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— Vous ne m’importunez nullement, Rancher, répliqua-t-elle d’un ton froid. Faites ce que vous voulez, peu m’importe.

* * *

Les vaisseaux partirent ; un seul Saut les amena aux abords de la Nébuleuse. Ils durent attendre plusieurs heures, pendant que l’on faisait les calculs définitifs à bord du yacht de Jonti. Une fois dans la Nébuleuse même, ils seraient contraints de naviguer sans visibilité.

Biron regardait l’écran avec une moue pessimiste. Devant eux, c’était le néant. Une moitié de la voûte céleste était mangée par une gigantesque tache noire où pas une étoile ne brillait. Pour la première fois de sa vie, Biron sentit combien les étoiles étaient chaudes et rassurantes, combien elles donnaient vie à l’espace.

— On dirait que nous allons nous précipiter dans un trou percé dans l’espace, dit-il à Jonti, d’une voix étouffée.

Puis, un nouveau Saut les amena au cœur de la Nébuleuse.

Au même instant, Simok Aratap, Commissaire du Grand Khan, se trouvant à la tête de dix croiseurs blindés, disait à son navigateur :

— Peu importe. Suivez-les.

Et, à moins d’une année-lumière du point où le Sans-Remords était entré dans la Nébuleuse, dix vaisseaux Tyranniens l’imitèrent.

16

Simok Aratap se sentait mal à l’aise, dans son uniforme. Les uniformes Tyranniens sont faits d’un tissu grossier qu’aucun artifice de coupe ne saurait améliorer. Evidemment, il n’était pas très viril de s’en plaindre. La tradition militaire Tyranienne maintenait qu’un certain inconfort était bon pour la discipline. Pourtant, Aratap ne pouvait s’empêcher de se révolter, et en tout cas de se plaindre.

— Ce col étroit m’irrite terriblement le cou, dit-il sur un ton lugubre.

Le commandant Andros, dont le col était tout aussi étroit mais qui, de mémoire d’homme, n’avait jamais porté que l’uniforme, répondit :

— Lorsque vous êtes seul, aucun règlement ne vous interdit de l’ouvrir. Mais en présence d’officiers ou d’hommes de troupe, toute déviation vestimentaire risquerait d’avoir une influence pernicieuse.

Aratap renifla dédaigneusement. A cause de la nature quasi militaire de cette expédition, il était non seulement obligé de porter l’uniforme, mais encore d’écouter les conseils d’un aide militaire de plus en plus sûr de lui. Et cela avait commencé dès avant leur départ de Rhodia. Andros n’avait pas mâché ses mots.

— Commissaire, il nous faut dix vaisseaux.

Aratap l’avait regardé avec une visible contrariété. Il s’apprêtait à suivre le jeune Widemos avec un unique vaisseau. Il posa les capsules du rapport qu’il préparait pour le Bureau des Colonies du Khanat, rapport à faire suivre dans l’éventualité malheureuse où il ne reviendrait pas de cette expédition.

— Dix vaisseaux, commandant ?

— Oui, commissaire. C’est un chiffre minimum.

— Pourquoi cela ?

— Afin d’assurer une sécurité, disons, raisonnable. Ce jeune homme va quelque part. Vous nous affirmez qu’il existe un important centre de conspiration. Il est probable que les deux faits méritent d’être rapprochés.

— Et alors ?

— Et nous devons être prêts à faire face à ces conspirateurs, qui sont peut-être de taille à vaincre un vaisseau isolé.

— Ou dix, ou cent. Où commence et où finit la sécurité ?

— Il faut prendre une décision. En ce qui concerne une action de type militaire, cela relève de ma compétence. Je suggère donc dix vaisseaux.

Aratap haussa les sourcils et ses verres de contact eurent une lueur de mauvais augure. Les militaires avaient du poids. Théoriquement, en temps de paix, c’était au civil de prendre la décision, mais là encore, on ne se débarrassait pas si facilement de la tradition militaire.

Aratap répondit donc avec prudence :

— J’y réfléchirai.

— Merci. Si jamais vous jugiez bon de ne pas accepter ma recommandation, soyez assuré… (Là-dessus, le commandant se mit au garde-à-vous et claqua des talons, mais Aratap savait parfaitement que ce geste de déférence était dénué de signification.)… qu’il ne s’agit que d’une simple suggestion, qu’il est de votre privilège de refuser. Dans ce cas, pourtant, vous ne me laisseriez d’autre choix que de résilier mes fonctions.

Devant une telle prise de position, Aratap ne pouvait que tenter de tirer le meilleur parti de la situation.

— Je n’ai nullement l’intention de vous mettre des bâtons dans les roues en ce qui concerne des problèmes d’ordre militaire. Je me demande toutefois, commandant, si vous seriez plus souple sur des questions de nature purement politique.

— De quelles questions s’agit-il ?

— Il y a le problème posé par Hinrik. Hier, vous vous étiez opposé à ma suggestion de l’emmener avec nous.

— Je considère que c’est inutile, dit le commandant sèchement. Lorsque nos forces entreront en action, la présence d’étrangers serait mauvaise pour le moral.

Aratap poussa un imperceptible soupir. Andros était très compétent dans son domaine. Il n’aurait servi à rien de manifester de l’impatience.

— Sur ce point aussi, je suis d’accord avec vous. Je vous demande simplement de considérer les aspects politiques de la situation. Comme vous le savez, l’exécution de l’ancien Rancher de Widemos a eu des répercussions politiques indésirables dans les Royaumes. Cette exécution était, certes, nécessaire, mais il serait souhaitable que la mort de son fils ne nous soit pas attribuée. Pour l’opinion publique de Rhodia, le jeune Widemos a kidnappé la fille du directeur, qui est très populaire. Il serait par conséquent parfaitement approprié que le directeur mène l’expédition punitive.

« Ce serait un geste dramatique, que les patriotes Rhodiens approuveraient unanimement. Certes, il disposerait de l’assistance militaire Tyrannienne, mais ce facteur peut être minimisé. Et, si notre expédition anéantit le cœur de la conspiration, cette action sera alors attribuée aux Rhodiens. Si le jeune Widemos est exécuté, ce sera par les Rhodiens.

— Sans doute, mais l’on créerait un précédent fâcheux en autorisant des vaisseaux Rhodiens à accompagner une expédition militaire Tyrannienne. En cas de combat, ils nous gêneraient. Comme vous le voyez, cela devient un problème militaire.

— Je n’ai jamais dit, cher commandant, que Hinrik commanderait un vaisseau. Vous le connaissez suffisamment, je pense, pour savoir qu’il en serait incapable, et de plus, nullement désireux d’essayer ! Non, il restera avec nous et sera le seul Rhodien à bord.

— Dans ce cas, commissaire, je retire mon objection, dit le commandant.

* * *

La flotte Tyrannienne était resté immobilisée à deux années-lumière de Lingane pendant près d’une semaine, et la situation devenait tendue.

Le commandant Andros préconisait un débarquement immédiat sur Lingane.

— L’Autarque fait tout ce qu’il peut pour nous faire croire qu’il est un ami du Khan, mais je me méfie de ces hommes qui voyagent de par toute la Galaxie. Il est curieux, d’ailleurs, que le jeune Widemos aille à sa rencontre juste au moment où il est revenu sur Lingane.

— L’Autarque n’a caché ni ses voyages ni son retour, commandant. Et rien ne nous prouve que c’est lui que Widemos tient à voir. Il reste en orbite autour de Lingane. Pourquoi ne se pose-t-il pas ?

— Pourquoi se maintient-il en orbite ? Examinons ce qu’il fait, et non ce qu’il ne fait pas.