— Evidemment, évidemment ! marmonna Biron entre ses dents.
— Mais, poursuivit Jonti, j’y ai fait la connaissance de Gillbret, comme il vous l’a peut-être dit. Ensuite, je me suis rendu sur Terre, car c’est la planète d’origine de l’humanité. Elle fut le point de départ des premières explorations de la Galaxie, et la plupart des documents s’y rapportant y sont toujours. La Nébuleuse de la Tête de Cheval a été explorée assez à fond – disons qu’elle a au minimum été traversée plusieurs fois. Elle ne fut jamais colonisée, car les déplacements y étaient rendus difficiles par l’impossibilité d’observer optiquement les étoiles. Mais les comptes rendus des explorations m’apprirent tout ce que je voulais savoir.
« Et maintenant, suivez-moi bien. Le vaisseau Tyrannien sur lequel Son Excellence se trouvait perdu dans l’espace avait été frappé par une météorite juste après son premier Saut. En supposant que le vaisseau ait suivi l’itinéraire habituel – ce qui est pratiquement certain – nous pouvons déterminer le point dans l’espace où il a été dévié de son itinéraire. Il ne peut guère avoir parcouru plus d’un demi-million de kilomètres dans l’espace ordinaire entre les deux Sauts, distance que nous pouvons considérer comme un point dans l’espace.
« On peut également faire une autre hypothèse. En endommageant le panneau de commandes et en ébranlant le gyroscope, la météorite a fort bien pu changer la direction des Sauts. Par contre, il est exclu qu’elle ait modifié la puissance des poussées hyperatomiques, puisqu’elle n’a même pas touché les moteurs.
« Il s’ensuit que la longueur de chaque Saut, de même que leur direction relative demeurent inchangées. C’est comme si nous avions un long fil de fer recourbé en un unique point vers une direction et selon un angle inconnus. La position du vaisseau à l’arrivée se trouve donc en principe quelque part à la surface d’une sphère imaginaire, dont le centre est le point dans l’espace où la météorite a frappé le vaisseau, et le rayon vecteur, la somme des Sauts restant à effectuer.
« J’ai tracé une telle sphère ; sa surface recoupe une importante section de la Nébuleuse de la Tête de Cheval. Environ six mille degrés carrés, soit un quart de sa surface totale, se trouvent dans la Nébuleuse. Il ne reste donc qu’à découvrir une étoile située dans cette dernière, à un ou deux millions de kilomètres au maximum de la surface imaginaire en question. Vous vous souvenez sans doute qu’après son dernier Saut, le vaisseau de Gillbret se trouvait à faible distance d’une étoile.
« Et maintenant, combien d’étoiles de la Nébuleuse se trouvent, selon vous, à cette faible distance de notre surface imaginaire ? N’oubliez pas que la Galaxie compte environ cent billions d’étoiles détectables.
Comme à contrecœur, Biron examina le problème.
— Des centaines, pas de doute.
— Cinq ! annonça triomphalement l’Autarque. Pas une de plus ! Ne vous laissez pas affoler par ces cent billions d’étoiles. Le volume de la Galaxie est d’environ sept trillions d’années-lumière cube, ce qui nous donne une moyenne de soixante-dix années-lumière cube par étoile. Il est vraiment regrettable que j’ignore lesquelles de ces cinq étoiles ont des planètes habitables. Cela nous permettrait sans doute de ramener les possibilités à une seule. Malheureusement, les explorateurs n’avaient pas le temps d’effectuer des observations détaillées ; ils se sont contentés de déterminer la position exacte des étoiles, leur mouvement et leur type spectral.
— Le monde rebelle se trouve donc dans un de ces cinq systèmes stellaires ? demanda Biron.
— Cette conclusion correspond aux faits que nous connaissons.
— Dans l’hypothèse où nous acceptons l’histoire de Gil.
— Je l’accepte.
— Ce que j’ai dit est vrai ! intervint Gillbret d’une voix vibrante. Je le jure !
— Je suis sur le point de partir pour explorer ces cinq mondes. Mes mobiles se passent de commentaires, je suppose. Etant l’Autarque de Lingane, je peux participer en égal à ce que le monde rebelle entreprend.
— Je vois, dit Biron. Avec deux Hinriades et un Widemos à vos côtés, vous serez considéré en égal, et obtiendrez une position forte et assurée dans le monde libre de demain.
— Votre cynisme ne me fait pas peur, Farrill. Je ne nie pas ce que vous avancez. Pour que la rébellion soit victorieuse, il sera évidemment précieux de vous avoir avec nous.
— Autrement, quelque corsaire ou capitaine victorieux pourrait se voir allouer l’Autarchie de Lingane en récompense de ses bons et loyaux services.
— Ou bien le Ranch de Widemos. C’est exact.
— Et si la rébellion échoue ?
— Il sera temps de nous poser la question lorsque nous aurons trouvé ce que nous cherchons.
— Soit, dit Biron en pesant ses mots. Je vous accompagne.
— Parfait ! En pratique, il ne reste donc plus qu’à vous transférer sur mon yacht.
— Pourquoi ?
— Ce serait préférable pour vous. Ce vaisseau est un minuscule jouet.
— C’est un bâtiment de guerre Tyrannien. Nous aurions tort de l’abandonner.
— C’est précisément pour cette raison qu’il risque d’attirer l’attention.
— Pas dans la Nébuleuse. Désolé, Jonti, mais si j’accepte de me joindre à vous, c’est par pure opportunité, pour trouver le monde rebelle. Moi aussi, je suis capable de franchise, vous voyez. Il n’y a aucune amitié entre nous. Je tiens à rester mon propre maître.
— Voyons, Biron, dit Artémisia avec douceur. Le vaisseau est trop petit pour nous trois.
— En principe, mais on peut y ajouter une remorque. Jonti le sait aussi bien que moi. Tout en restant indépendants, nous aurions alors toute la place que nous pourrions désirer. De, plus, cela déguiserait efficacement la nature de notre vaisseau.
— S’il n’y a ni amitié ni confiance entre nous, Farrill, réfléchit l’Autarque, je dois me protéger. Vous aurez votre vaisseau, et une remorque équipée selon vos désirs, mais il me faut un gage de votre bon comportement. Dame Artémisia, doit venir à mon bord.
— Non !
L’Autarque haussa les sourcils.
— Vraiment ? Qu’en pense la dame elle-même ? (Il se tourna vers Artémisia, et ses narines frémirent imperceptiblement :) Je suis sûr, madame, que vous trouveriez votre nouvelle situation à mon bord très confortable.
— Vous pouvez être sûr en tout cas que vous la trouveriez inconfortable, rétorqua la jeune fille. Je préfère vous épargner ces inconvénients en restant ici.
Deux petites rides vinrent gâcher la sérénité du visage de l’Autarque.
— Je pense que vous reviendriez sur votre décision si…
— Je ne pense pas, coupa Biron. La Dame Artémisia a fait son choix.
— Et vous l’appuyez dans ce choix, Farrill ? demanda l’Autarque, qui avait retrouvé son sourire.
— Entièrement ! Nous restons tous trois sur le Sans Remords. Aucun compromis n’est possible sur ce point.
— Vous choisissez curieusement votre compagnie, je dois dire.
— Ah oui ?
— Je le pense, oui, dit l’Autarque, apparemment absorbé dans la contemplation de ses ongles. Vous semblez m’en vouloir parce que je vous ai trompé et ai mis votre vie en danger. N’est-il pas étrange alors, que vous soyez en si bons termes avec la fille d’un homme tel que Hinrik, qui, en traîtrise, est certainement mon maître ?