— Biron Malaine ? demanda le garde Rhodien en lui faisant signe de le suivre.
Un resplendissant petit monorail les attendait, délicatement suspendu par une force ‘diamagnétique à une mince barre de métal rougeâtre. Biron n’en avait jamais vu auparavant, et il s’arrêta pour le regarder.
Le petit véhicule, qui pouvait accommoder tout au plus cinq ou six personnes, se balançait légèrement au vent, comme une larme suspendue à un cil, et sa surface argentée réfléchissait la chaude lumière du soleil de Rhodia. Le rail unique était mince comme un câble, et effleurait à peine la surface du véhicule. Un coup de vent plus fort l’en écarta même de la largeur d’une main, et il semblait avide de s’en détacher pour prendre son envol, luttant contre le champ de force invisible dont il était prisonnier.
— S’il vous plaît, lui dit le garde avec impatience, et Biron monta les deux marches donnant accès au véhicule. Dès que le garde l’y eut suivi, les marches s’escamotèrent, s’insérant parfaitement dans la surface extérieure lisse et brillante.
Biron se rendit compte avec émerveillement que, de l’intérieur, les parois était parfaitement transparentes. Il se trouvait dans une bulle de cristal. Le garde toucha une petite commande, et ils prirent immédiatement de la vitesse, fendant l’atmosphère avec un léger sifflement. Un instant durant, Biron put embrasser le panorama entier du parc et des bâtiments du palais.
L’ensemble était d’une indescriptible beauté ; il semblait avoir été conçu pour être vu d’en haut.
Il se sentit doucement projeté en avant, et le véhicule s’arrêta en dansant. Le trajet n’avait guère duré que deux minutes.
Il se trouvait devant une porte ouverte. Il entra, et elle se referma derrière lui. Il était seul, dans une petite pièce blanche et nue. Pour le moment, il était apparemment libre de ses actions, mais il ne se faisait pas d’illusions. Depuis cette damnée nuit, sur la Terre, il n’avait pas accompli une seule action indépendante.
Il se sentait pareil à une pièce d’échec que d’autres déplacent. Jonti l’avait mis sur le vaisseau. Le commissaire Tyrannien l’avait placé ici. Et à chaque déplacement, il se sentait plus désespéré.
Il était évident que les Tyranni n’avaient pas été dupes de son histoire. Ils n’avaient même pas effectué de vérifications de routine, auprès du consul terrestre, par exemple, ou en prenant sa structure rétinienne. Ces omissions ne pouvaient être accidentelles.
Il repensa à l’analyse que Jonti avait faite de la situation ; peut-être était-elle encore valable, dans une certaine mesure. Les Tyranni hésiteraient à le tuer, pour ne pas créer un nouveau martyr. Mais Hinrik était leur créature, et il était parfaitement capable d’ordonner son exécution. Il s’agirait alors d’une affaire intérieure, dont les Tyranni ne seraient que les spectateurs dédaigneux.
Biron serra les poings. Il était grand et fort, mais il n’était pas armé. Et ceux qui allaient venir le seraient sûrement. Automatiquement, il se mit le dos contre le mur.
Une porte s’ouvrit à sa gauche et un homme entra. Il était en uniforme, et armé, mais il était suivi d’une jeune fille. Cela le rassura un peu. En d’autres circonstances, il l’aurait examinée de près, car elle le méritait, mais il ne pouvait détacher son regard de l’atomiseur du garde.
Ils s’arrêtèrent à deux pas de lui, et la jeune fille dit au garde :
— Laissez-moi lui parler d’abord, lieutenant.
Elle se tourna vers lui avec une expression soucieuse.
— Vous veniez nous parler d’un complot contre le directeur ?
— On m’avait affirmé que je verrai le directeur lui-même, dit Biron.
— C’est impossible. Si vous avez quelque chose à dire, dites-le-moi. Si vos renseignements sont utiles et véridiques, vous serez bien accueilli.
— Puis-je vous demander qui vous êtes ? Qu’est-ce qui me prouve que vous êtes autorisée à parler au nom du directeur ?
La jeune fille poussa un soupir excédé.
— Je suis sa fille. Répondez à mes questions, je vous prie. Vous venez d’en dehors du Système ?
— De la Terre, dit Biron et il ajouta : Votre Grâce.
Cela parut lui plaire.
— Où est-ce exactement ?
— C’est une petite planète du secteur de Sirius, Votre Grâce.
— Et vous vous appelez ?
— Biron Malaine, Votre Grâce.
Elle le regarda songeusement.
— Ainsi vous venez de la Terre… Savez-vous piloter un vaisseau spatial ?
Biron réprima un sourire. Elle savait fort bien que la navigation spatiale était une science interdite dans les mondes contrôlés par les Tyranni.
— Oui, Votre Grâce.
Il pouvait le prouver, d’ailleurs, s’ils le laissaient vivre jusque-là. Sur Terre, ce n’était pas une science interdite, et en quatre ans, on peut beaucoup apprendre.
— Bien. Et ce complot ?
Il prit subitement sa décision. Parlant au garde, il n’aurait pas osé, mais c’était une jeune fille, et si elle disait vrai, si elle était réellement la fille du directeur, il parviendrait peut-être à l’influencer en sa faveur.
— Il n’y a pas de complot, Votre Grâce, dit-il.
La jeune fille eut un sursaut de surprise, mais se reprit rapidement.
— Je vous charge de la suite, lieutenant. Et tâchez d’apprendre la vérité.
Biron fit un pas en avant et se trouva face à l’atomiseur du garde.
— Attendez, Votre Grâce ! Attendez ! Ecoutez-moi ! C’était pour moi la seule chance de voir le directeur, vous comprenez ?
Il éleva la voix pour qu’elle porte jusqu’à la silhouette de la jeune fille, qui s’éloignait rapidement.
— Dites au moins à Son Excellence que je suis Biron Farrill et que je demande à bénéficier du droit d’asile.
C’était un espoir bien fragile. Les anciennes coutumes féodales avaient déjà perdu de leur force avant même l’arrivée des Tyranni. Mais c’était cela ou rien.
Elle se retourna, levant les sourcils avec un étonnement indigné.
— Vous voilà donc aristocrate, tout d’un coup ? Il n’y a guère qu’un moment, vous vous appeliez Malaine.
Une nouvelle voix se fit inopinément entendre :
— En effet, en effet, mais le second nom est le vrai. Vous êtes Biron Farrill sans nul doute, cher monsieur. La ressemblance est frappante.
Un petit homme souriant se tenait dans l’embrasure de la porte. Ses yeux brillants, largement espacés, examinaient Biron avec une acuité amusée.
— Voyons, Artémisia, vous auriez dû vous en apercevoir !
Artémisia alla vers lui, et sa voix se radoucit.
— Oncle Gil ! Que faites-vous ici ?
— Je soigne mes intérêts, Artémisia. N’oublie pas que, dans l’éventualité d’un… assassinat, je serais le mieux placé pour la succession. (Ce disant, Gillbret oth Hinriad fit un clin d’œil fort théâtral.) Tu devrais demander au lieutenant de nous laisser. Il n’y a aucun danger, voyons.
Sans tenir compte de sa suggestion, elle lui dit sur un ton accusateur :
— Vous avez de nouveau capté leurs communications !
— Bien sûr ! C’est si amusant d’écouter ce qu’ils disent ! Tu ne voudrais quand même pas me priver de ce petit plaisir ?
— S’ils vous y prennent, vous trouverez cela moins drôle.
— Le danger fait partie du jeu, ma chérie. C’est même la partie la plus amusante. Les Tyranni épient toutes les conversations du Palais, après tout. Nous ne pouvons presque rien faire sans qu’ils soient au courant. J’essaie de les payer de la même monnaie, voilà tout… Tu devrais me présenter, sais-tu ?