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Un couloir mal éclairé, si cafardeux qu’il donne envie de pleurer et de déféquer dans son bénoche, simultanément. Tout de suite, j’avise ce que je compte trouver là : un flic assis près de la lourde, avec cet air infiniment malheureux des gens condamnés à se faire chier des heures durant.

Je m’adresse à lui en allemand. C’est un mec brun, avec des yeux éclairés par une hépatite en sommeil. Il me demande :

— Vous ne causez pas français ?

— Nein, que j’y rétorque, du tac tac au tagada.

T’ai-je dit que nous avons modifié nos faciès avenants par des postiches qui feraient pleurer de rire une tête de nœud ?

Le gus s’obstine à nous jacter français. Il est wallon, de Liège, et il n’a jamais pu s’ingurgiter la moindre flamanderie.

Je fais mine d’entraver que pouic à son discours. Avoue que c’est bien l’ironie du (hareng) sort : pour une fois qu’on tombe sur un gazier qui parle uniquement notre bas dialecte, faut qu’on ait décidé d’oublier sa langue matemoche.

Béru qui coltine un sac en papier y puise un flacon de cognac et le tend au poulardin.

— Drin kit, drin kit, my pote ! propose-t-il avec cette convivialité bonhomme qui rend sa compagnie si précieuse.

Le garde hésite :

— Il am in seurvice !

— Moi saucisse ! lui riposte le Gros en débouchant la boutanche.

Le garde cède. Son pif porte certaines marbrures qui ne figurent pas parmi les stigmates des buveurs d’eau.

Pendant qu’il biberonne, je braque un petit vaporisateur de poche sur sa moustache et lâche deux gliclettes prestes, une dans chaque narine.

Le mec n’a que le temps de restituer la bouteille et de déclarer :

— Je sais pas ce que j’ai…

Déjà il est shooté. Généreux, le Gravos freine sa chute. Lors, nous décrochons le trousseau de clés fixé à sa ceinture. On pourrait s’en passer, note bien, mais à quoi bon surmener mon sésame ?

La première chambre-cellule est vide, son judas me permet de le constater. Dans la deuxième, il y a un vieux gus ridé pomme reinette, avec quelques touffes de moisissures sur la tronche et un tarbouif becqueté par les vers de peau.

N’a pas l’air en grande forme ; plutôt le contraire. Il est vachement résiduel ; on pige que c’est du peu au jus pour sa pomme. Probable qu’il cannera ici avec la saison des crocus, en remâchant sa vie pourrie.

Je sais bien que toutes les fins d’homme sont blettes, qu’il n’y en a pas d’euphoriques ; mourir, c’est pas engageant, même pour les grands mystiques qui comptent, dur comme ma queue, sur le paradis. Et pourtant tout le monde a cessé, cesse ou cessera. La vie c’est juste une bande-annonce pour film à la noix. On devrait « sentir » ça dans sa chair et dans son esprit. Mais que tchi : on conserve le bandeau des fusillés sur les yeux pour pas voir le peloton. On espère pas, non, on ne va pas jusque-là, simplement on occulte ; on chasse de ses perspectives la culbute inexorable. La remet à plus tard, à jamais. C’est ça, vivre : oublier sa fin.

Il attend quoi et pourquoi, ce demi-mortibus dans sa geôle hospitalière ? Sa soupe ? L’infirmière qui lui carre un thermomètre sous le bras ? Le jour qui se lève ? La nuit qui tombe ? La crève doucereuse qui s’amène sans se presser par le chemin des écoliers ?

Je rabats le judas. Tchao, grand-père de mauvaise rencontre ! Que la terre t’emmitoufle bientôt !

Le troisième trappon est le bon.

La dévergondée dont je mets la chaglatte en folie est allongée sur un lit, le visage davantage bandé que celui de « L’Homme invisible ».

— Gaffe ! fais-je simplement au gros Charmeur en entreprenant la porte avec Miss « Je-me-touche-en-finesse », mon sésame bien-aimé.

J’entre.

Elle ne dort pas, tourne la tête dans ma direction. Son regard qui filtre à travers la gaze exprime instantanément la plus incoercible passion, malgré ses souffrances. Pas croyable l’effet que je lui fais à cette soupière ! Des béguins, j’en ai suscité à la pelle, sans vouloir en installer ; et des frénésies aussi, pour être franc. Le nombre de frangines qui m’ont violé est pas calculable ; de même que celui des petites sœurs en pâmade qui m’ont emparé le trognon de chou sans que j’eusse à lever le petit doigt ! Mais un tel fanatisme, j’ai beau rétrospectiver mes bonnes fortunes, je vois pas d’équivalences.

Je m’avance jusqu’à son plume et pose ma dextre sur son poignet. Illico, son autre main me happe.

Elle émet une sorte de gémissement, son bassin se soulève et la voilà qui tend sa babasse dans ma direction.

— Doucement ! la calmé-je.

Je vais au vilain placard de fer. Dedans il y a ce que je cherche : les fringues de la mousmé. Fissa, les dépose sur son lit.

— Habillez-vous vite.

Elle ne se le fait pas enregistrer sur bande magnétique : en un clin d’œil la voici verticale. Elle arrache sa chemise d’hosto, en toile rêche, la fout au sol. Pas mal bousculée, la moukère. Peau ambrée, nichebabes en poires, très fermes ; tablier de sapeur tout en astrakan premier choix ! Un qui lui raserait la chatte obtiendrait de quoi se faire un bonnet de Cosaque !

Tu sais quoi ? Malgré les périls qui nous guettent, la voilà qui s’écarte la moniche pour dégager son escarguinche rose. Par pur savoir-vivre (en toutes circonstances, une gonzesse ça se respecte), je lui passe le tranchant de la paluche sur la moulasse. C’est onctueux comme de la mousse à raser.

— Pressons ! dis-je.

Je la regarde mettre sa culotte bleue bordurée de dentelle blanche. Me dis qu’elle a peut-être les cuissots un peu forts, mais c’est pas grave.

Elle continue de se harnacher vite fait. Le temps de compter jusqu’à douze, elle est saboulée. Béru apporte le garde dans le lit tout chaud de la fille et le bâillonne, puis l’attache.

En caltant, on ferme la lourde à clé, naturellement, et on engourdit le trousseau.

— Faudrait un chariot, murmuré-je.

— Vos désirs sont en désordre, monseigneur, j’en ai retapissé z’un derrière la lourde.

Tout va pour le vieux dans le malheur des mondes. Simplement un bout d’os au moment qu’on va atteindre la sortie. Une grosse rombiasse de noye, avec des loloches comme deux ventres et un ventre plus gros qu’un aérostat mal gonflé, nous hèle en flamand.

On stoppe.

— Ya vol ? lui lance le Mastard.

L’obèse garde de nuit roule jusqu’à nous et se met à jacter d’une voix qui fait penser à une benne basculante déchargeant plusieurs tonnes de gravier.

J’ai beau sourire à la dondon, par-dessous ma baffie postiche, elle demeure inattendrie.

Ce que constatant, le bon Mammouth prend le parti le plus raisonnable et le moins onéreux, celui de lui décocher un terrific crochet au bouc.

Ça fait comme quand tu t’assieds par mégarde sur ton paquet de cacahuètes.

La montagne de viande s’éboule.

27

UNE BLANCHE NE VAUT PAS DEUX NOIRES,

SURTOUT QUAND ELLE EST MORTE !

Le principal intérêt de ma putain de vie, c’est qu’elle est extravagante. Je ne compasse jamais, fais fi de toute routine, hais l’autosatisfaction, m’insurge contre la soumission, abolis l’esclavage, mortifie les imbéciles, détracte le faux-cuage, n’emprunte jamais aux riches, prête quelquefois aux pauvres, bouffe les culs inodores, me laisse pleurer dans le gilet par les gens de cœur, embrasse les causes perdues, baise les femmes malheureuses, me fais sucer par les dames comblées, prie souvent l’hypothèse de Dieu, consomme des calories excédentaires, vote scrupuleusement, aime à faire des cadeaux, serais ravi d’en recevoir, vis et conduis souvent en état d’ébriété, demande beaucoup à la vie, lui donne davantage, tolère énormément, réprouve parfois, gagnerais à être méconnu, meurs à petit feu et sais suffisamment de saletés sur les autres pour pouvoir me faire une idée approximative de moi-même.