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« Oh, pas directement ! Il ne faut pas espérer l’impossible. Si je l’avais laissé dériver, le vaisseau l’aurait quand même manquée d’un bon million de kilomètres, mais à cette distance, je pouvais utiliser la radio ordinaire. Heureusement, je savais m’en servir. Ce fut après cette expérience, d’ailleurs, que j’ai commencé à étudier l’électronique. J’avais fait le vœu de ne plus jamais me retrouver dans une aussi totale impuissance. Etre impuissant face aux événements est une des rares choses qui ne soit pas vraiment amusante.

— Vous avez donc utilisé la radio… ? dit Biron.

— Exactement. Et ils sont venus me chercher.

— Qui ?

— Les habitants de la planète. Car elle était habitée.

— Eh bien, on peut dire que la chance était avec vous. De quelle planète s’agissait-il ?

— Je l’ignore.

— Ils ne vous l’ont donc pas dit ? demanda Biron incrédule.

— Amusant, n’est-ce pas ? Eh bien, non, ils ne me l’ont pas dit. Mais elle se trouve dans les Royaumes Nébulaires !

— Comment pouvez-vous en être certain ?

— Parce qu’ils ont immédiatement vu qu’il s’agissait d’un vaisseau Tyranni ; ils ont d’ailleurs bien failli le détruire avant que je ne réussisse à les convaincre que j’étais le seul être vivant à bord.

— Un moment ! dit Biron. Je ne vous suis pas. Si, sachant que c’était un vaisseau Tyranni, ils avaient l’intention de le détruire, n’est-ce pas la meilleure des preuves que cette planète ne faisait pas partie des Royaumes ?

— Par la Galaxie, non ! s’exclama Gillbret, les yeux brillants d’enthousiasme. Elle était dans les Royaumes. Ils m’ont emmené sur la surface. Quel monde fabuleux ! Il y avait des hommes venus de tous les Royaumes – cela s’entendait à leur accent. Et ils n’avaient pas peur des Tyranni ! De l’espace, on ne voyait rien, mais c’était un véritable arsenal. Apparemment, c’était un monde rural en pleine régression, mais la véritable vie de la planète était clandestine. Quelque part dans les Royaumes, oui, mon cher Biron, quelque part, cette planète existe toujours, et ses habitants ne craignent pas les Tyranni, et un jour ils vont les détruire, comme ils auraient détruit ce vaisseau si son équipage avait encore été en vie.

Biron sentit son cœur bondir de joie. Un moment durant, il ne demanda qu’à croire.

Peut-être était-ce vrai, après tout. Peut-être !

11

Et peut-être pas !

Biron reprit la parole :

— Comment avez-vous appris que c’était un arsenal ? Combien de temps êtes-vous resté sur cette planète ? Que vous ont-ils montré ?

— Je n’ai pas eu droit à une visite guidée ! s’emporta Gillbret. Bon. Je vais essayer de vous dire ce qui s’est passé. J’étais dans un état terrible, en arrivant là-bas. J’avais eu tellement peur – ce n’est pas drôle d’être perdu en plein espace, croyez-moi – que j’avais à peine mangé, et je devais avoir une mine épouvantable.

« J’ai donné mon identité – enfin, plus ou moins – et ils m’ont emmené sous terre, avec le vaisseau, bien entendu. Cela leur donnait l’occasion d’étudier les techniques spatiales tyranniennes. Ils m’ont mis dans une sorte d’hôpital.

— Mais qu’avez-vous vu, oncle Gil ? insista Artémisia.

— Il ne vous en a jamais parlé ? interrompit Biron.

— Non.

Gillbret ajouta :

— Je n’en ai jamais parlé à personne. Dans cet hôpital, donc, j’ai vu des laboratoires de recherche dépassant de loin ce que nous avons de mieux sur Rhodia. Au passage, j’ai vu également des usines métallurgiques. Les vaisseaux qui m’avaient capturé ne ressemblaient d’ailleurs à rien de ce que je connaissais.

« Je ne me souviens plus de tous les détails, mais c’était tellement évident qu’il ne m’est jamais arrivé d’en douter. Pour moi, c’est le « monde rebelle », et je sais qu’un jour, des essaims de vaisseaux en partiront pour attaquer les Tyranni et que les mondes assujettis se rallieront aux chefs de la rébellion. Et depuis ce temps-là, j’attends. Chaque année, au jour de l’An, je me dis : ce sera peut-être pour cette année. Et chaque fois aussi, j’espère que cela tardera encore un peu, dans mon désir de partir les rejoindre pour participer à l’attaque finale.

« Je suppose, continua-t-il avec un rire amer, que les gens auraient été bien amusés s’ils avaient su ce qui se passait dans ma tête pendant toutes ces années. Dans ma tête, imaginez. Comme vous le savez, on ne m’a jamais pris trop au sérieux…

— Mais tout cela date d’il y a vingt ans, dit Biron. Et ils n’ont toujours pas attaqué, n’est-ce pas ? Ils n’ont donné aucun signe de vie. On n’a pas signalé de vaisseaux inconnus. Il n’y a pas eu d’incidents. Et vous continuez à croire…

— Absolument ! éclata Gillbret. Il faut bien vingt ans pour monter une révolte contre une planète qui domine cinquante systèmes. A l’époque, ils commençaient seulement à s’organiser. Depuis, leur réseau clandestin a dû s’étendre à toute la planète, et ils ont dû fabriquer des vaisseaux et des armes plus perfectionnés encore, et entraîner davantage d’hommes.

« Ce n’est que dans les films d’espionnage qu’un pays se soulève d’un instant à l’autre ; qu’une arme nouvelle est inventée, mise au point et utilisée en l’espace de trois jours. Ces choses prennent du temps, Biron ; les rebelles savent que, avant de passer à l’attaque, tout doit être prêt. Ils ne pourront pas se permettre de frapper une seconde fois.

« Et qu’appelez-vous des « incidents » ? Des navires Tyranniens ont disparu sans laisser de traces. L’espace est grand, et ils ont pu se perdre, certes, mais s’ils avaient été capturés ou détruits par les rebelles ? Vous vous souvenez de l’affaire du Sans Répit, il y a deux ans. Il avait signalé un objet inconnu suffisamment proche pour être détecté par le massomètre, et ensuite, ce fut le silence. Un météorite ? Qui peut en être certain ?

« Les recherches ont duré des mois, mais on ne l’a jamais retrouvé. A mon avis, il est aux mains des rebelles. Le Sans Répit était un modèle expérimental, exactement ce qui pouvait les intéresser.

— Pourquoi n’êtes-vous pas resté avec eux ? demanda Biron.

— Pensez-vous que je ne le désirais pas ? Mais je n’avais pas une chance. Je les ai entendu parler pendant qu’ils me croyaient inconscient, ce qui m’a permis d’en apprendre davantage. Ils en étaient effectivement au tout début, et il eût été tragique qu’on les découvrît. Ils savaient que j’étais Gillbret oth Hinriad ; même si je ne le leur avais pas dit, il y avait à bord suffisamment de documents le prouvant. Ils savaient donc que si je ne revenais pas à Rhodia, on entreprendrait des recherches de grande envergure.

« Comme ils ne pouvaient pas courir ce risque, il fallait que je retourne à Rhodia. Et ils s’en sont chargés.

— Quoi ! s’écria Biron. C’était courir un risque encore bien plus élevé ! Comment s’y sont-ils pris ?

— Je l’ignore. (Gillbret passa ses longs doigts dans ses cheveux grisonnants, les yeux vagues, perdu dans les profondeurs de sa mémoire.) Je l’ignore réellement. Ils ont dû m’endormir. Je ne me souviens absolument de rien. Lorsque j’ai rouvert les yeux j’étais à bord du Vampire, dans l’espace, à faible distance de Rhodia.

— Les deux cadavres étaient toujours fixés à la coque ? demanda Biron.