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— Il s’est passé une chose fort amusante, Arta. Le jeune homme – je ne me souviens plus de son nom, mais vous voyez de qui je veux parler – a pris la fuite, en terrassant deux gardes au passage. Mais nous sommes à sa hauteur, maintenant : une compagnie de gardes contre un seul fugitif. Et me voici, le traquant opiniâtrement et étonnant ce brave capitaine par mon zèle et mon courage.

Artémisia réussit à prendre une expression d’intense stupéfaction.

Le capitaine marmonna une imprécation inaudible, puis dit :

— Excusez-moi, monseigneur, mais vos explications manquent de clarté, et vous nous retardez fâcheusement. Madame, l’homme qui dit être le fils de l’ex-Rancher de Widemos a été arrêté pour haute trahison. Il a réussi à s’échapper, et se trouve quelque part dans le Palais, que nous devons fouiller pièce par pièce.

Artémisia eut un mouvement de recul.

— Y compris mes appartements ?

— Si Votre Grâce le permet.

— Ah ! mais certainement pas ! Si un étranger se trouvait chez moi, je le saurais ! Vous manquez singulièrement de respect, capitaine. Imaginer que je pourrais être en compagnie d’un homme, d’un inconnu de plus, à cette heure de la nuit me paraît tout à fait inconvenant.

Le capitaine ne put que s’incliner.

— Loin de moi une idée pareille, madame. Veuillez m’excuser de vous avoir importunée à pareille heure. Votre assurance me suffit. Mais je tenais à m’assurer que vous étiez saine et sauve. Cet homme est dangereux.

— Sûrement pas dangereux au point que vous et vos hommes ne puissent en venir à bout.

Gillbret s’interposa de nouveau.

— Allons, capitaine, venez ! Pendant que vous échangez des politesses avec ma nièce, notre homme aurait le temps de dévaliser l’arsenal. Je vous conseillerais de laisser un garde à la porte d’Artémisia, pour éviter qu’elle ne soit de nouveau dérangée dans son sommeil. A moins, chère amie (et il fit un clin d’œil à Artémisia) que vous ne préfériez vous joindre à nous ?

— Non, merci, répondit Artémisia froidement.

— C’est ça, placez un garde, prenez-en un grand, dit Gillbret. Tenez, celui-là sera parfait. Ah ! nos gardes sont vraiment bien vêtus ! N’est-ce pas, Artémisia ? On les reconnaît de loin rien qu’à leur uniforme.

— Venez, monseigneur, lui dit le capitaine avec impatience. Vous nous retardez inutilement.

Sur un ordre bref, le gaillard en question sortit des rangs, salua Artémisia puis son capitaine, et alla prendre position devant la porte. Artémisia entendit la patrouille s’éloigner d’un pas rythmé.

Oui, Gillbret avait bien choisi, se dit-elle. Le garde était aussi grand que Biron de Widemos, bien qu’il eût les épaules moins larges. En fait, Biron n’avait pas que des défauts. Malgré son jeune âge, qui expliquait qu’il fût aussi peu raisonnable, il était au moins grand et musclé, ce qui pouvait avoir ses avantages. Elle avait été stupide de lui parler aussi vertement. Il n’était pas mal, à y bien réfléchir. Pas mal du tout.

Elle se dirigea vers le cabinet de toilette.

En entendant toucher à la porte Biron se raidit et retint sa respiration.

Artémisia regarda les fouets qu’il tenait, prêt à s’en servir.

— C’est moi, ne faites pas de bêtises !

Il poussa un soupir de soulagement et replaça les armes dans ses poches ; ce n’était pas très confortable, mais il n’avait ni ceinturon ni étuis.

— Venez, lui dit Artémisia. Et n’élevez pas la voix.

Elle portait toujours son peignoir coupé dans un tissu extrêmement souple que Biron voyait pour la première fois, et bordé d’une fourrure légère et argentée. Il adhérait au corps par une légère attraction électrostatique inhérente au tissu, rendant inutiles boutons, agrafes ou champs magnétiques. Ce vêtement cachait d’ailleurs à peine les formes d’Artémisia.

Biron sentit le sang monter à ses oreilles, sensation qu’il ne trouva nullement désagréable.

Artémisia attendit un instant, puis décrivit un petit cercle avec son index :

— Si cela ne vous ennuie pas ?

Biron leva les yeux sur son visage.

— Comment ? Oh ! désolé.

Il lui tourna le dos, très raide, attentif au doux froissement des tissus, pendant qu’elle se changeait. Il ne se demanda pas pourquoi elle n’était pas allée dans le cabinet de toilette ou, mieux encore, pourquoi elle ne s’était pas changée avant d’aller l’y chercher. La psychologie féminine a des profondeurs qui, faute d’expérience du moins, défient l’analyse.

Biron pensa soudain à autre chose :

— Nous pouvons partir, alors ?

Elle secoua la tête.

— Pas tout de suite. D’abord, il vous faut d’autres vêtements. Mettez-vous sur le côté de la porte et je vais faire entrer le garde.

— Quel garde ?

Elle eut un sourire malicieux.

— Ils en ont laissé un devant la porte, sur le conseil d’oncle Gil.

La porte s’entrouvrit sans bruit.

— Garde ! murmura Artémisia. Venez, vite !

Un simple soldat ne pouvait qu’obéir à un ordre de la fille du directeur. Il entra sans hésitation, avec un respectueux :

— A votre service, Votre…

Puis ses genoux plièrent sous le poids qui s’abattit sur ses épaules, tandis qu’un avant-bras musclé serrait son larynx comme dans un étau, l’empêchant d’émettre le moindre son.

Artémisia se hâta de refermer la porte et regarda avec répulsion ce qui se passait. La douce décadence régnant au palais des Hinriades ne l’avait guère préparée à voir un visage congestionné et une bouche s’ouvrant vainement pour respirer. Elle finit par se détourner.

Serrant les dents sous l’effort, Biron resserra sa prise. Une longue minute durant, l’homme essaya inutilement d’éloigner le bras qui l’asphyxiait, tandis que ses pieds frappaient le vide.

Puis les bras du garde retombèrent et ses jambes se détendirent, tandis que les mouvements convulsifs de sa poitrine cessaient presque entièrement. Biron le posa précautionneusement par terre, où il resta inerte et mou, comme un sac vide.

— Il est mort ? demanda Artémisia dans un murmure horrifié.

— Je ne pense pas, il aurait fallu insister trois ou quatre minutes de plus. Mais il restera évanoui un bon moment. Avez-vous de quoi l’attacher ?

Elle secoua la tête.

— Vous avez bien une paire de bas en cellite ? Ce serait idéal. (Il avait déjà débarrassé le garde de ses armes et de son uniforme.) Et j’aimerais me laver, aussi. C’est même indispensable.

La fine douche détergente le régénéra, tout en le laissant peut-être un peu trop parfumé. Au grand air, l’odeur se dissiperait vite, du moins l’espérait-il. En tout cas il était propre, et cela n’avait pris que quelques secondes dans le violent courant d’air chaud chargé de gouttelettes, dont il était sorti non seulement propre, mais également sec, ce qui évitait toute perte de temps. On n’avait pas de douche comme ça à Widemos, ni sur Terre, d’ailleurs.

L’uniforme était un peu étroit, et Biron se trouvait affreux avec ce chapeau conique sur la tête. Il se regarda dans la glace avec une grimace de mécontentement.

— De quoi ai-je l’air ? lui demanda-t-il.

— D’un vrai soldat !

— Il faudrait que vous preniez un des fouets. Je ne peux pas en porter trois.

Elle le prit avec deux doigts et le laissa tomber dans son sac, qui restait lui aussi suspendu à sa large ceinture par un champ de force, ce qui lui permettait d’avoir les mains libres.

— Allons-y, dit-elle, partons. Ne dites pas un mot si nous rencontrons quelqu’un. Votre accent risquerait de vous trahir, et de plus, vous ne devez parler en ma présence que si l’on vous adresse la parole. N’oubliez pas que vous n’êtes qu’un simple soldat !