— Si vous m’en croyez, cher illustre confrère, lui dis-je, il serait grand temps de rendre visite aux occupants de la villa du Bois de la Cambre et de leur sortir, sinon le grand jeu, du moins des arguments péremptoires.
Il a une réponse très aristocratique :
— Certes !
Et moi, dans ma théière, ça bullitionne si bien que la vapeur m’en sort des naseaux.
Les autres messieurs continuent de causer de l’affaire, Béru à loufer avec soin des Soissons imaginaires (il existe des grossesses nerveuses pour les pétomanes).
Ma pomme, je fais la pige à Rodin. Le Penseur, c’est moi.
Si tant tellement, qu’à la fin de l’envoi, Gueulimans ne peut s’empêcher de me l’objecter :
— Vous êtes ailleurs, mon cher collègue.
— Vous m’avez bien dit que vos confrères anversois ont dû hospitaliser la fille de la bande ?
— Exact, pourquoi ?
— Il faut que j’aie un entretien avec elle !
Le cornard à Ingrid libère une grimace qui servirait de modèle pour faire le masque de Grincheux dans la superproduction Blanche-Neige.
— Hum, ça ne va pas être commode. Maintenant, cette fille est en charge de nos homologues d’ici, pour lui parler, je devrais remplir une montagne de formulaires et être assisté du juge d’instruction bruxellois !
Son manque d’enthousiasme ne me laisse rien augurer de bon.
— Indiquez-moi simplement l’hôpital où elle se trouve, je lui enverrai des fleurs !
26
TU TREMBLES, CARCASSE ?
« Mais si tu savais où je vais te mener tout à l’heure, tu tremblerais bien davantage », qu’il disait, Turenne. Et il avait raison puisqu’il s’est fait scrafer comme un nœud à la bataille de Sasbach.
Moi, franchement, rien de commun avec le Grand Frisé. Miss Carcasse, je sais où je la mène, et elle ne tremble pas. Elle en a vu d’autres. Des plus inquiétants.
À l’instant où je la sollicite, faut dire que tout baigne. L’affaire est en grande accalmie et rien ne laisse présager les heures grabugiennes qui m’attendent. J’ai presque un sentiment pépère de quiétude bourgeoise.
Reste à déterminer qui a buté la mère Ballamerdsche dans cette église de banlieue, ce qu’elle avait contre le brave chanoine Dubraque pour se rendre à confesse armée d’un riboustin. Et puis, et surtout, savoir ce qu’était son dortoir clandestin du Bois de la Cambre, avec ses appareils gazeurs. Mais tout cela, je me fais fort de le faire cracher à ses gens.
Me reste à éclaircir les raisons de mon enlèvement. Pourquoi nous a-t-on kidnappés et séquestrés, le Mammouth et moi ? Quelles étaient les intentions de nos ravisseurs en nous expédiant dans le port d’Anvers (et contre tout) ? Devions-nous être embarqués pour une destination mystérieuse et lointaine ? Dans quel but ?
Dans le fond, tu vois, je me suis trop pressé d’alerter mes confrères belges. J’aurais dû, avant de leur passer le bébé, cuisiner « à fond nos convoyeurs ». Entre mon mignon produit, inventé par Mathias, pour amener les gus aux confidences, et les arguments contondants du Mastard, nous aurions obtenu des révélations opportunes qui nous auraient permis de gagner du temps.
Mais tu sais ce que c’est ? On avait tout ce pacsif de méchants sur les brandillons, dont certains vachetement éclopés. Moi-même, je me sentais un tantisoit rémoulade après avoir dégusté cette vérolerie de civière métallique dans le baquet ! J’ai eu qu’une idée en tronche ; m’assurer de cette équipe de vilains, la neutraliser complet en la mettant en lieu sûr.
Songe qu’on n’est pas chez nous, dans ce pays frère. L’idée d’entreprendre l’élevage du ver à soie chez ton beauf serait saugrenue quand bien même tu l’adores. J’ai raison ou non ? Alors j’ai paré au plus urgent : l’embastillement de tout ce vilain monde. Et à présent, je me traite de crâne de piaf dans ma Ford intérieure. De hotu malade ! Putain, je disposais du matériel complet de renseignements ; j’avais les brémouzes en pogne et mézigue, nœud volant (et coulant), d’en faire cadeau aux Anversois !
C’est ça, s’auto-cocufier ! Ça, l’avoir dans le prose ! Les marrons du feu, il tire, ton Antoine joli, à s’en brûler le bout des fingers. Mais qui c’est qui les bouffe ? Une équipe de Flamands roses qui ne causent pas français !
— T’as l’air en riaque ? demande ce fin observateur d’Alexandre-Benoît.
En « riaque », chez nous, c’est quand on donne dans le maussade, le cacateux, c’est quand t’en as quine de supporter les locdus environnants, les mesquins, les tantouzes maniérées, les requins, gredins, arnaqueurs à l’affût.
— J’aurais dû rester devant mon Dubonnet, fais-je, parodiant une pub obsolète.
— Tu peux toujours y retourner, fait valoir cet homme sain.
— Et comment ! Laisse qu’on en ait terminé avec cette historiette à la flan ! Tu vas voir les huit jours de campo que je vais me ramasser, chez maman, à me faire cuisiner des petits plats. Les meilleurs kilogrammes, c’est à ma vieille que je les dois. Va falloir qu’elle me déballe son grand jeu des circonstances exceptionnelles, Féloche ! Y aura des gratins de cardons, mec ; des têtes de Veau vinaigrette ; des quenelles financière ; des poulardes demi-deuil ; des rôtis de porc aux marrons ; des ris de veau aux raisins secs.
« Je choisirai des boutanches inoubliables dans le fond de ma cavouze, là que je remise les trésors ; je te parle pas de l’Yquem 67 qui va de soi, mais je remonterai au grand jour des « La Tâche » qui te font éjaculer à petites giclettes pendant que tu les bois, des « Cheval Blanc » meilleurs que les Essais de Montaigne, et des « Château Chalon » au goût de noix. Rien que leur évocation me guérit de mon marasme, mon vieux Béru. Je me sens redevenir meilleur ; plus proche de mes semblables. Le con m’incommode déjà moins et j’éprouve de l’indulgence pour le méchant. »
C’est ma décision d’agir qui provoque ce revirement, tu crois ?
Probablement, hein ?
L’hôpital Van Kolfort se dresse à l’orée du quartier Sussmagross, non loin de la Manufacture Nœud d’où sortent les plus belles têtes d’Antwerpen. C’est une bâtisse déjà vieille, mais parfaitement entretenue, spécialisée dans le traitement d’une maladie remontant à la plus haute Iniquité connue sous le nom de « Chaude-Lance » parce qu’elle rendait brûlant le manche de cette arme élémentaire qu’utilisaient les guerriers venus de Germanie.
D’après ce que je me suis fait expliquer (sans en avoir l’air), le quartier réservé à l’univers carcéral se situe dans l’aile la plus ancienne, à l’extrémité nord de l’établissement. Il ne se distingue du reste que par les barreaux rouillés dont sont munies ses étroites fenêtres. La construction ne comporte que deux étages ; les détenus malades sont peu nombreux et ne l’occupent qu’au tiers de sa capacité, si bien que dans les cas de grande fréquentation, la partie normale déborde dans la partie pénitentiaire.
On s’arrime vers les dix heures of the soir, le Gradu et mécolle. C’est le moment où un hosto possède sa vitesse de croisière nocturne. Les soignantes de la nuit ont distribué les remèdes vespéraux et se confinent dans leurs tisaneries pour essayer d’en concasser un chouïe en attendant les appels des mal dormants.
Nous nous pointons, saboulés en personel hospitalier : survêtes vert d’eau, calotte ronde penchée sur les sourcils, sabots à grosses semelles de bois. Je m’offre même un stéthoscope en guise de collier.
Le quartier pseudo-disciplinaire ferme à clé, mais mon sésame se riant de cette précaution, nous pénétrons dans la place aussi facilement que toi chez toi quand t’es pas trop beurré.