Ayant ainsi appréhendé la situasse dans toute son inextricabilité, je referme mes lotos afin de pouvoir mieux réfléchir.
À mon côté, le halètement de la femme se calme lentement. Elle vient de se choper un paturon terrible, la brunette. J’aimerais lui causer, mais je me dis que c’est peut-être prématuré de s’y risquer.
J’essaie de me garnir l’esprit en dévidant des supposances. Certes, nous avons été neutralisés chez la mère Ballamerdsche. Un gaz jailli du plaftard, style camps nazis. Et puis on nous a amenés dans cette crèche où l’on nous séquestre. Tout ça est fastoche à entraver. Seul point d’interro : qui est cette hystéro qui se fait cacheter à cru ? Une nière chargée de nous garder et qui trompe le temps en se faisant foisonner la coquille ? Ça m’est déjà arrivé de tomber sur des survoltées du réchaud qui joignaient l’agréable à l’utile en s’envoyant en l’air !
Les Anglais, qui sont cons mais on inventé néanmoins le chutney et la marmelade d’orange, disent une chose que je te traduis en extension (comme emploie Alexandre-B. pour in extenso) et cette chose c’est : « Attendre et voir ».
Faut donc que je vais attendre et que je voye. L’Antoine referme ses jolis yeux ensorceleurs et fait mine de replonger dans les infinis.
Dans le silence ouatiné de ma belle âme, je procède au point de la situation. Question primordiale avant toutes les autres (en anglais the others) : m’a-t-on fouillé ?
In my opinion, on s’est seulement contenté de s’assurer que je n’étais pas armé. Ma main libre repte lentement en direction de mon bénoche. Celui-ci, entre z’autres poches, comporte un petit compartiment ventral que certains utilisent pour y mettre leur briquet. Ma pomme, c’est mon ami « sésame » que je loge dans cette anfractuosité de futal. Par grand bonheur, il s’y trouve. Dès lors (peut se dire également Delors) un doux rassurement m’habite (ou ma bite).
Du temps navigue tout autour de moi. La respiration de Béru se fait grumeleuse, kif celle d’un ronfleur sur le point de se réveiller. J’en conçois un menu contentement.
À mon côté, la gonzesse inspirée remue, puis se rajuste. N’ensute, s’étant inclinée au-dessus de ma pomme, elle promène ses lèvres sur les miennes pour une étrange caresse labiale. Je reste insensible. Sa main erre sur mon entre-deux Renaissance. Putain ! Si elle poursuit sa manœuvre, tu vas voir la mère Coquette, ce garde-à-vous dont elle va se mettre ! La petite grand-mère réalisera dès lors que mon révanouissement est bidon, car un mec qui trique est à peu près lucide, non ?
Reusement, j’sus sauvé par le gong. La porte se dépone et un gazier chauve et barbu de blond paraît. Je le distingue tout juste à travers mes longs cils baissés. Mes cils, je t’en ai rarement causé, mais ils ont toujours séduit les frangines. Quand je bats des ramasse-miettes sur leur escarguinche rose, elles confinent au bonheur subito presto.
Donc, un chauve barbu, l’air tantouze malgré son système pileux.
— Lola, il fait, vous avez encore joui telle une truie, infâme salope !
— Je fais ce que je veux de mon corps, comme vous du vôtre, Gunther, elle réplique sèchement.
— Je viens de recevoir un coup de fil codé. Nous devons nous tenir prêts à être évacués avec ces flics français.
— La maison n’est pas surveillée ?
— Apparemment non, mais ils ont trouvé le moyen de nous faire sortir discrètement.
— De quelle manière ?
— Ils ne l’ont pas dit ; c’est leur problème.
Il masse sa calvitie artificielle.
— Ça pue, dans cette pièce, remarque-t-il.
— C’est le gros type : il lâche des vents sans arrêt.
— La fameuse politesse française ! ricane le mec.
— Ça se passe comment avec la femme du médecin ?
— Elle m’a piqué une crise de nerfs ; je l’ai calmée d’un coup de crosse. Je ne vois pas trop ce que ce De Bruyne fiche dans l’Organisation. C’est une planche pourrie.
Le gars bâille. Il fait :
— Je vais prendre une douche, en attendant les autres ; j’ai horreur de rester plus de vingt-quatre heures sans me laver. Pas vous ?
— J’en ferai autant, dit Lola.
Ces deux-là, je sens à leurs voix qu’ils bossent ensemble sans se porter la moindre estime mutuelle. Il y a commak plein d’attelages foireux dans la vie : des couples mal assortis, des gens que le travail ne parvient pas à souder, des complices faussement unis par un intérêt commun mais qui se haïssent éperdument.
Avant d’aller se frotter la couenne, le dénommé Gunther ordonne :
— J’aimerais plutôt que vous surveilliez ce couple de merde : il ne m’inspire pas la moindre confiance ; je me promets de dire ma façon de penser aux autres quand nous serons partis d’ici.
Cette fois, il sort. La salope en délire se penche sur moi. Je conserve les yeux hermétiquement clos pendant son examen, m’appliquant à n’avoir pas le moindre tressaillement. Cette pétasse, je ne sais pas pourquoi je lui porte à la peau, toujours est-il qu’elle se file les doigts dans la cramoche et m’en caresse les lèvres. Y a bon, Banania ! Des tordues névropathes, j’en aurai rencontré quelques fagots au cours de ma putain de vie.
L’enfer, c’est les autres, qu’il prétendait, Jean-Paul (pas Jean-Paul II : Jean-Paul Sartre). Il avait vachement pigé le topo, Nonoeil. Il aurait dû écrire. Je veux dire par là ; ne pas tenter autre chose. Mais non, fallait qu’il chique les héros ! Les meneurs ! Toujours à grimper sur les barricades, tenter de se faire buter pour quarante sous ! Il rêvait d’être embastillé. L’avait le goût du martyre. Comme tous les frileux, il se voulait héroïque. Dans les manifs il avançait en tête du cortège. Quand ça castagnait, les perdreaux qui l’avaient à la chouette, au lieu de lui savater la gueule ou de lui confectionner des décoctions de gourdin, le prenaient gentiment par le bras, lui renouaient son cache-nez, glissaient son pain de deux livres sous son bras et lui disaient : « Restez pas là, monsieur Jean-Paul, les gaz lacrymogènes c’est mauvais pour vos pauv’ z’yeux de crapaud. La révolution, c’est plus de votre âge ; et puis pour un grand philosophe, c’est trop salissant. » Ils le reconduisaient chez la Simone pour qu’elle lui prépare une tisane avec du miel. Le chéri glapissait comme quoi, bordel, il voulait périr en brandissant l’étendard de la liberté ! Mais fume ! On l’aimait trop, tout le monde, pour aller saccagner la gueule de ce grand penseur. Il faisait partie du folklore. Il croyait incarner la rébellion, mais tout ce qu’il incarnait c’était Mon Cul ! Son drame, c’est qu’il avait beaucoup trop de talent pour être pris au sérieux. On avait envie de l’emmitoufler, pas de lui faire gicler son œil de l’orbite. C’était notre penseur, quoi. Notre philosophe agrégé, national, alors on en prenait grand soin, tous ; si bien qu’il est mort dans son plumard, au bout du compte, en bon petit prof qu’il n’avait jamais cessé d’être.
La névropathe finit par m’abandonner.
Quand la porte est refermée, la voix du Dodu s’élève, un brin pâtouillarde :
— Dis-moi, mec, tu croives pas qu’on a fait le tour du cadran ? Y nous ont éjaculé du vrai sirop de roupille ! J’ai mal au buis comme si j’aurais bu un verre de flotte.
— Parle doucement, Bébé-Lune, l’en supplié-je.
— Pourquoive ?
— Parce que sans être franchement désespérée, la situation est plutôt grave. Tu as remarqué ce que nous avons aux poignets ?
Un instant, un cliquetis, un juron.
Puis le guerrier sunnite murmure :
— On est faits aux pattes ?
— Pas tout à fait : j’ai mon sésame.
— N’en c’cas, qu’attends-tu-t-il pour nous enl’ver c’bijou ?