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— Je n’arrive pas à y croire.

— Vous avez votre émetteur-bracelet. Essayez de l’appeler.

Le commandant essaya, en vain.

— Appelez la tour de contrôle, alors, dit Aratap.

Le commandant s’exécuta, et une voix minuscule sortit de l’appareil, apparemment fort agitée.

— Mais je ne comprends pas, Excellence… Il a dû y avoir une erreur. Votre pilote a décollé il y a dix minutes environ.

— Vous voyez ? dit Aratap en souriant. Une fois que l’on connaît le fil directeur, le moindre détail devient prévisible. Vous voyez ce qui va suivre, je suppose ?

Le commandant se frappa la cuisse et éclata de rire.

— Bien sûr !

— Sans le savoir, ils se sont perdus. S’ils s’étaient contentés du plus misérable cargo Rhodien, ils s’en seraient sûrement tirés, et – comment dit-on, encore ? — je me serais retrouvé déculotté. Mais mes culottes ne risquent pas de m’échapper, merci ; rien ne peut sauver nos fugitifs qui ont cru les emprunter. Lorsque je les cueillerai, au moment opportun, j’aurais du même coup découvert le centre de la conjuration.

Il soupira, et sentit de nouveau le sommeil le gagner.

— En tout cas, nous avons eu de la chance, et pour le moment, rien ne presse. Appelez donc la base pour qu’on nous envoie un autre vaisseau.

10

Les connaissances de Farrill en spationautique étaient plus théoriques que pratiques. Il savait tout, ou presque sur les moteurs hyperatomiques, mais les bons pilotes apprennent leur art dans l’espace et non sur les gradins d’une université.

Il était parvenu à décoller sans accident, mais c’était davantage dû au hasard qu’à son habileté. Le Sans Remords répondait aux commandes bien plus rapidement qu’il ne s’y était attendu. Sur Terre, il avait été faire plusieurs tours sur des vaisseaux spatiaux, mais il s’agissait de modèles anciens, maintenus en état pour l’entraînement des étudiants. Au lieu de décoller péniblement comme ces derniers, le Sans Remords s’était élevé d’un seul jet, le faisant tomber de son fauteuil de pilotage. Il avait failli se démettre l’épaule. Artémisia et Gillbret, qui s’étaient prudemment attachés, avaient été projetés violemment contre le tissu rembourré et s’en étaient tirés avec quelques ecchymoses. Le prisonnier Tyrannien avait été plaqué contre le mur où ils l’avaient attaché.

Biron s’était relevé en titubant et avait ramené au calme le Tyrannien qui tirait sur ses liens en marmonnant des imprécations. Luttant contre l’accélération, il avait réussi à regagner son siège en se tenant au mur. Les décharges régulières des rétrofusées faisaient vibrer les parois du vaisseau, ramenant l’accélération à un niveau supportable.

Ils avaient déjà atteint les couches supérieures de l’atmosphère de Rhodia. Le ciel était d’un violet profond, et le frottement avait tellement échauffé l’extérieur du vaisseau que la température intérieure avait sensiblement augmenté.

Par la suite, il fallut des heures pour mettre le vaisseau en orbite. Malgré de multiples essais, Biron ne parvenait pas à calculer la vitesse nécessaire pour contre-balancer la gravité de Rhodia. Il dut travailler au jugé, alternant les poussées et les freinages, tout en surveillant le massomètre, instrument qui indiquait la distance par rapport à la planète en mesurant l’intensité du champ gravitationnel. Heureusement le massomètre était déjà calibré en fonction de la masse et du rayon de Rhodia ; Biron n’y serait sans doute pas parvenu.

Il réussit enfin à stabiliser le vaisseau. Pendant au moins deux heures, le massomètre n’indiqua aucune variation appréciable. Biron put quitter son fauteuil, et les autres, ôter leurs ceintures.

— Votre pilotage manque un peu de souplesse, Rancher, lui fit observer Artémisia.

— Si vous vous sentez capable de faire mieux, Altesse, je vous cède volontiers ma place, répondit Biron assez sèchement. Mais je demande à débarquer auparavant.

Gillbret s’interposa :

— Allons, du calme, du calme. Nous sommes trop à l’étroit pour donner libre cours à notre mauvaise humeur. De plus, comme nous serons sans doute contraints de partager cette prison volante pendant un certain temps, je suggère que nous laissions tomber les « sire », et autres « altesse », sans quoi la conversation risque de s’encroûter de façon parfaitement intolérable. Je suis Gillbret vous êtes Biron et elle est Artémisia. Bien entendu, nous pourrons utiliser tous les diminutifs et variations que notre fantaisie nous dictera. Pour en revenir à la question du pilotage, pourquoi ne pas demander l’aide de notre ami Tyrannien ?

Le prisonnier lui lança un regard furibond, mais Biron décida :

— Non. Nous ne pouvons pas lui faire confiance, et mon pilotage ira en s’améliorant au fur et à mesure que je m’habituerai au vaisseau. Nous sommes encore en vie, après tout !

Son épaule le faisait souffrir, et comme toujours, la douleur le rendait irritable.

— Qu’allons-nous faire de cet individu, dans ce cas ? demanda Gillbret.

— J’avoue que je ne me sens pas capable de le tuer de sang-froid. De plus, cela enragerait encore davantage les Tyranni. Tuer un membre de la race des maîtres, c’est le péché capital par excellence.

— Quelle alternative proposez-vous ?

— Le déposer quelque part.

— Soit, mais où ?

— Quelque part sur Rhodia.

— Quoi !

— C’est le seul endroit où ils ne nous chercheront pas. De toute façon, nous devrons nous poser assez bientôt.

— Pourquoi ?

— C’est le vaisseau du commissaire, n’est-ce pas, et il ne s’en servait que pour faire des sauts de puce sur la planète. Avant de partir plus loin, il faudra faire un inventaire complet pour nous assurer qu’il y a au moins assez d’eau et de vivres à bord.

Artémisia approuva chaleureusement :

— Très bien, Biron ! Je n’y aurais jamais pensé. Bravo !

Biron fit un geste de dénégation, ce qui ne l’empêcha d’ailleurs pas de rougir de confusion. C’était la première fois qu’elle l’appelait par son prénom. Elle pouvait être vraiment charmante, quand elle se donnait un peu de mal.

— Hum, fit Gillbret en regardant le prisonnier. Il ne tardera sûrement pas à signaler notre position.

— Je ne pense pas, dit Biron. Il doit y avoir des régions désolées, sur Rhodia. Nous ne sommes pas obligés de le lâcher au milieu d’une ville. Par ailleurs, il n’est peut-être pas tellement pressé de contacter ses supérieurs… Dites, soldat, qu’arriverait-il à un homme qui a laissé voler le cuirassé du commissaire du Khan ?

Le Tyrannien ne répondit pas, mais ses lèvres devinrent exsangues. Biron n’aurait pas voulu être à sa place.

En fait, on ne pouvait guère le blâmer. Il s’était montré poli envers des membres de la famille royale, ce qui était normal ; il n’avait aucune raison de se méfier. Appliquant à la lettre le code militaire Tyrannien, il leur avait refusé l’autorisation de visiter le vaisseau, expliquant que, faute d’une autorisation de son commandant en chef il aurait été contraint de la refuser au Directeur en personne. Mais ils étaient déjà très près et, lorsqu’il avait voulu dégainer, il était trop tard : on le menaçait d’un fouet neuronique à moins d’un mètre.

Il ne s’était d’ailleurs pas rendu sans combattre, et il avait fallu lui envoyer une décharge en pleine poitrine pour l’immobiliser. En tout état de cause, il risquait la cour martiale et une lourde peine. Tous le savaient, et lui le premier.

* * *

Ils s’étaient posés deux jours auparavant non loin de la ville de Southwark. Ils avaient choisi cette région parce qu’elle était éloignée de tout centre important. Vêtu d’une unité de répulsion le soldat Tyrannien avait été lâché dans les airs à quelque cent kilomètres de l’agglomération la plus proche.