Выбрать главу

Le docteur De Bruyne était médecin dans la marine marchande. Il fut traduit en justice pour contrebande de stupéfiants, il y a quelque vingt piges, et écopa d’une peine de prison qui le priva de son droit d’exercer le noble art. Depuis sa sortie, il travaille pour un laboratoire et rend, çà et là, de menus services à des gens aux activités douteuses. Rien de très téméraire. En fait, cet ancien praticien est un pleutre. Il lui arrive d’héberger des gens, ou des marchandises. De livrer des paquets mystérieux ; de soigner des personnages blessés ; de recevoir des messages et de les transmettre.

En bref, il sert de boîte aux lettres, de coursier, de receleur mais sans jamais se mouiller à fond. Son « affaire » ancienne l’a brisé ; maintenant, les expédients dont il vivote sont loin de lui valoir le qualificatif de « malfaiteur à part entière ». Il appartient à cette frange de forbans minables qui se mouillent le moins possible, n’acceptant de commettre que des délits de « seconde main » qui leur conservent des relents d’innocence. À preuve : il a un véritable emploi ; peu mobilisateur il est vrai, mais qui lui assure un statut social de travailleur. Le personnage est vite campé, vite cerné. Un trou-duc du crime. Un pauvre barboteur de gadoue relativement prudent.

La dame souffre d’une grave maladie cardiaque qui lui a valu une flopée de pontages, pacemakers et toutim. Elle m’assure que cette dernière aventure va la tuer. J’en accepte l’inauguration (comme dit Béru). Peut-être que lorsqu’elle ira tutoyer les gérania à l’envers, son mec optera pour une existence plus tranchée, se fera canaille en plein ou saint homme lumineux ? Va-t’en savoir… Les rédemptions, souvent, sont affaire d’opportunité ; de même que la voie criminelle. Je pense que ce glandeur à parchemin n’inventera jamais la machine à cambrer la banane et qu’il flottera toujours dans des eaux troubles, avec l’espoir de ne pas s’y noyer.

Nous avons achevé notre verbiage, la vieille cardiaque et moi, quand un coup de sonnette éclate, péremptoire, dans la paix fallacieuse de la maisonnette.

— Les voilà ! elle s’effraie.

Ma décision est prise dans la foulée. Je tranche ses liens avec mon ya.

— Allez ouvrir ! je lui enjoins (de culasse)[9].

J’ajoute, avec une expression susceptible d’occasionner une fausse couche chez une baleine :

— Soyez naturelle : la vie de votre époux en dépend et, en tout cas, sa liberté.

J’arme le feu pris au barbu blond. De son canon, je désigne le lit au Gravos.

— Fais le mort, mec, jusqu’à ce que je donne le signal des hostilités.

Curieux comme il est silencieux et docile, Bibendum, à croire que le gaz inhalé chez la mère Ballamerdsche lui fait l’effet du bromure.

Il s’étend sur le paddock. Moi je me place derrière la lourde, mon riboustin en paume. Vieille recette éprouvée, et qui n’a pas fini de rendre des services, le coup de la porte. T’as pas un ouesterne, pas une série négro sans un gonzier embusqué derrière un vantail pour choper l’ennemi à revers. C’est aussi con que le roman policier ! Mais ça paie.

J’attends.

Perçois le parlementage de la vioque avec des gens que je sais pas.

Bon, ils font gémir le parquet bien ciré de l’entrée. Un choc. La vioque marche devant. C’est elle qui pénètre la prème dans la guitoune. Elle s’efface sous un superbe bois gravé représentant le feu roi Boudin et sa Babiola côte à côte, sérieux en plein, raidasses.

Deux mecs s’annoncent à leur tour, habillés de blouses blanches, qui coltinent une civière pliante pliée.

Ils entrent, s’approchent du lit.

— Et l’autre type ? questionne celui des infirmiers qui a une tache de vin en forme de croissant sur la fesse gauche.

— Il est là, je le rassure, en braquant le couple de zigus.

Ils voltent. Ces gueules, my nephew ! T’as un julot pas regardable, qu’un coup de barre de fer en travers de la gueule fait ressembler à un orang-outan (peut s’écrire également orang-outang). Lui reste juste un bout de blair à peine gros comme une griotte, et une seule arcade souricière[10], et puis une pommette en creux que j’allais t’oublier. L’autre est un grand triste pas tubulaire (re-Béru dixit) dont le regard doit faire tourner le lait, d’à ce point qu’il est fielleux.

— Qu’est-ce que c’est que ce travail ? il demande à la vieille sur le point de défaillir.

— Police ! réponds-je pour elle. Ayez l’obligeance de lever les bras, messieurs, je vous prie !

Autant parler à un étui à lunettes vide.

Avec un ensemble de duettistes ayant longuement répété leur numéro, ces tordus, tu sais quoi, Eloi ? Me balancent leur brancard pliant contre. Madoué, ce que je morfle ! Ah ! les vandaux ! Les gueux ! Les contaminés ! Je prends la civière dans la poire, et elle m’abasourdit complet. Ça me bloque la respiration. Je crois bien que c’est le manche droit qui m’a percuté la glotte. J’étouffe ! Des flots pourpres me submergent. Mon sternum a dû éclater aussi. Mes jambes font comme les putes avec leurs clients : elles se dérobent !

Vais-je évanouir (je pourrais dire aussi « m’évanouir », mais au prix qu’est l’apostrophe, ces jours, je renonce : y a pas de petites éconocroques).

Pour répondre à ma question : non ! Je tiens bon à la rampe de la lucidité. Heureusement, ça me permet de profiter de la suite du spectacle. Et Dieu qu’elle en vaut la peine !

Car, malgré le brouillard qui m’afflige la vue, je distingue parfaitement le Tyrannosaure à la gueule béante qui se dresse derrière les brancardiers.

Son action est brève, mais puissante, donc efficace.

Il écarte ses bras, Bouddha jouant au Christ, et, dans un mouvement satanique, pose sa main gauche sur la joue gauche d’un infirmier et sa droite sur la joue droite de l’autre. Long à expliquer, mais si prompt d’exécution.

Ça produit un choc ; « Vlaoum ! ».

Et les deux arrivants biscornent, puis choient.

Bérurier possède une habitude pugilistique dont il ne se départ jamais : lorsqu’il vient de terrasser un adversaire, il lui tire un penalty à la base du crâne pour faire le compte. Je n’ai jamais vu personne résister à ce coup de saton. Le k.-o. qui en résulte est immédiat et durable.

S’étant assuré que la tempête s’éloigne et que les vents sont calmés, il ricane :

— Et alors, tout petit, on a z’eu de la veine d’avoir d’la chance, non ? Si j’eusse pas intervenu, ces messieurs allaient te faire un masque d’beauté rutilant.

J’acquiesce en enjambant le brancard plié. Une douleur mauvaise m’embrase le buffet tandis que des zébrures écarlates souillent ma vue.

— Il faut voir dehors ! fais-je d’un ton caverneux.

Le Mammouth opine, moi je me traîne jusqu’au plumard et m’y laisse quimper.

Brusquement, l’existence me semble gerbante. Quel foutu métier que le mien ! Toujours des gnons à flanquer ou a ramasser. Faire mal et avoir mal. Risquer sa peau, prendre parfois celle des autres ! J’aurais dû être jardinier, tu vois. Ou bien représentant en lingerie féminine. Des fois aussi, je me dis commandant de bord sur Air France, pour tirer les hôtesses pendant le vol après avoir réglé le pilotage automatique. La classe ! Tu les calces dans quelque exiguïté de l’appareil. Debout, pendant que les anges t’envoient des baisers à travers les hublots. Un vrai velours céleste ! La gentille qui commence par un turlute, accroupie au-dessus de la cordillère des Andes ou du barrage d’Assouan ! Quelle féerie. T’apothéoses de la membrane pendant que le Sahara ou le temple d’Angkor déferle sous tes roustons. C’est pas de la poésie transcontinentale, ça ?

вернуться

9

Y a tellement longtemps que je te l’ai plus fait, çui-là, qu’il est comme neuf !

вернуться

10

Béru dixit.