— Ne pleure pas, tu vas m’exciter. Et quand je le suis, il faut qu’on me suce la queue. Comme j’ai horreur des femmes, tires-en les conclusions !
Il libéra un gros rire à travers sa barbe.
Le médecin alla téléphoner d’une cabine publique. Son tourmenteur l’exigea, pour le cas où la police aurait fait placer sa ligne sur écoute.
Lorsqu’il réapparut, il semblait avoir vieilli de vingt ans. Gunther songea que ce type était un raté sans énergie que sa veulerie mettait sous la domination de n’importe quelle autorité.
— Qu’est-ce qu’on t’a dit ? questionna-t-il.
— Qu’on allait aviser et vous donner des instructions.
— Parfait ! En attendant, fais-nous à bouffer.
— Je ne sais pas ce qu’il y a, fit le docteur De Bruyne.
Son pensionnaire lui tendit une liasse de billets de banque.
— Va acheter ! Prends beaucoup de viande, c’est ma nourriture de base. Et du fromage, aussi. Comme vin, je ne bois que du bordeaux. Et puis perds cet air catastrophé, sinon les gens vont penser que ta bonne femme est déjà morte !
Un phénomène s’opérait, qui contraignait Lola à ne pas se séparer du prisonnier qui la troublait tant.
Assise sur le plancher, près de lui, elle le contemplait avec avidité, cherchant à définir quelle frénésie la mettait dans cet état inconnu. Ce qu’elle ressentait procédait de l’appétit sexuel et du spleen. Parfois, elle caressait le membre du prisonnier à travers l’étoffe de son pantalon et une excitation s’emparait d’elle. Elle avait envie de jouir et de crier. Il lui venait des pensées folles. Elle imaginait qu’elle partait se cacher avec lui dans un pays perdu. Elle savait des maisons du Moyen-Orient, blotties dans des palmeraies étrangement fraîches. Villas blanches et ombreuses au parfum de jasmin et de fleur d’oranger. Rêvait qu’elle était nue avec ce garçon nu aussi, en une pièce dont le silence n’était rompu que par un faible glouglou de l’eau tombant dans une vasque de marbre blanc. Avait-elle déjà évoqué cela ? Probablement, mais sans jamais donner d’apparence à son compagnon.
Lorsque le blond barbu l’appela pour manger, elle se contenta d’un fruit et retourna auprès des prisonniers.
Son complice se gaussa d’elle, ayant deviné l’attrait qu’elle éprouvait pour le policier français.
— Ça rejoint le fanatisme, fit-il ; vous êtes décidément des gens bizarres, dans votre putain de pays. Tout est excessif en vous.
Elle ne marqua aucune réaction et s’en fut croquer sa pomme auprès de l’homme qui l’émouvait.
23
LA CHASSE EST OUVERTE
Mémé me tricote des chaussettes pour l’hiver. Avec de la grosse laine, huileuse, qui pue encore le mouton. J’ignore ce qui lui prend, mais la jambe de celle qui est en chantier mesure au moins trois mètres. Ses aiguilles se livrent un duel lilliputien avec un menu cliquetis (on peut dire aussi cliquètement). Sa laine ? Y en a un énorme chargement, comme s’il s’agissait de fourrage.
J’essaie de mieux ouvrir les châsses. Quelle gabegie ! Des flots d’images disparates impossibles à rassembler. Pourtant faut que je contemple mémé ! Des années que je ne l’ai plus vue, ma vieille grand-mère aux rides grises. Je refais un effort. Très près de moi, une main s’agite, à quelques centimètres de mon visage. Le petit bruit tintinnabuleur, ce ne sont pas des aiguilles à tricoter qui le produisent, mais un bracelet d’or où sont fixées des breloques.
Je refais un effort de concentration. Ça vient avec une lenteur infinie. Bracelets à un poignet. Poignet se prolongeant en main de femme. De femme ? Oui : les ongles sont carmin. Ils s’agitent lentement ; dans de la fourrure, tu crois ? Attends, non : il s’agit d’un sexe de femme. Langoureuse chatte noire, aux frisures serrées. Mais qu’est-ce qu’il se passe ? Tu peux m’expliquer, toi ? Attends, je crois piger… Oui : une dame est en train de se caresser en gros plan à quelques centimètres de ma tête. Elle gémit doucement. Dans sa frénésie, elle abaisse sa zigounette jusqu’à mon visage, la frotte contre ma bouche. Oh ! dis donc ; c’est Byzance !
Je redeviens moi, moi ! À la vitesse machin-chouette ! Qu’est-ce à dire, Elvire ? Une dame en délire me fait l’offrande de sa branlette ? À moi qu’elle ne connaît ni d’Eve ni d’Adam (mais va connaître des lèvres et des dents). J’expurge des sortes de miasmes dissidents pour mieux me consacrer à l’aubaine. Puis-je-t-il dégager de mon plancher buccal mon organe charnu fixé par dix-sept muscles qu’innerve mon grand hypoglosse ? Voyons voir… Ben oui ! Oh ! la secousse de cette chaglatte ensorcelée au contact de ma divine menteuse ! Ce soubresaut du fion ! Elle s’éloigne un bref bout d’instant afin de me constater. S’aperçoit que j’opère bel et bien. Cri déjà orgasmique, en tout cas triomphal ! Me ramène sa coupe aux lèvres. La frotte avec furie, en laissant éclater le plus démesuré des enthousiasmes.
Dis, en quel dialecte elle jouit, cette chérie ? En tout cas, elle livre tout son potentiel de félicité, sans rien conserver pour elle. Se rabote le clito sur mes incisives, la folle amante. Me tient la tête par les manettes pour un radioguidage au quart de poil ! Wouahou ! Cette tempête qui se lève ! Laissez pas vos pots de fleurs sur le rebord de la fenêtre, ça pourrait tuer quelqu’un ! Quelle secousse simiesque, dirait Béru. Au fait, qu’en advient-il ?
J’essaie de tourner la tête, mais une forte cressonnière m’aveugle, m’étouffe. Good lape to you !
Elle a un bistounet gros comme un clam et me maintient le visage droit, kif un saint-cyrien dans la cour de Coëtquidan quand le général Macheprot lui remet ses épaulettes ! Force m’est donc ! Tant qu’à faire, et pour précipiter l’issue de cette délicate manœuvre, j’abonde dans son sens en la ponctuant d’une minouche prépondérante, avec élan transversal au départ du frigounet, ratissage des babines, voracité sur la ligne médiane, amphigouri débroussaillé. Un velours ! Même le Dédé Sarda, médaille d’Or de la languette jugulée aux Jeux Olympiques de Pointe-à-Pitre, ferait pas mieux. Ou alors ce serait plus onéreux car il te compterait ses frais de déplacement.
Voilà ma furieuse amazone qui fonce à doubles jambons. Tu sais quoi ? Se cravache de la dextre la miche droite comme faisait dans les naguères le gentil Yves Saint-Martin quand des pouliches intrépides lui partaient à l’assaut. La pécore qui me monte va vers une libération somptueuse. C’est la fête à sa moniche, le grand super-gala inoubliable. Poum ! Elle explose, disjoncte, m’escarguinche la poire ! Charogne, l’as-tu vue la fusée volante, Baby-las ?
Elle me reste prostrée sur la figure, k.-o., pesant de tout son poids sur mon frêle faciès d’aristocrate de la verge. Elle va m’étouffer entre ses cuisses, à présent qu’elle se laisse aller ! Je tortille de la frime. Ma barbe a dû pousser car ça lui râpe la zone franche. Elle se libère en se laissant choir sur le côté, débloquant ainsi ma vue.
Je renouche un plaftard au centre duquel pend un petit lustre à la con, genre rouet équipé en luminaire, avec chapeaux de lampe de cretonne crétine.
La petite couillerie style auberge sur la nationale, les routiers sont sympas.
J’efforce de lever la tronche pour un coup de périscope général. Je décèle une pièce non meublée : ex-chambre vidée de son mobilier. Ne subsiste qu’un méchant tapis acheté en actions au bazar Van Papen. J’opère alors une constatation désobligeante pour mon confort ; une paire de poucettes munies d’une longue chaîne m’unit à Alexandre-Benoît (toujours inanimé, mais sans âme). Pour corser le problo, on a fait passer la chaîne à travers la lourde grille de fonte prise dans une cheminée fonctionnant au charbon.