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— Oui.

— Impossible de savoir depuis quand il était sur cette orbite ?

— Je le crains. Personne ne les avait vus auparavant ; nous avons fait une enquête approfondie à ce sujet.

— Fort bien, dit l’Autarque. Passons à autre chose. Ils ont arrêté le courrier postal, ce qui constitue une violation de notre Traité d’Association avec Tyrann.

— Je doute qu’il y ait des Tyranni à bord. Ils agissent plutôt comme des hors-la-loi, ou des prisonniers en fuite.

— Peut-être veulent-ils nous le faire croire. En tout état de cause, leur seule action précise fut, si je ne m’abuse, de demander que l’on me porte un message, à moi personnellement.

— Un message personnel pour l’Autarque, c’est exact.

— Rien d’autre ?

— Rien.

— Ils n’ont pas tenté de pénétrer dans le navire postal ?

— Non. Toutes les communications se sont faites par vidéo ; la capsule postale a été projetée dans l’espace à une distance de trois kilomètres et captée par le filet du navire postal.

— Ont-ils communiqué en phonie uniquement, ou aussi en visuel ?

— En visuel, nouveau détail important. Plusieurs personnes ont décrit le porte-parole comme un jeune homme « d’allure aristocratique », quoi qu’il faille entendre par là.

L’Autarque serra lentement le poing.

— Tiens ! Et l’on n’a pas pris de photo-impression de son visage ? C’était une erreur.

— Malheureusement, le capitaine du courrier ne pouvait pas prévoir que cela aurait une importance. Si cela en a une, d’ailleurs ! Est-ce que tout cela signifie quelque chose pour vous, sire ?

L’Autarque laissa cette question sans réponse.

— Et c’est cela le message ?

— Exactement. Un extraordinairement important message composé d’un seul mot, que nous étions censés vous remettre immédiatement. Ce que nous n’avons pas fait, bien entendu. Ç’aurait pu être une capsule à fission, par exemple. Des hommes ont été tués de cette façon.

— Oui, et des Autarques aussi, dit l’Autarque. Il n’y a rien que le mot « Gillbret ». Gillbret, rien d’autre…

L’Autarque conservait une apparence de calme et d’indifférence, mais il commençait à ressentir une légère incertitude, et il avait horreur de l’incertitude. Il détestait tout ce qui le rendait conscient de ses limites. Un Autarque ne devait pas faire preuve d’impuissance, et sur Lingane, il ne connaissait de limites que celles que lui imposait la nature humaine.

Lingane n’avait pas toujours eu un Autarque. Au début, la planète était gouvernée par des dynasties de princes-marchands. Les barons qui avaient établi les premières stations de ravitaillement interplanétaires formaient l’aristocratie de l’Etat. Ne possédant que peu de terres, ils ne pouvaient entrer en compétition avec les Ranchers et Seigneurs agraires des mondes voisins. Mais, une fois qu’ils avaient amassé des sommes considérables, ils pouvaient acheter aussi leurs Ranchs et leurs Manoirs.

Lingane connut les conséquences inévitables d’un tel gouvernement – ou manque de gouvernement. Le pouvoir passait d’une famille à l’autre. Les perdants étaient exilés, puis revenaient pour faire valoir leurs droits. Ce n’étaient qu’intrigues et révolutions de palais, et si le Directorat de Rhodia était l’exemple proverbial de la stabilité, Lingane était celui du désordre et de l’instabilité. « Inconstant comme Lingane », disait-on.

Le résultat était prévisible. Tandis que les planètes voisines s’unissaient en de puissants groupements politiques, les luttes intestines de Lingane devenaient de plus en plus coûteuses et dangereuses, et la majorité de la population était prête à tout pour retrouver le calme et la stabilité. Elle échangea donc une ploutocratie pour une autocratie, et ne perdit que peu de liberté dans le processus. Le pouvoir détenu par plusieurs se retrouva entre les mains d’un seul, mais presque toujours, celui-là était délibérément bienveillant envers le peuple, car il avait besoin de son appui contre les marchands, qui ne s’étaient jamais résignés à cette nouvelle situation.

Sous le nouveau régime, Lingane devint plus riche et plus forte. Même les Tyranni, alors à l’apogée de leur puissance, avaient été immobilisés trente ans auparavant – non pas vaincus, mais pas réellement vainqueurs. Et l’effet en avait été permanent. Ils n’avaient pas conquis une seule planète depuis.

Les autres planètes des Royaumes Nébulaires étaient de simples vassales des Tyranni, tandis que Lingane était un « Etat associé », en théorie un « allié » de Tyrann, avec des droits garantis par un Traité d’Association.

L’Autarque n’était pas dupe de la situation. Les chauvinistes de la planète pouvaient se complaire dans une illusion de liberté, mais il savait que la menace Tyranienne était toujours présente, et qu’il la tenait tout juste à bout de bras, grâce à ses efforts constants. Tout juste.

Et maintenant, l’étreinte de l’ours allait peut-être se resserrer. Evidemment, il lui avait donné un excellent prétexte. L’organisation qu’il avait montée, pour inefficace qu’elle fût, justifiait amplement une action punitive de la part des Tyranni. Et légalement, ils seraient dans leur droit.

Ce croiseur mystérieux était-il un premier pas dans le sens d’un nouveau contrôle Tyrannien ?

— A-t-on placé ce vaisseau sous bonne garde ? demanda l’Autarque.

— Je vous ai dit que nous les surveillions. Deux de nos cargos (Il eut un clin d’œil amusé) se maintiennent à portée de massomètre.

— Qu’en pensez-vous, personnellement ?

— Je me le demande. Le seul Gillbret que je connaisse de réputation est Gillbret oth Hinriad de Rhodia. Avez-vous été en relations avec lui ?

— Je l’ai rencontré lors de ma dernière visite à Rhodia.

— Vous ne lui avez évidemment rien dit ?

— Evidemment.

Rizzett fronça les sourcils.

— Je craignais qu’il n’y ait eu un certain manque de prudence de votre part, et un manque de prudence égal de Gillbret à l’égard des Tyranni – les Hinriades sont d’une couardise notoire depuis quelques décennies. Bref, que ce vaisseau soit un piège, et qu’ils espèrent que vous vous trahirez.

— J’en doute. Le moment me paraît curieusement choisi. Cela fait plus d’un an que je suis absent de Lingane. Je suis arrivé la semaine dernière, je repars dans peu de jours, et ce message me parvient au seul moment où il soit possible de m’atteindre.

— Il peut s’agir d’une coïncidence.

— Je ne crois pas aux coïncidences. En fait, il existe une seule possibilité pour que tout ceci ne soit pas une coïncidence. Je vais par conséquent rendre visite à ce vaisseau. Seul.

— Impossible, sire !

Rizzett portait une petite cicatrice juste au-dessus de la tempe droite, et cette cicatrice devint soudain d’un rouge violacé.

— Vous me l’interdisez ? demanda l’Autarque sèchement.

Rizzett baissa la tête :

— A vos ordres, sire.

* * *

A bord du Sans Remords, l’attente devenait de plus en plus déplaisante. Depuis deux jours entiers, ils étaient sur orbite.

Gillbret regarda longuement le tableau de bord.

— N’avez-vous pas l’impression qu’ils ont bougé ?

Biron leva un instant les yeux ; il se rasait, utilisant avec circonspection le spray érosif Tyrannien.

— Non, dit-il, ils ne bougent pas. Ils nous surveillent, rien de plus.

Il se concentra sur la région difficile de la lèvre supérieure, et fit la grimace en sentant le goût acidulé du spray sur sa langue. Les Tyranniens s’en servaient avec une grâce presque poétique, née d’une longue habitude. C’était le meilleur moyen de rasage non permanent ; en fait, une fine poudre abrasive sous pression, qui supprimait les poils sans léser la peau. Toutefois, Biron avait des doutes. L’on disait – vérité ou médisance ? — que les Tyranni étaient particulièrement sujets au cancer de la face. Biron se demanda un instant s’il ne devrait pas se faire dépiler de façon permanente, mais rejeta aussitôt cette idée. D’un jour à l’autre, la moustache ou les favoris pouvaient revenir à la mode.