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— On devrait les attacher, fit Gunther, lorsque les deux hommes qu’ils convoyaient furent étendus sur un tapis à bouclettes.

— Vous êtes optimiste, ricana Lola, si vous croyez qu’ils risquent de se sauver dans l’état où ils sont !

Malgré cet avis, son compagnon d’équipée sortit une paire de menottes de sa poche et emprisonna un poignet de chacun des deux gisants en prenant soin de faire passer la chaîne d’acier par la grille du cendrier qu’il avait retirée de la cheminée.

Après quoi, il s’installa dans le fauteuil de leur chambre tandis que Lola s’allongeait sur le lit. Elle crut qu’elle allait s’endormir, mais les ronflements sauvages de son complice l’en empêchèrent.

Au bout d’une heure insoutenable, elle se leva et sortit pour se rendre aux toilettes, dans le vestibule de l’entrée. En passant devant la porte vitrée du salon, elle aperçut leur hôte et une vieille dame aux cheveux blancs, assis côte à côte devant un appareil de télévision. La vieillarde paraissait somnoler. Le docteur De Bruyne regardait une émission du genre « débats » en sirotant un verre d’alcool. La bouteille reposait sur le plancher, près du canapé.

Lola se rendit dans la pièce où gisaient leurs prisonniers. Leur immobilité et leur silence troublèrent la jeune femme. Une fois de plus, elle les crut morts et s’agenouilla pour les palper. Mais non ; contre toute apparence, la vie s’obstinait dans ces deux carcasses pantelantes.

Elle s’assit non loin d’eux, à même le plancher, en appuyant son dos contre le mur. Un rai de lumière blanche, filtrant entre les rideaux mal croisés, éclairait en partie le visage de celui qui, confusément, l’émouvait. Elle cherchait les raisons de son trouble. Il y avait certes cette ressemblance avec un autre homme qui l’avait impressionnée autrefois. Mais la fascination qu’elle subissait devait avoir une cause plus profonde. Elle avait beau l’analyser, aucune explication valable ne s’imposait. Elle finit par convenir qu’il l’excitait, tout simplement. Elle était compliquée, du point de vue sexuel, et aucun mâle ne l’avait réellement conquise. Certes, elle avait eu des coups de cœur, des élans, des envies, mais ces « perturbations » avaient toujours été passagères et rapidement contrôlées.

N’y tenant plus, elle s’approcha à genoux du gisant et, d’une main incertaine, lui caressa le visage. Ses joues râpeuses la mirent tout de suite en émoi. Elle abandonna la figure de l’homme pour couler les doigts sous sa chemise dont plusieurs boutons avaient sauté pendant qu’on le manipulait.

Le contact de ses poils frisés l’excita à un degré qui la surprit. Elle ne se lassait pas de peigner des doigts cette toison virile. Son souffle devenait ardent. Elle sentait monter en elle une exaltation qui la stupéfiait car elle n’avait jamais rien éprouvé de comparable jusque-là. Une espèce d’ivresse terrible mettait son corps en feu. Elle ne parvenait pas à la contrôler. Cela faisait penser à une bourrasque.

Sa main affolée descendit le long du corps inerte et se blottit entre les jambes. Elle pétrissait ce sexe en gémissant, folle de le voir insensible à sa frénésie. Des larmes lui vinrent, inattendues. Un fabuleux bouleversement s’opérait en elle, qui semblait sur le point de l’engloutir.

— Ah ! je t’aime ! lança-t-elle à l’homme évanoui.

Elle saisit sa tête à deux mains, comme un gros fruit dans lequel elle mordit. Les lèvres de son partenaire inconscient éclatèrent et elle savoura le goût fade, légèrement salé, de son sang.

Sa folie érotique s’accrut. Elle ôta son slip noir et remonta sa proie jusqu’à ce que son sexe en feu s’écrasât sur ses lèvres. Elle poussait un étrange roucoulement entrecoupé de plaintes. Le va-et-vient de son bassin devenait plus précipité. Et tout à coup, elle eut l’impression d’exploser. Le bas de son corps s’embrasa et Lola crut qu’elle s’évanouissait. Elle s’abattit sur son prisonnier avec un râle d’agonie[5].

Cette fille si ardente faisait peu l’amour. Elle avait les sens en jachère. Parfois, elle ressentait une inclination pour un homme, mais très vite cet élan sensuel se dissipait pour laisser place à une froideur hostile et elle éprouvait une sombre rancune à l’égard du mâle qui l’avait troublée[6].

Anéantie, elle restait immobile et haletante, totalement chavirée par cette vague de jouissance qui venait de la balayer. Faire l’amour avec un individu inconscient, voilà qui était singulier.

— Joli tableau ! fit une voix derrière elle.

Elle sursauta, tout de suite morte de honte, et découvrit son partenaire dans l’encadrement de la porte de communication.

— Vous faites un de ces raffuts quand vous prenez votre pied ! dit Gunther. Bon Dieu, je ne vous imaginais pas aussi chienne ! Il vous excite à ce point, ce type ?

— Foutez-moi la paix, espèce de sale pédale !

Son compagnon ne se formalisa pas.

— J’admets qu’il est plutôt beau gosse, convint-il. Il doit être bien membré : vous avez vu la largeur de ses pouces ? Dommage qu’il soit inanimé, nous pourrions nous l’envoyer tous les deux ; ce serait farce. Nous n’avons jamais eu de connivence sexuelle ensemble ! Ça fortifierait notre amitié.

— N’employez pas de mot pareil ! gronda Lola. Il n’y a pas d’amitié entre nous, même pas une ombre de sympathie. Nous sommes seulement des complices, restons-le.

Il eut une grimace. Elle rêva d’un seau de vitriol à lui flanquer au visage. L’antipathie que cet être lui inspirait venait de se transformer en haine.

— Maintenant, laissez-moi ! ordonna-t-elle durement.

Et elle s’allongea sur le méchant tapis.

— O.K., fit-il, vous serez mieux ici pour guetter son réveil ! Si toutefois il reprend connaissance avant l’aube, ce qui me paraît très improbable. Je ne sais pas quel produit a été administré à ces deux types, mais comme anesthésie, ça se pose là !

Il se retira après un dernier sourire qu’il voulut le plus sarcastique possible.

Quand il fut sorti, elle se releva pour bloquer la porte avec un dossier de chaise.

21

NE FUME PAS : C’EST DU BELGE !

L’officier de police Anselme Van Tardyse dormait mal, le visage dans le creux de son bras replié. Il se tenait dans un coin de la salle des téléscripteurs. Ceux-ci crépitaient avec une sécheresse mécanique. Parfois, la sonnerie courte d’un téléphone intérieur se mêlait au concert. Une voix de fonctionnaire retentissait, sèche, précise, pour jeter un ordre ou demander un renseignement. Il faisait chaud, comme dans le bureau de Maigret, autrefois. Quelqu’un fumait de l’Amsterdamer à l’odeur mielleuse. Van Tardyse reposait en équilibre instable entre vapes et réalité. Terrassé par la fatigue, il tenait à récupérer. Les flics, pareils aux routiers, savent qu’un somme, parfois bref, peut requinquer son homme. Aussi, ce qui subsistait de confusément conscient en lui, l’exhortait à rester ainsi le plus longtemps possible dans cette farouche prostration réparatrice.

À travers ses vapes, il songea qu’il bandochait. Mais ça provenait de son état, l’insomnie étant amie du chibre. Il avait connu de ces bandaisons prometteuses qui, une fois mises en application, se révélaient inutilisables. Triomphantes au départ, elles laissaient vite place au sommeil et tu te retrouvais comme un zozo dans les miches d’une dame déçue jusqu’aux glandes.

Par instants, les préposés aux appareils lui coulaient un regard mi-apitoyé, mi-amusé, et échangeaient des mimiques. Ils avaient bien dormi, bien petit-déjeuné et pris le bain du matin. Ils portaient du linge propre et avaient des traces de talc sur les joues. Le gars Anselme, lui, commençait à fouetter gentiment la ménagerie. Les odeurs sont le mètre étalon de la modestie. L’homme qui pue ne peut nourrir le moindre orgueil.

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5

Ce passage, d’une haute tenue bricolo-érotique, a obtenu le Rassis d’Or au Festival de Copenhague.

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6

Passage d’une forte maîtrise littéraire et d’une grande beauté formelle. Jean Dutourd