— Certainement pas. Cette affaire ne vous concerne pas.
— Dans ce cas, si tu permets. (Passant devant Artémisia, il s’avança vers Biron en le considérant avec un sourire énigmatique :) Artémisia, je te présente Biron Farrill.
— Comme je venais de le dire, ajouta Biron, trop occupé à surveiller l’atomiseur du garde pour accorder beaucoup d’attention au nouveau venu.
— Mais vous n’avez pas ajouté que vous étiez le fils du Rancher de Widemos.
— J’allais le faire quand vous êtes arrivé. Peu importe ; vous savez tout maintenant. Vous comprenez que je devais échapper aux Tyranni, et que je ne pouvais le faire sous mon vrai nom.
Il attendit. S’ils ne le faisaient pas arrêter immédiatement, il avait sa petite chance.
— Je vois, dit Artémisia. Cela concerne effectivement le directeur lui-même. Vous êtes certain qu’il n’y a pas de complot ?
— Absolument certain, Votre Grâce.
— Parfait. Oncle Gil, aurez-vous la gentillesse de rester avec M. Farrill ? Lieutenant, venez avec moi.
Biron sentit ses jambes faiblir. Il aurait aimé s’asseoir, mais il n’y fut pas invité par Gillbret, qui continuait à l’observer avec un intérêt presque clinique.
— Ainsi, vous êtes le fils du Rancher. Que c’est amusant !
— En effet, dit Biron en le regardant du haut de ses un mètre quatre-vingts. C’est, si je puis dire, une situation congénitale. Y a-t-il autre chose pour votre service ?
Gillbret ne se montra nullement offensé. Au contraire, son visage se plissa en un sourire encore plus épanoui.
— Vous pourriez satisfaire ma curiosité, par exemple. Vous êtes réellement venu demander le droit d’asile ? Ici ?
— Je préférerais discuter de cela avec le directeur.
— Allons, jeune homme, soyez raisonnable. Vous vous apercevrez vite qu’on ne va pas loin, avec lui. Pourquoi croyez-vous que c’est sa fille qui est venue vous accueillir ? C’est une question amusante, si l’on y réfléchit bien.
— Vous trouvez tout « amusant ».
— Pourquoi pas ? C’est une attitude amusante, face à la vie. Je ne vois pas d’autre adjectif qui fasse l’affaire. Considérez l’univers, jeune homme. Si vous ne parvenez pas à le trouver amusant, autant vous couper la gorge tout de suite. Car en dehors de cela, il ne contient pas grand-chose de bon. Oh ! pardon, je ne me suis même pas présenté ! Je suis le cousin du directeur.
— Félicitations, dit Biron sans broncher.
Gillbret haussa les épaules.
— Oh, vous avez raison, ce n’est guère impressionnant. Et il est probable que cela ne changera pas, faute d’assassinat en perspective.
— A moins que vous ne vous chargiez des arrangements ?
— Quel sens de l’humour, cher ami ! Il faudra que vous vous habituiez au fait que personne ne me prend au sérieux. Ma remarque était simplement une expression de mon cynisme. Que vous imaginez-vous que vaut le directorat de nos jours, hein ? Ne croyez pas qu’Hinrik ait toujours été comme il est actuellement. Il n’a jamais été un génie, mais il devient plus impossible d’année en année. Oh, j’oubliais ! Vous ne le connaissez pas encore ! Mais cela ne va pas tarder. Je l’entends qui arrive. Lorsqu’il vous parlera, souvenez-vous qu’il est le souverain du plus grand royaume transnébulaire. Ce sera une pensée amusante.
Hinrik portait la dignité de son rang avec une aisance née d’une longue expérience. Il répondit à la courbette exagérément cérémonieuse de Biron avec la condescendance qui convenait, puis lui demanda, avec juste une trace de rudesse :
— Vous vouliez me parler. A quel propos, je vous prie ?
Artémisia se tenait aux côtés de son père. Biron remarqua, non sans surprise, qu’elle était fort jolie.
— Excellence, je suis venu sauver la réputation de mon père. Sachez qu’il a été exécuté injustement.
Hinrik détourna le regard.
— Je connaissais un peu votre père. Il est venu une ou deux fois à Rhodia. (Il continua d’une voix altérée :) Vous lui ressemblez beaucoup. Beaucoup, oui. Mais il a été jugé, vous savez. Je pense, du moins. Selon la loi. Je ne connais pas les détails, à vrai dire.
— Justement, Excellence, j’aimerais apprendre ces détails. Je suis certain que mon père n’était pas un traître, et…
Hinrik se hâta de l’interrompre :
— Je conçois fort bien que vous ayez le désir de défendre votre père, mais il est devenu bien difficile de parler de ces affaires d’Etat. C’est même illégal, en fait. Pourquoi n’allez-vous pas voir Aratap ?
— Je ne le connais pas, Excellence.
— Aratap ! C’est le commissaire ! Le commissaire Tyrannien !
— Ah, oui, je l’ai vu, en effet, et c’est lui qui m’a envoyé ici. Vous comprenez n’est-ce pas, que je ne puis pas dire aux Tyranni…
Mais Hinrik s’était raidi, et avait porté une main à sa bouche, comme pour l’empêcher de trembler.
— Aratap vous a envoyé, dites-vous ?
— Oui. J’avais jugé bon de lui dire…
— Ne répétez pas ce que vous lui avez dit. Je le sais. Je ne peux rien faire pour vous, Rancher… euh, monsieur Farrill. Cela ne relève pas uniquement de ma juridiction. Le Conseil Exécutif… Arrête de me tirer par la manche, Arta. Comment veux-tu que je me concentre si tu me distrais tout le temps ? Le Conseil disais-je, doit être consulté. Gillbret ! Pourriez-vous veiller à ce que l’on s’occupe de M. Farrill ? Je vais voir ce que nous pouvons faire. Oui, nous consulterons le Conseil, c’est cela. Il faut faire les choses dans les formes, vous comprenez. Dans la légalité. C’est très important. Très important.
Il sortit lentement, sans cesser de marmonner.
Artémisia attendit qu’il se fût éloigné, puis toucha le bras de Biron pour attirer son attention.
— Un moment. C’est vrai que vous savez piloter un vaisseau spatial ?
— Absolument, répondit-il en lui souriant.
Après un instant d’hésitation, elle lui retourna son sourire.
— Gillbret, dit-elle alors. Plus tard, j’aurais à vous parler, mais plus tard.
Elle partit d’un pas rapide. Biron la suivit du regard jusqu’à ce que Gillbret le ramène à la réalité.
— Vous devez avoir soif, et faim peut-être ? Un bain vous ferait sûrement du bien ? Les petits agréments de la vie ne sont jamais superflus, n’est-ce pas ?
— Merci, dit Biron, je veux bien.
La tension l’avait presque entièrement abandonné. Il se sentait détendu, et presque heureux. Elle était jolie. Très jolie.
Hinrik, lui, n’était nullement détendu. Il s’était retiré dans ses appartements privés, et ses pensées tourbillonnaient à un rythme enfiévré. Malgré tous ses efforts, il en revenait toujours à la même conclusion. C’était un piège ! Aratap l’avait envoyé ; c’était donc un piège !
Il enfouit sa tête dans ses mains pour tenter de calmer le martèlement de son sang ; oui, il savait ce qu’il allait faire. Il savait ce qu’il devait faire.
7
Sur toutes les planètes habitables, la nuit tombe régulièrement, quoique à des intervalles plus ou moins « respectables », les périodes de rotation pouvant varier de quinze à cinquante-deux heures. Cela demande au voyageur interplanétaire un épuisant effort d’adaptation.
Sur nombre de planètes, d’ailleurs, on évite cette corvée aux hommes, en adaptant, « sur mesures », les périodes de veille et de sommeil. La plupart du temps, du reste, l’usage universel d’atmosphères et d’éclairages artificiels rend ce problème secondaire, si ce n’est pour l’agriculture. Sur quelques planètes représentant des cas extrêmes, on a établi des divisions arbitraires ignorant les rythmes dits naturels.