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Le garde commençait à s’agiter un peu, mais ils ne s’en soucièrent pas. Ses poignets et ses chevilles étaient attachés derrière son dos avec des bas dont la résistance était au moins celle de l’acier. Il était, de plus, bâillonné.

— Par ici, murmura Artémisia lorsqu’ils furent dehors.

A la première intersection, ils entendirent un bruit de pas derrière eux, et une main légère vint se poser sur l’épaule de Biron. Ce dernier se retourna d’un bond, empoigna le bras de l’intrus et porta la main à son fouet.

— He là ! doucement !

C’était la voix de Gillbret. Biron le lâcha et Gillbret se frotta le bras.

— Je vous guettais, mais ce n’est pas une raison pour me briser les os. Voyons que je vous admire, Farrill. Vous avez l’air un peu engoncé là-dedans, mais ce n’est pas mal… pas mal du tout. Personne n’aurait l’idée d’y regarder à deux fois. Voilà bien l’avantage de l’uniforme. On ne douterait jamais qu’il renferme autre chose qu’un soldat.

— Oncle Gil, vous parlez trop, intervint Artémisia. Où sont passés les gardes ?

— On ne veut jamais me laisser parler, murmura-t-il sur un ton plaintif. Ils sont montés à la tour. Ils sont convaincus que notre ami n’est pas aux étages inférieurs, et se sont contentés de laisser quelques hommes aux principales issues et au bas des rampes. Le système d’alarme est également branché, mais nous sortirons sans encombre.

— Ils doivent se demander où vous êtes ? demanda Biron.

— Oh non ! Le capitaine est bien trop content d’être débarrassé de moi, je vous assure !

Leurs murmures se dissipaient rapidement sous les hautes voûtes. Il y avait en effet un garde en bas de la rampe, et deux autres devant la grande porte sculptée donnant accès au parc.

— Alors, l’avez-vous trouvé ? demanda Gillbret d’une voix forte.

— Non, monseigneur, répondit le plus proche en le saluant respectueusement.

— Gardez l’œil bien ouvert ! leur recommanda-t-il, et il sortit avec ses compagnons, tandis qu’un des gardes s’empressait de neutraliser le signal d’alarme.

La nuit était claire et étoilée, sauf sur l’horizon, où la tache d’encre déchiquetée de la Nébuleuse cachait le firmament. Laissant la sombre masse du Palais Central derrière eux, ils avancèrent vers le terrain d’atterrissage, situé à moins d’un kilomètre.

Ils marchaient en silence depuis cinq minutes lorsque Gillbret s’arrêta soudain.

— Il y a quelque chose qui cloche, dit-il.

— Oncle Gil, vous n’avez quand même pas oublié de vous assurer qu’un vaisseau était disponible ?

— Bien sûr que non ! rétorqua-t-il sèchement, mais pourquoi la tour de contrôle est-elle allumée ? Ce n’est pas normal, à cette heure.

En effet, on voyait à travers les arbres le nid d’abeilles lumineux de la tour ; cela semblait indiquer qu’une arrivée ou un départ était imminent.

— Aucun mouvement de vaisseau n’était prévu cette nuit. J’en suis certain.

Brusquement, il s’arrêta de nouveau et eut un rire hystérique.

— Et voilà ! Tout est fichu ! On peut dire que cet imbécile d’Hinrik a vraiment tout fichu par terre. Ils sont là ! Les Tyranni ! Vous ne comprenez donc pas ? Regardez ! C’est le cuirassé personnel d’Aratap !

Biron plissa les yeux pour mieux voir. Il était là, en effet, aisément reconnaissable : plus petit, plus élancé, plus félin que les autres vaisseaux.

— Le capitaine avait dit qu’un personnage important était attendu aujourd’hui, reprit Gillbret, mais je n’y avais pas prêté attention sur le moment. Nous sommes fichus. Impossible de combattre les Tyranni.

Biron prit une soudaine résolution.

— Et pourquoi pas ? Ils n’ont aucune raison de se méfier de nous, et nous sommes armés. Prenons le vaisseau d’Aratap ! Il ne pourra même pas partir à notre poursuite !

Il sortit de la pénombre des arbres. Les autres le suivirent sur le terrain brillamment illuminé. Ils n’avaient aucune raison de se cacher. Ils étaient des membres de la famille royale, escortés par un soldat.

Maintenant, leurs adversaires étaient les Tyranni.

* * *

La première fois qu’il avait visité le palais de Rhodia, Simok Aratap avait été fortement impressionné. Mais son enthousiasme n’avait pas duré longtemps. Il s’était vite aperçu que ce n’était qu’une coquille vide, une relique un peu moisie. Deux générations auparavant, le Parlement de Rhodia s’y réunissait, et il abritait une administration qui régentait une douzaine de mondes.

Le Parlement existait toujours, d’ailleurs : le Khan n’intervenait jamais dans la politique locale des planètes assujetties. Mais il ne se réunissait plus qu’une fois par an, purement pour la forme, d’ailleurs. En théorie, le Conseil Exécutif était en session permanente, mais il n’était plus composé que d’une douzaine d’hommes qui restaient sur leurs terres neuf semaines sur dix. Les divers services administratifs fonctionnaient toujours, car il était impossible de gouverner sans eux, que l’autorité fût détenue par le Directeur ou par le Khan, mais ils étaient éparpillés sur toute la planète, sans liens réels avec le Palais, et surveillés de près par les Tyranni.

Le Palais demeurait donc une majestueuse structure de pierre et de métal, rien de plus. Il abritait la famille directoriale, du personnel de service en quantité tout juste suffisante, et un corps de garde d’une efficacité douteuse.

Aratap se sentait mal à l’aise dans cette coquille vide. Tout allait mal. Il était tard, il avait sommeil, et il aurait aimé pouvoir retirer ses lentilles de contact, car ses yeux lui faisaient mal.

Par-dessus tout, il était déçu. Il se trouvait toujours face à des faits isolés, sans aucun lien logique. Son aide militaire écoutait Hinrik avec une gravité impassible. Aratap, lui, ne prêtait guère attention à ce qu’il disait.

— Le fils de Widemos ? Vraiment ? disait-il sans même se donner la peine de feindre un intérêt qu’il n’éprouvait pas. Et vous l’avez arrêté ? Vous avez bien fait !

Cela l’ennuyait profondément car il ne parvenait pas à trouver de fil directeur.

Widemos était un traître, et il avait été exécuté ; le fils de Widemos avait tout fait pour rencontrer le directeur de Rhodia – en secret, d’abord, puis quand cela avait échoué, ouvertement, en risquant le tout pour le tout ; il fallait que ce fût bien important pour lui.

Ce début semblait d’une logique prometteuse, mais ne voilà-t-il pas que Hinrik leur livrait le jeune homme avec une hâte indécente ? Il était tellement pressé d’en finir qu’il ne pouvait même pas attendre le matin. Cela ne cadrait pas du tout ; ou alors, il ignorait encore trop de choses.

Il remarqua que le directeur commençait à se répéter ; il lui faisait pitié, parfois. Hinrik était devenu un tel pleutre que même les Tyranni finissaient par en être agacés. Et pourtant, c’était le seul moyen. Seule la peur pouvait assurer une obéissance absolue.

Widemos, lui, n’avait pas connu la peur. Et, bien que le maintien des Tyranni au pouvoir fût tout à son avantage, il s’était rebellé. Mais Hinrik avait peur, et cela changeait tout.

Et, ayant peur, il quêtait l’approbation de ses interlocuteurs et devenait de plus en plus incohérent. Aratap, savait que le commandant ne ferait rien pour le rassurer ; c’était un homme entièrement dénué d’imagination. Aratap en venait à regretter de ne pas être comme lui. La politique était une sale besogne.

Il se décida à intervenir, en essayant de mettre une certaine chaleur dans sa voix.