Il était absolument impossible de prévoir quand le seuil critique serait atteint. Peut-être pas avant des heures, peut-être dans un instant. Biron resta mobile, indécis, tenant la torche d’une main moite et tremblante. Une demi-heure auparavant, lorsqu’il avait été réveillé par le visiphone, il était heureux et en paix. Maintenant, il se trouvait brutalement en danger de mort.
Biron se refusait à mourir, mais il était pris comme un rat dans une cage, et ne pouvait trouver de refuge nulle part.
Il connaissait la disposition du dortoir. Sa chambre était la dernière du couloir ; la chambre voisine était séparée de la sienne par la salle de bains, et il était douteux qu’il pût se faire entendre. La chambre du dessus était exclue, le plafond étant trop haut. Restait donc la chambre du dessous.
Le mobilier comprenait deux chaises pliantes. Il en prit une et la lança par terre. Elle fit un bruit étouffé, certainement incapable de traverser le béton. Il la saisit par le côté et frappa le sol avec un des pieds. Le son devint plus net et plus fort.
Entre chaque série de coups, il attendait, se demandant s’il parviendrait à gêner le dormeur du dessous suffisamment pour qu’il aille se plaindre.
Soudain, il entendit un léger bruit, et se figea portant à bout de bras la chaise dont le bois avait déjà éclaté. Le son recommença, comme un cri très distant. Il venait de la porte.
Laissant tomber la chaise, il se mit à crier à son tour. Il pressa son oreille contre l’endroit où la porte s’insérait dans le mur, mais elle était parfaitement étanche, et le son demeurait très lointain.
Il parvint néanmoins à distinguer son nom. « Farrill ! Farrill ! » cria-t-on plusieurs fois, et aussi autre chose, peut-être : « Etes-vous là ? » ou : « Tout va bien ? »
Il hurla de toute la force de ses poumons : « Ouvrez la porte ! » trois ou quatre fois de suite. Il éclatait d’impatience fiévreuse. La bombe pouvait se déclencher d’un instant à l’autre.
Il était presque sûr qu’ils l’avaient entendu. Enfin, une réponse étouffée lui parvint : Attention ! Attention ! » Puis plusieurs mots inintelligibles, et « Pistolet… » Il se hâta de s’éloigner de la porte.
Il entendit successivement deux craquements brutaux et sentit littéralement, dans tout son corps, les vibrations transmises par la porte. Puis, avec un bruit de métal déchiré, la porte s’ouvrit vers l’intérieur, et la lumière du couloir entra à flots.
Biron se précipita dehors, écartant largement les bras.
— N’entrez pas ! cria-t-il. Pour l’amour de la Terre, n’entrez pas ! Il y a une bombe à radiations !
Il se trouva face à deux hommes. L’un d’eux était Jonti. L’autre, à demi-vêtu, était Esbak – le surveillant-chef.
— Il y a une bombe à radiations ? bégaya Biron.
Mais Jonti demanda froidement :
— De quelle dimension ?
Jonti tenait un pistolet à rayons à la main ; même à cette heure de la nuit, cette arme jurait avec sa tenue d’une élégance recherchée.
Frappé de stupeur, Biron ne put qu’indiquer avec ses mains une dimension approximative.
— Je vois, dit Jonti, parfaitement maître de lui. Vous devriez faire évacuer les chambres de cette aile, ajouta-t-il à l’intention du surveillant. Si vous avez des feuilles de plomb quelque part, faites-les amener pour isoler le couloir. Et interdisez-en l’accès jusqu’au matin.
Il se tourna de nouveau vers Biron :
— Elle doit avoir un rayon d’action de quatre à six mètres. Comment a-t-elle été introduite chez vous ?
— Je ne sais pas, dit Biron en s’essuyant le front du dos de la main. Excusez-moi, mais j’ai besoin de m’asseoir.
Il voulut regarder l’heure et s’aperçut que sa montre était restée dans la chambre. Il dut lutter contre une envie subite d’aller la chercher.
Le surveillant-chef n’avait pas tardé à suivre les conseils de Jonti. Des appariteurs ouvraient les portes et faisaient sortir les étudiants en toute hâte.
— Venez, lui dit Jonti. Je pense aussi que vous seriez mieux assis.
— Comment se fait-il que vous soyez venu ? lui demanda Biron. Ne vous méprenez pas sur le sens de ma question. Vous pensez bien que je vous suis infiniment reconnaissant.
— Je vous avais appelé, et vous ne répondiez pas. Il fallait absolument que je vous voie.
— Il fallait que vous me voyiez ? (Il parlait lentement, essayant de contrôler les soubresauts de son cœur.) Pourquoi ?
— Pour vous prévenir que votre vie était en danger.
Biron eut un rire essoufflé :
— Je m’en suis aperçu.
— Ce n’était qu’une première tentative. Ils essaieront de nouveau.
— Qui, « Ils » ?
— Pas ici, Farrill, fit Jonti. Quand nous serons seuls. Vous êtes un homme marqué, et je me suis déjà trop exposé.
2
Le foyer était désert et les lumières éteintes. A 4 heures et demi du matin, cela n’avait d’ailleurs rien d’étonnant. Pourtant, Jonti hésita un instant devant la porte entrouverte, tendant l’oreille pour s’assurer que personne ne les écoutait.
— Non, dit-il à voix basse. N’allumez pas. Nous n’avons pas besoin de lumière pour parler.
— Après la nuit que je viens de passer, j’avoue que j’en ai assez de rester dans l’obscurité.
— Nous laisserons la porte entrouverte.
Biron était trop las pour discuter. Il s’affala dans le premier fauteuil venu et regarda le rectangle de lumière de la porte rétrécir jusqu’à n’être plus qu’un mince filet. Il subissait le contrecoup de ce qu’il avait vécu cette nuit. S’il s’était laissé aller, il aurait tremblé de tout son corps.
Jonti cala le battant à l’aide de la badine qui ne le quittait jamais :
— Voilà. Si quelqu’un passe dans le couloir ou touche à la porte, nous en serons immédiatement avertis.
— Je ne suis pas d’humeur à jouer aux conspirateurs, dit Biron. Si cela ne vous ennuie pas, je vous serais reconnaissant de me dire rapidement ce que vous avez à me dire. Je n’oublie pas que vous m’avez sauvé la vie et, dès demain, je vous en remercierai comme il convient. Mais, franchement, tout ce dont j’ai envie pour le moment, c’est d’un alcool bien tassé et d’un peu de sommeil.
— Je vous comprends, mais le sommeil définitif dont vous étiez menacé a été écarté, temporairement du moins. Et j’aimerais que ce ne soit pas seulement temporaire. Savez-vous que je connais votre père ?
Devant cette question inattendue, Biron haussa les sourcils. Mais, faute de lumière, son interlocuteur ne put le voir.
— Il ne m’a jamais parlé de vous.
— Le contraire m’aurait étonné. D’ailleurs, il me connaît sous un autre nom. Avez-vous eu de ses nouvelles récemment ?
— Pourquoi ?
— Parce qu’il est en danger.
— Quoi ?
Jonti lui agrippa le bras :
— Parlez moins fort, pour l’amour de l’Espace !
Biron se rendit soudain compte que, jusqu’alors, ils n’avaient fait que murmurer.
— Je vais être plus précis, reprit Jonti. Votre père a été arrêté. Il est en détention préventive. Vous comprenez ce que cela signifie ?
— Non. Je ne comprends pas. Absolument pas. Qui l’a mis en prison ? Et où voulez-vous en venir ? Que me voulez-vous ?