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Il regagna la ville et stoppa devant un kiosque à journaux où il fit l’emplette d’un plan d’Anvers.

19

LE PLUS VIEUX PONT DE PARIS

SE NOMME LE PONT NEUF

Anselme Van Tardyse possédait, décidément, de solides qualités de flic.

S’étant mis au lit après une journée remplie à ras bord, il ne put trouver le sommeil auquel il avait droit. Son épouse, réveillée par son agitation horizontale, crut un instant que le démon de la chair tenaillait son cow-boy et lui plaça une main tombée sur le bec verseur. Elle déchanta devant la flaccidité du sujet ; il n’y avait — à moins d’une laborieuse mise en condition —, rien à espérer de la mollasserie tripière qu’elle pétrissait. En femme résignée, elle remit à plus tard un éventuel coup de bite qui, de toute manière, ne la conduirait point à l’extase, et demanda au petit Jésus de la faire se rendormir, ce qu’il lui accorda dans les meilleurs délais. Nombre d’épouses négligées se rabattent ainsi dans les compensations de la foi et, sans y trouver pleinement leur compte, s’en satisfont. Toutes les voies sont bonnes, qui mènent au ciel, et les femmes mal baisées auront droit comme les Justes à leur lot de paradis.

Le rendormissage immédiat de l’épouse laissa son conjoint dans un état de désemparement qui l’amena très vite à haïr son lit. Au bout d’une période désobligeante parce que frustrante, Anselme se leva, espérant qu’une précoce libération de sa vessie l’induirait à se recoucher, mais zob ! Il rafla ses harnais sur la chaise où il les pêle-mêlait et alla se vêtir dans la cuisine. Une énorme cafetière assoupie au coin du feu recelait encore des trésors énergétiques. Il emplit son bol d’un liquide noir, tiède et amer, qu’il avala sans le sucrer.

Quelques instants plus tard, comme on dit puis du côté de Saint-Clair-de-la-Tour, de Ruy, de Mozas, de Saint-Alban-la-Grive et autres lieux qui me sont pareillement chers, il roulait en direction du Bois de la Cambre.

Une dame en fourrure-pas-chère montait la faction au bord de l’avenue, dans l’espoir d’un tomobiliste nuiteux ayant les bourses et le portefeuille pleins.

Van Tardyse eut la tentation de s’en faire tailler une petite express à son volant. Il jouissait d’un tarif préférentiel auprès des prostituées bruxelloises dont certaines l’écrémaient à l’œil. Mais il se sentait trop motivé par son enquête pour lui distraire le moindre centilitre de semence. Il avait besoin de toute son énergie et il savait qu’un gladiateur ne peut disposer de son foutre avant un combat,

À cette heure pleine de la nuit, la circulation devenait de plus en plus fluide, voire espacée. Au loin se dressait la vaste villa de feue l’étrange dame Ballamerdsche. Dans la clarté morte baignant ce coin tranquille, elle lui fit songer à la fameuse toile de son compatriote René Magritte intitulée L’Empire des lumières. Le policier leva le pied et se mit à rouler au pas pour mieux se pénétrer de l’atmosphère irréelle qui s’en dégageait. La façade de l’importante maison était obscure, à l’exception du perron où une lampe devait briller toute la nuit.

Van Tardyse longea la propriété, puis obliqua dans la rue tranquille qui la cernait dans sa partie nord. Il poussa jusqu’à la seconde demeure, dont le hangar servait d’issue au souterrain qu’il avait découvert. Il stoppa et descendit de sa voiture pour venir observer les lieux à travers la grille. Il faisait sombre autour de la propriété aux dimensions modestes qu’on pouvait apercevoir au-delà du hangar.

Un bref instant, ce fonctionnaire d’élite fut tenté de s’y introduire, mais il chassa vite l’illicite pensée, se consolant à la perspective de revenir bientôt, nanti des documents indispensables pour effectuer une perquisition. Quelque chose l’avertissait qu’il tenait avec cette affaire un coup médiatique de première grandeur, capable de le propulser vers les sommets.

Comme il remontait l’avenue en sens inverse, il donna un coup de patin qui abrégea la vie de ses pneus d’un bon centimètre de gomme.

— Chat de pute ! gronda-t-il, ce qui constituait son imprécation des grandes circonstances.

Il venait d’apercevoir, non loin de la maison Ballamerdsche, une grosse Chrysler crème et jaune comme un sorbet dont le sigle en étoile brillait dans la clarté d’un lampadaire. Cette tire, le perdreau en était certain, était celle dont se servaient les deux policiers français. Il la dépassa et se rangea quelques mètres plus loin. Il actionna la poignée d’une portière avant et ouvrit sans difficulté. Bien l’insouciance française, cette négligence. À partir du moment où il s’agit d’un véhicule de location, il n’a plus rien à branler des précautions les plus élémentaires, le Franchouille. À se demander comment a fait la France pour perdurer jusqu’en l’an 2 000 !

L’exploration de la boîte à gants lui prouva qu’il avait vu juste : les papiers de location s’y trouvaient, au nom de San-Antonio.

— Chat de pute ! réitéra Van Tardyse, ces deux Parisiens ont dû être enlevés !

Il en conçut un sentiment indicible où entrait une part de jubilation. Néanmoins il fouta le bordel dans le Landemeau pour obtenir séance tenante la liste des automobiles appartenant à la défunte Mme Ballamerdsche.

Il n’obtint satisfaction qu’au petit matin, après une nuit assez folle. Quand Van Tardyse sut que la voiture manquante était une Range Rover bordeaux dont la plaque minéralogique comportait quatre 3, il ne se sentit plus de joie et mit en branle le dispositif « Brabant et Septentrion », c’est-à-dire celui qui décoiffe.

À cet instant, sa promotion commençait à étinceler comme le soleil d’Austerlitz dans le petit matin cafardeux.

20

PANTALON ET CHAPEAU BAS !

C’était une coquette petite villa qui disparaissait sous les plantes vivaces. Ce que les bonnes gens, jamais à court de comparaison, appellent une maison de poupée. Murs de briques rouges, fenêtres peintes en blanc, à petits carreaux, baie vitrée donnant sur un jardin où les fleurs devaient foisonner à partir de la belle saison. Le garage ne pouvant héberger qu’un seul véhicule, Gunther avait laissé la Range Rover dans l’allée de ciment qui y conduisait.

Ils avaient attendu la nuit et la complète désertification du quartier pour examiner les deux hommes inanimés. Ceux-ci avaient un aspect inquiétant et donnaient vraiment à, croire qu’ils étaient trépassés. Pour se convaincre du contraire, Lola appliqua la main sur leurs poitrines. Les battements qu’elle capta étaient d’une lenteur qui ne lui disait rien qui vaille.

Ils furent reçus par un homme grand et maigre, d’une quarantaine d’années, dont les cheveux pendaient de chaque côté de son visage émacié. Le docteur De Bruyne. Son nom se lisait sur une plaque de cuivre à côté de la porte. Il avait le regard triste et navré des gens qui s’entendent mal avec l’existence.On l’avait prévenu et il savait ce qu’il lui suffisait de connaître à propos des gens auxquels il allait accorder l’hospitalité.

Le couple se vit attribuer une petite chambre pomponnée et joyeuse. Elle était meublée de façon douillette. La cretonne, la dentelle, les coussins et de multiples mièvreries propres aux demeures du Nord abondaient.

Leur hôte leur dit :

— Je vous informerai quand vous devrez rentrer vos passagers.

Et il les planta là, sans se soucier de leur confort.

Quand la nuit tomba, il revint toquer à la porte.

— Vous pouvez, maintenant ! Vous « les » mettrez dans la pièce d’à côté.

Docile, le couple procéda au déchargement.