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Une giclée de secondes et l’Éminent revient, escorté d’un troisième gazier loqué en « personnel hospitalier », gros type sanguin à la physionomie inavenante grevée d’une plaque de fourrure noire sur la gueule (que sa mother a dû avoir les chocottes d’un ours quand elle l’attendait).

Il entre, avise ses potes groggy, soubresaute, mais sa réaction s’arrête là car Mister Patate le cisaille d’une manchette en bronze sur la nuque, qui lézarderait le tronc d’un baobab parfumé à l’O. Bao.

— T’avais raison, monseigneur, y restait l’chauffeur, rigole l’homme aux gros moignons. Et n’à présent, qu’est-ce on fait-il d’c’t population désœuvrée ?

25

UN TRAVERSIN TRAVERSANT

Je me dis qu’en rentrant chez nous, je demanderai à m’man de me faire « un vol-au-vent financière lyonnais ». C’est à la sauce tomate, avec des olives vertes dénoyautées, des morceaux de ris de veau, des quenelles de brochet, le tout dans une immense timbale en pâte feuilletée. Merde ! J’en mouille d’évoquer ce mets, tellement qu’il est too much. Arrosé d’un Condrieu rouge, tu ne peux pas savoir ce qu’est le bonheur si t’as jamais dégusté une chose pareille, Mireille ! Tu t’en fais sauter la sous-ventrière ! Faut bouffer ça un dimanche car c’est hautement dominical comme clape. Après la grand-messe. Ensuite, tu t’affales dans un fauteuil pour regarder Jacques Martin, lequel a été élevé au vol-au-vent, lui aussi. Ça complète bien. Le rêve serait que la petite bonne t’engloutisse le col de cygne, à genoux entre tes cannes, avec une serviette nid-d’abeilles autour du grand chauve, pas pénaliser ton bénoche aux éclaboussures de bougie.

Bon, je m’éloigne. Pourtant l’instant ne se prête pas aux dérapages érotiques. Me trouve en conférence avec Martin Gueulimans, son adjoint Van Tardyse, que j’avais aperçu lors de notre seconde visite chez la dame antiquaire, un inspecteur adjoint de l’adjoint, Béru, et une huile de la police d’Anvers.

Réunion en terrain neutre dans ma chambre du Grand Hôtel de l’Escaut et Albert Ier dont les fenêtres donnent sur le port immense aux multiples bassins d’ancrage. Le ululement des sirènes, le grondement des moteurs, les bras noirs des grues adressant des gestes que l’on dirait d’adieu aux remorqueurs poussifs, toute cette vie trépidante dans une odeur de goudron, de bois mouillé, de marée et de fumée crée une espèce de sortilège qui annihile mes préoccupances.

La journée s’achève lentement et le ciel, au-dessus de la mer du Nord, prend des couleurs de sang et de suie. Je ne puis, malgré l’importance de l’entretien, malgré aussi mes réminiscences de vol-au-vent, me défendre d’admirer ce grandiose panorama qui a inspiré tant de maîtres flamands.

Il dit, Gueulimans :

— Le souci que vous m’avez occasionné, mon cher ami…

— Quand je pense, fait le flic aux étiquettes rougeoyantes, que je suis entré chez le docteur et que vous vous trouviez dans une pièce toute proche !

Béru pète un coup très sobre, sec comme la détonation d’une arme à feu. Les regards se tournant vers lui, il déclare, sans la moindre gêne :

— En v’là un qu’est pas tombé loin.

Il renifle énergiquement et poursuit, avec sa délicatesse proverbiale :

— J’ai bien fait d’y donner sa liberté, car y commençait à plus êt’ du jour !

Nos amis les Belges hochent la tête de concert.

Ils se disent que leurs confrères français sont mal débouchés (voire, embouchés).

Mon homologue Gueulimans revient à l’ordre du jour.

— Toujours est-il que vous avez fait de l’excellente besogne, déclare-t-il du ton qu’on prend pour décorer un brave sur le front des troupes. Vous avez mis la main sur un fameux nid de sales gens. Des années que les polices belge, italienne et allemande traquaient cette bande de terroristes, en pure perte. Leur palmarès est impressionnant : dynamitage du pont sur la rivière Van Quevaille, déraillement du Paris-Saint-André-le-Gaz, incendie de l’hôtel Danlphion, meurtre du conseiller Von Machepraü, attentat contre le consulat général de France dans l’émirat du Plumedanl’c, dégel instantané de la patinoire de Maitesky, en Finlande, pendant les championnats du Monde de patinage allégorique, cambriolage accompagné d’assassinat à l’ambassade du Malabar-Klérambar de Rome, bombe à la gare de Dizimieu-les-Tronches pendant le festival du film des Avenières, fausse couche provoquée de Mme Frotzy Lsizy, vice-Premier ministre du Népal, et j’interromps une liste qui deviendrait fastidieuse à la longue. Chacun des individus que vous avez neutralisés chez ce médecin marron possède un pedigree qui ridiculiserait celui de feu Al Capone.

« Lorsque Leurs Majestés seront mises au courant de cet exploit, il est probable qu’elles tiendront à vous honorer d’une invitation à déjeuner. Au menu, il y aura : Foie gras du Père Igor ; sole d’Ostende Léo Ferré, aux nouillettes persillées ; saltimbocco alla Romana ; gelati au maraschino servies avec des biscuits sablés. Le roi essaiera de vous refiler un petit vin italien récolté par un cousin de sa femme. Ne vous laissez pas faire et réclamez du bordeaux pour raison de santé : ils possèdent, au palais, un saint-julien épatant en provenance directe de la propriété ; je crois savoir qu’il le paie dans les cinquante francs français la bouteille, livré directement du château au palais. »

Je remercie mon éminent confrère de ses conseils et retourne à la question qui me tient à cœur : celle de la mystérieuse maison d’Irène Ballamerdsche, avec son souterrain secret et son dortoir équipé de prises de gaz soporifico-neutralisant.

— Il y a du nouveau à ce sujet ?

— Non ! Le personnel a repris sa vie habituelle comme si rien ne s’était passé. Je n’ai pas voulu le reconvoquer à nouveau. J’ai pensé qu’il valait mieux charpenter le dossier avant de remettre ces gens sur la sellette.

— Au fait, vous avez la liste des occupants de la villa, cher ami ?

Gueulimans se tourne vers son futur presque adjoint, l’officier Van Tardyse. Ce dernier qui m’a l’air précieux, sort un feuillet plié en quatre, le déploie en un pour le présenter à son vénéré.

— Donnez à M. le directeur ! décline l’époux de la vaillante Ingrid.

J’empare et lis. Pas lerchouille de trèpe à vrai dire : Adèle Humecreuse, la gentille secrétaire ; Martine, la fille handicapée ; Clémence Schope, son infirmière ; Isydor Dunhoeil, le valet ; Gertrude Givez, la cuisinière, et Jean Composte, le jardinier.

— Martin, fais-je à Martin, croyez-vous pensable qu’aucune des personnes figurant sur ce feuillet ne soit au courant de l’activité clandestine de la maison ? Alors que des gens qui s’activaient dans le souterrain allaient et venaient sans problème ?

— Impossible ! ne peut s’empêcher de lâcher Van Tardyse, malgré qu’il ne fût pas sollicité.

Mon ami, l’époux de la ravageuse Ingrid, consent à dénégater. Lui, certes, ne connaît pas les lieux, mais il se fie à nos expériences rassemblées.