Выбрать главу

— D’accord. Puis-je utiliser la radio ? Le mieux serait que je reste à bord jusqu’à ce que tout soit arrangé.

Lorsqu’il eut donné ses ordres, il se tourna vers Biron :

— Je n’arrive pas à m’habituer à vous voir bouger, vivre, parler devant moi. Vous lui ressemblez tellement… Le Rancher parlait assez souvent de vous.

— Oui. J’aurais dû recevoir mon diplôme il y a une dizaine de jours, si tout n’avait pas brusquement été interrompu.

— Ecoutez, fit Rizzett d’un air gêné, ne nous en veuillez pas de vous avoir envoyé à Rhodia dans ces circonstances déplaisantes. Nous ne l’avons pas fait de gaieté de cœur. Et – ceci à titre strictement confidentiel – plusieurs de nos amis y étaient vivement opposés. Bien entendu, l’Autarque ne nous a pas consultés. C’était assez risqué, d’ailleurs quelques-uns d’entre nous – bien entendu, je ne mentionne aucun nom – avaient même songé à stopper le paquebot sur lequel vous étiez afin de vous libérer. Ç’aurait évidemment été catastrophique pour nous. Néanmoins, nous l’aurions fait si, en dernière analyse, nous n’avions pas été certains que l’Autarque savait ce qu’il faisait.

— C’est beau d’inspirer une confiance pareille.

— Nous le connaissons bien, et on ne peut pas nier qu’il a quelque chose dans le crâne. Souvent, personne ne sait au juste pourquoi il agit d’une certaine façon, mais en fin de compte, les événements lui donnent raison. Jusqu’à présent, il a toujours réussi à être plus malin que les Tyranni, ce qui n’est pas le cas de tout le monde.

— Pas le cas de mon père, par exemple.

— Je ne pensais pas spécialement à lui, mais vous avez raison. Même le Rancher s’est fait prendre. Il avait une droiture qui se refusait à tout compromis et estimait toujours les autres au-dessus de leur valeur. Evidemment, ce ‘sont ces mêmes qualités qui l’ont fait tant aimer.

« Bien qu’étant colonel, je suis sorti du peuple, vous savez ; mon père était métallo. Le Rancher ignorait ces différences, il était aussi cordial avec l’ingénieur qu’avec le dernier des apprentis. Il savait être sévère aussi, mais seulement quand c’était mérité, et personne ne lui en voulait.

« L’Autarque, c’est tout le contraire. Il est intelligent mais inapprochable, et totalement dénué d’humour. Je ne pourrais pas lui parler comme je vous parle en ce moment. Avec vous, je suis détendu, je dis tout ce qui me passe par la tête. Avec lui, on ne dit pas un mot de trop, et on ne se risque jamais à devenir familier. Que voulez-vous, l’Autarque, c’est l’Autarque, il faut le prendre comme il est.

— Je suis d’accord avec vous en ce qui concerne son intelligence, dit Biron. Saviez-vous qu’il avait conclu que j’étais à bord bien avant de prendre contact avec nous ?

— Vous voyez ! C’est exactement ce que je voulais dire. Il voulait venir seul à bord et nous avons tenté de l’en dissuader, car cela nous semblait un suicide ; mais une fois de plus, il savait ce qu’il faisait. Et comme de coutume, il n’a rien fait pour nous rassurer. C’est typique.

* * *

Artémisia était assise sur la couchette inférieure, recroquevillée dans une position inconfortable pour ne pas se cogner la tête. D’un geste machinal, elle tirait sur sa jupe chiffonnée. Elle se sentait usée, salie et infiniment lasse.

Elle en avait assez de se nettoyer avec des coins de serviette, Elle en avait assez de porter les mêmes vêtements depuis une semaine. Elle en avait assez d’avoir des cheveux sales et poisseux.

Un bruit la fit sursauter. Elle ne voulait pas lui parler ; elle ne voulait plus jamais le voir ! Ce n’était que Gillbret. Elle s’affaissa de nouveau.

— Bonjour, oncle Gil.

Gillbret s’assit en face d’elle. Au bout d’un moment son visage soucieux se plissa en un sourire.

— Evidemment, une semaine sur ce vaisseau, ce n’est pas amusant du tout. J’espérais que vous me consoleriez.

— N’essayez pas votre psychologie sur moi, oncle Gil. Si vous croyez que je vais vous prendre en pitié, vous vous trompez fort. J’aurais plutôt envie de vous battre.

— Si cela peut vous soulager…

— Je vous préviens, si vous me tendez la joue, je le ferai et si vous dites « Alors, vous vous sentez mieux ? » je recommencerai.

— Je vois que vous vous êtes querellée avec Biron. A quel propos ?

— Je ne tiens pas à en parler. Laissez-moi tranquille. (Après une pause, elle ajouta :) Il croit ce que l’Autarque a dit sur père. Et à cause de cela, je le hais.

— Qui ? Votre père ?

— Non ! ce stupide petit imbécile !

— Ça doit être Biron, ça. Alors vous le haïssez ? J’avoue qu’à mes yeux de vieux célibataire invétéré, il n’y a pas l’ombre d’une différence entre cette haine et un ridicule excès d’amour.

— Oncle Gil. Croyez-vous réellement qu’il ait pu faire cela ?

— Biron ? Faire quoi ?

— Mais non, Père ! Aurait-il pu trahir le Rancher ?

— Je ne sais pas, dit Gillbret d’un ton songeur. (Et il ajouta en la regardant du coin de l’œil :) Après tout, il a livré Biron aux Tyranni.

— Parce qu’il savait que c’était un piège ! s’écria-t-elle avec véhémence. Et c’en était un ! Cet horrible Autarque avait manigancé tout cela. Les Tyranni savaient parfaitement qui était Biron, et l’avaient envoyé intentionnellement chez Père. Il n’aurait pas pu agir autrement qu’il l’a fait. Cela saute aux yeux, non ?

— Même en tenant compte (il eut de nouveau ce regard de côté) qu’il a tout fait pour vous convaincre d’accepter un mariage pas très amusant ? Si Hinrik est capable de cela…

— Dans ce cas aussi, il n’avait pas le choix.

— Mais ma chère amie, si vous excusez toutes ses manifestations de servilité envers les Tyranni en disant qu’il y était contraint, cela s’applique tout aussi bien à son éventuelle trahison du Rancher.

— Je suis certaine qu’il ne l’aurait jamais fait. Je connais Père bien mieux que vous. Il hait les Tyranni. Réellement. De lui-même, il ne ferait jamais rien pour les aider. Il en a peur, je l’admets, et n’ose pas s’opposer ouvertement à eux, mais dans la mesure où il n’y est pas contraint, il ne fera jamais rien pour les aider.

— Il ne pouvait peut-être pas l’éviter, dans ce cas.

Elle secoua violemment la tête, et ses longs cheveux noirs fouettèrent son visage, ce qui eut l’heureux effet de cacher ses larmes.

Gillbret resta un long moment à la regarder, écarta les bras en signe d’impuissance et partit.

* * *

La remorque fut fixée au Sans Remords par un mince couloir flexible adhérent au sas de secours. Elle était des dizaines de fois plus grande que le croiseur ; la disproportion était presque comique. L’Autarque vint rejoindre Biron pour une dernière inspection.

— Vous manque-t-il quelque chose ?

— Non. Je pense que ce sera très confortable.

— Parfait. A propos, Rizzett m’a dit que Dame Artémisia était souffrante, ou du moins qu’elle semblait l’être. Si elle a besoin d’un médecin, il serait peut-être plus sage de la transférer sur mon yacht.

— Elle se porte parfaitement bien, répondit Biron sèchement.

— Puisque vous le dites. Serez-vous prêt à appareiller dans douze heures ?

— Dans deux, s’il le faut.

L’Autarque parti, Biron regagna le Sans Remords par l’étroit couloir de liaison, dans lequel il était obligé de courber la tête.

— Artémisia, dit-il avec une indifférence étudiée, vous pouvez aller dans vos nouveaux appartements, si vous le désirez. Ne craignez pas que je vous importune ; je resterai ici la plupart du temps.