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— Et cette introduction auprès du directeur de Rhodia ? Elle ne vous appartient pas davantage ?

— Si, cela m’appartient. (Biron avait préparé sa réponse depuis longtemps ; le message ne mentionnait pas son nom.) Il existe un complot qui a pour but d’assassiner le directeur…

Il se tut, épouvanté par sa propre maladresse. Tout en parlant, la stupidité de ses paroles lui était pleinement apparue. Sûrement, le commissaire devait le regarder avec un sourire d’apitoiement cynique ?

Mais non. Avec un petit soupir, Aratap retira habilement ses lentilles de contact et les plaça dans une coupe contenant une solution saline. Ses yeux larmoyaient légèrement.

Cela fait, il daigna parler :

— Et vous êtes au courant de ce complot ? Alors que vous vous trouviez sur Terre, à cinq cents années-lumière d’ici ? Alors que notre propre police, ici à Rhodia, n’en a jamais eu vent ?

— Votre police est ici. Les auteurs du complot se trouvent sur Terre.

— Je vois. Et vous êtes leur envoyé ? Ou bien venez-vous mettre Hinrik en garde contre ce danger ?

— Le mettre en garde, bien entendu.

— Vraiment ? Peut-on savoir pourquoi ?

— A cause de la récompense substantielle que j’espère obtenir.

Aratap se permit un sourire.

— Voilà au moins qui sonne vrai et rend plus plausibles vos autres déclarations. Et quels sont les détails de ce complot ?

— Je ne puis les dévoiler qu’au directeur lui-même.

Après une légère hésitation, Aratap haussa les épaules.

— Soit. Nous n’intervenons jamais dans ces questions de politique locale ; cela ne nous intéresse pas. Désirant néanmoins contribuer à la sécurité du directeur, nous nous chargerons de vous introduire auprès de lui. Vous resterez avec nos hommes en attendant que vos bagages arrivent. Ensuite, vous serez libre de partir. Emmenez-le.

Là-dessus, il remit ses lentilles, ce qui effaça instantanément la douce expression de myope qui le faisait paraître incompétent, sinon stupide. Biron sortit avec les quatre hommes armés.

* * *

Aratap s’adressa au commandant, qui était resté dans la salle.

— Je pense qu’il serait bon de surveiller de près le jeune Farrill.

— Certes ! approuva énergiquement l’officier. Un moment, je m’étais demandé si vous n’aviez pas mordu à son histoire. Personnellement, je la trouve parfaitement incohérente.

— C’est évident, mais cela nous permettra de le manœuvrer quelque temps. C’est facile, avec ces jeunes imbéciles qui regardent trop les émissions d’espionnage à la vidéo. C’est le fils de l’ex-Rancher, bien entendu.

Cette fois, le commandant hésita :

— En êtes-vous certain ? Les preuves que nous possédons sont bien fragiles.

— Vous pensez qu’on les aurait effectivement cachées dans ses bagages ? Dans quel but ?

— Peut-être pour distraire notre attention du vrai Biron Farrill, qui se trouverait, qui sait, à mille années-lumière d’ici.

— Non, impossible. Du mauvais théâtre, rien de plus. Nous possédons un photocube du jeune Rancher. Voulez-vous le voir ?

— Certainement.

Aratap souleva le presse-papiers posé devant lui, un simple cube de verre de dix centimètres de côté, noir et opaque.

— Le cas échéant, j’avais l’intention de confronter le jeune homme avec son portrait. C’est une invention amusante, récemment mise au point dans les mondes intérieurs. En apparence, c’est un photocube ordinaire mais si on le pose à l’envers, il devient totalement opaque. Simple question de restructuration moléculaire.

Il tourna le cube dans l’autre sens. Lentement, l’opacité se dissipa, comme un brouillard qui se lève, et le cube devint d’une clarté cristalline. Un jeune visage souriant apparut, dans toute sa fraîcheur, instant de vie solidifié à jamais.

— Cet objet faisait partie des possessions de l’ex-Rancher. Que vous en semble ?

— C’est lui, sans l’ombre d’un doute.

— N’est-ce pas ? (Le Tyranni regarda songeusement le portrait.) On devrait pouvoir fixer six portraits dans un même cube, toujours en utilisant le même procédé. Le cube a six côtés, ce qui permet six positions et donc six réorientations moléculaires différentes, se mélangeant au gré des mouvements qu’on leur imprime, ce qui transformerait cette forme d’art statique en un art dynamique. Quel renouveau ! Ne pensez-vous pas, commandant ?

Mais l’officier ne suivant plus Aratap, ce dernier dit, coupant court à son commentaire sur l’art :

— Vous comptez donc faire surveiller Farrill ?

— Certainement, commissaire.

— Faites de même avec Hinrik.

— Hinrik ?

— Bien sûr. A quoi bon libérer le jeune homme, autrement ? J’aimerais connaître la réponse à plusieurs questions. Pourquoi Farrill veut-il voir Hinrik ? Quel est leur lien réel ? Le feu Rancher n’agissait pas seul. Il y avait certainement une organisation derrière lui, et nous n’en connaissons toujours pas le fonctionnement.

— Hinrik ne faisait sûrement pas partie de la conspiration, voyons, commissaire. Même s’il en avait eu le courage, ce dont je doute, il est bien trop bête.

— Soit, mais c’est peut-être à cause de sa bêtise même qu’ils se servaient de lui. Nous ne pouvons pas négliger cette possibilité, ce serait une faille dans notre dispositif de sécurité.

Aratap congédia l’officier d’un geste vague. Il pensait déjà à autre chose. Le commandant salua et sortit.

Aratap soupira et reposa le cube, regardant la noirceur d’encre effacer progressivement l’image souriante.

Du temps de son père, la vie était plus simple. Ecraser une planète avait une certaine grandeur cruelle. Tandis que le jeu auquel ils se livraient avec ce jeune innocent était tout simplement cruel.

Et pourtant, c’était nécessaire.

5

Comparé à la terre, le directorat de Rhodia est un habitat récent pour l’homo sapiens. Même les mondes de Sirius ou du Centaure sont habités depuis plus longtemps. Les planètes d’Arturus, par exemple, étaient peuplées depuis deux cents ans déjà lorsque les premiers vaisseaux explorèrent la Nébuleuse de la Tête de Cheval. Ils y trouvèrent, découverte sensationnelle, un nid d’une centaine de planètes du type eau-oxygène. Découverte sensationnelle car, bien que des planètes infestent l’espace, rares sont celles qui remplissent les conditions nécessaires à la vie humaine.

La Galaxie comprend entre cent et deux cents milliards d’étoiles, et quelque cinq cents milliards de planètes. Une bonne partie de ces dernières ont une gravité supérieure à 120 % de la gravité terrestre, ou inférieure à 60 % de celle-ci, et se révèlent inhabitables à la longue. D’autres sont trop chaudes, ou trop froides. D’autres encore ont une atmosphère vénéneuse – les atmosphères composées de néon, d’ammonium, de méthane, de chlore, ou même de tétrafluorure de silicium, ne sont pas rares. Il y a des planètes sans eau, et des planètes couvertes d’océans d’oxyde sulfureux. Il y en a aussi qui manquent totalement de carbone.

En bref, à peine une planète sur mille est habitable – ce qui laisse néanmoins un total estimé de quatre millions de mondes convenant à l’organisme humain.

Le nombre exact de ceux qui sont effectivement habités n’est pas connu avec certitude. Selon l’Almanach Galactique, Rhodia était le 1 098e monde colonisé par l’homme.

L’évolution historique des mondes de la région transnébulaire ressemble tristement à celle de tous les pays en voie d’expansion. Les républiques planétaires s’établirent en succession rapide, chacune vivant dans un isolement presque total. Conséquence de l’expansion économique, des planètes voisines furent colonisées et intégrées à la société mère. De véritables petits « empires » s’établirent de la sorte et, comme l’on pouvait s’y attendre, ils se heurtèrent.