, lesquelles, pensent-ils, régénèrent leur amour, alors qu’en réalité elles achèvent de le scléroser.
— Qu’est-ce qui te fait rire ? demanda-t-il a son brancard qu’il croyait entendre glousser.
— Un dessin animé à la télé, répondit-elle.
Mais en réalité, elle se faisait brouter par le masseur suisse de l’hôtel, un certain Léonard, dont l’appétit sexuel était inextinguible. Tout en pratiquant cet aimable cunnilingus, il lui enfonçait le manche de caoutchouc de son rouleau anticellulite dans la moniche, entreprise audacieuse, porteuse de sensations fortes qui faisaient se pâmer la belle.
Elle n’eut pas de mal à écourter leur conversation.
Les deux hommes adoptèrent une attitude plus conforme : Martin récupéra son fauteuil et son verre de Cointreau tandis que Van Tardyse restait à la verticale, les bras dans l’alignement de son sexe.
— Suivant vos instructions, commença Van Tardyse, je viens au rapport privé, monsieur le directeur.
— Je vous écoute, l’encouragea le chef.
Et il but une gorgée de feu doux à l’arôme d’écorce d’orange. Le Cointreau était pour lui une liqueur enchanteresse. Une récompense qu’il avait la volonté de s’accorder avec parcimonie.
Le récit de son subordonné était celui d’un excellent élément de la police bruxelloise. L’officier poulardin se présentait comme un homme de taille moyenne, aux épaules larges et à la poitrine épaisse.
Il était blond fade, avait la peau laiteuse constellée de grains de beauté, des yeux limpides comme un ciel d’été, et de grandes oreilles étrangement rouges de gars qui vient d’essuyer une paire de tartes dans la gueule. Son complet veston de tissu gris clair faisait des poches aux coudes et aux genoux mais conservait un aspect strict. Sa cravate rouge bordeaux se mariait le mieux possible avec les taches de vin qui l’agrémentaient. Pour le résumer parfaitement, il est bon d’ajouter qu’il avait une gueule à remplacer la paille de son gin-fizz par un thermomètre.
Avec un sens parfait de l’économie dans la narration, il dit qu’il s’était installé dans le magasin d’antiquités avec un livre. Le commissaire San-Antonio était arrivé un peu plus tard, en compagnie de son adjoint, un type obèse, absolument infect, qui libérait des incongruités en marchant, voire également en parlant. Les deux hommes s’étaient immédiatement rendus au sous-sol où, respectueux des consignes particulières qu’il avait reçues, Van Tardyse les avait suivis sans révéler sa présence.
Une fois en bas, les deux Français avaient cherché le système d’ouverture d’une porte et l’avaient découvert en très peu de temps, ma foi. Ils s’étaient engagés dans un long couloir et avaient disparu. Le flic s’était alors embusqué dans le sous-sol pour attendre leur retour.
Deux heures s’étaient écoulées sans que les Franchouillards ne réapparussent. Leur confrère belge décida alors de partir en reconnaissance. Ayant vu de quelle manière s’ouvrait la porte du souterrain, il dégaina son pistolet, en releva le cran de sûreté et pénétra dans le passage secret. Là, il marqua une pause pour s’oxygéner les poumons.
— C’est très intéressant, approuva Martin Gueulimans. Prenez donc un Cointreau !
Il désigna verre et bouteille au vaillant qui en rougit de partout (sauf des oreilles puisque c’était déjà acquis).
Van Tardyse n’emplit le verre qu’à demi pour montrer qu’il avait du savoir-vivre à ne plus savoir qu’en foutre. Il porta un toast ému à son directeur et avala une gorgée de poussin, pas passer pour un boit-sans-soif. Après quoi, il repartit dans son récit.
Le couloir conduisait à un dortoir meublé de lits style hôpital tous plus vides l’un que l’autre. Attenant, se trouvait une espèce de laboratoire jouxtant un local de rangement encombré de flacons et ustensiles d’apparence chirurgicale. Une pièce seulement meublée de sièges évoquait une sorte de salon d’attente. Il existait encore une petite chambre à deux lits que flanquait un cabinet de toilette.
Van Tardyse n’avait eu aucune difficulté à découvrir la seconde issue : en l’occurrence un monte-charge débouchant dans le hangar d’une propriété voisine où était remisée une Jaguar. La sortie d’icelui s’effectuait dans un chemin privé.
Il se tut et but une nouvelle gorgée du merveilleux breuvage.
— Anselme, murmura Martin Gueulimans, avez-vous songé à faire valoir vos droits à l’avancement ?
— Pas encore, monsieur le directeur.
— Alors n’attendez plus, mon garçon ! Je vous donne le feu vert.
Une tache d’humidité déshonora le pantalon du flic, mais il ne s’en aperçut pas tant était intense son émotion. Il aurait aussi bien déféqué en ayant seulement l’impression de voyager en classe Pullman. Ainsi nos supérieurs ont-ils une grande influence sur notre vessie et nos sphincters.
— Ce n’est pas tout, se risqua le prénommé Anselme.
— Quoi d’autre, mon ami ?
Son ami ! L’officier de police en fut au bord de l’éjaculation.
— La Jaguar de ce hangar appartient à la dame Ballamerdsche, continua-t-il, ainsi d’ailleurs que la propriété contiguë où elle est remisée.
— Voyez-vous ! fit Martin.
Il réfléchit et ajouta :
— Logique !
Il y eut alors une grande plage de réflexion, productrice d’idées intéressantes. Au bout de ce no man’s land verbal, Gueulimans fit claquer ses doigts comme, en classe, le demeuré du cours élémentaire deuxième année qui demande la permission d’aller aux cagoinsses quand c’est l’heure de sa branlette.
— Je flaire du pas ordinaire ! déclara le tout-puissant dirluche. Puisque vous avez levé le lièvre, il vous appartient de courir après, mon brave Anselme. Livrez-vous à une enquête aussi discrète que serrée à propos de la mère Ballamerdsche. Interviewez les occupants de la maison. Ils ont été entendus dans nos locaux, ce matin, mais nous n’avions que des questions informelles à leur poser. Maintenant que nous avons découvert ce dortoir clandestin à double issue, on doit pouvoir s’orienter vers des éléments positifs.
— Je vais me consacrer à fond à cette affaire, monsieur le directeur.
— Autre chose qui m’inquiète beaucoup : je suis sans nouvelles de nos deux confrères. Je suppose qu’ils sont repartis par la propriété voisine puisque vous ne les avez pas revus.
— C’est très probable, admit le futur promu.
— Mon homologue français est pour moi davantage qu’un confrère : presque un ami. Son silence me trouble ; pensez-vous qu’il ait pu leur arriver une couille à lui et à son adjoint ?
— Tout est envisageable, reconnut Van Tardyse qui savait la vie.
— Prenez du monde, et mettez-vous à sa recherche.