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— Je pense que j’ai une explication.

— Je serais heureux de l’entendre.

Aratap passa l’index dans son col, essayant en vain de l’élargir.

— Puisque ce jeune homme attend, nous devons supposer qu’il attend quelqu’un ou quelque chose. S’étant rendu à Lingane par le chemin le plus direct – en un seul Saut, en fait— on ne peut imaginer qu’il attende par simple indécision. A mon avis, il attend qu’un ou plusieurs amis viennent le rejoindre. Une fois ces renforts arrivés, il repartira pour une autre destination. Le fait qu’il ne se pose pas sur Lingane semble indiquer qu’il considère cela comme dangereux. Ce qui prouverait que Lingane en général, et tout particulièrement l’Autarque, ne font pas partie de la conspiration, bien que ce soit peut-être le cas de quelques Linganiens isolés.

— Les déductions les plus évidentes ne sont pas nécessairement conformes à la réalité.

— Cher commandant, mes déductions ne sont pas seulement évidentes, elles sont logiques. Elles cadrent parfaitement avec ce que nous savons par ailleurs.

— C’est possible. Néanmoins, si aucun événement nouveau n’intervient dans les vingt-quatre heures à venir, je n’aurai d’autre choix que de donner l’ordre d’avancer sur Lingane.

* * *

Une fois le commandant parti, Aratap fit une grimace. Dire qu’il fallait combattre non seulement les vaincus mécontents, mais aussi les vainqueurs à courte vue ! Vingt-quatre heures. S’il ne se passait rien de nouveau, il allait falloir trouver un autre moyen pour ramener Andros à la raison.

La porte s’ouvrit et Aratap leva la tête avec irritation. Andros revenait déjà ? Non, c’était la grande silhouette légèrement courbée de Hinrik, suivi du garde qui l’accompagnait partout. Théoriquement, on lui avait promis une liberté de mouvement totale. Sans doute le croyait-il, d’ailleurs. Il ne semblait même pas s’apercevoir de la présence de son ange gardien.

Hinrik eut un sourire indécis.

— Je vous dérange, commissaire ?

— Mais pas le moins du monde. Prenez donc un siège, directeur.

Aratap lui-même resta debout, mais Hinrik ne parut pas le remarquer.

— J’ai à vous parler, commissaire, c’est très important.

Il s’interrompit et son regard devint flou et lointain. Sur un ton entièrement différent, il ajouta :

— Quel grand et beau vaisseau vous avez !

— Merci, directeur, dit Aratap avec un sourire pincé.

Les neuf croiseurs qui les accompagnaient étaient compacts comme tous les bâtiments Tyranniens, mais le vaisseau-amiral sur lequel ils se trouvaient était un gigantesque modèle inspiré de la défunte flotte Rhodienne. Signe de décadence et de ramollissement des mœurs sans doute, de telles unités de prestige étaient de plus en plus fréquentes dans la flotte spatiale Tyrannienne.

Aratap s’en accommodait fort bien ; alors que certains soldats de carrière y voyaient une simple dégénérescence, il considérait cela comme un accès à un stade de civilisation supérieur. En fin de compte – dans des siècles, peut-être – il était fort possible, à son avis, que les Tyranni disparaissent en tant que race séparée, et s’amalgament avec les Royaumes Nébulaires ; et il n’était pas dit que ce serait une mauvaise chose. Bien entendu, il ne lui arrivait jamais d’exprimer ces opinions à voix haute.

— J’étais venu vous dire quelque chose, reprit Hinrik. (Il passa un bon moment à rassembler ses pensées avant de continuer :) Aujourd’hui, j’ai envoyé un message à mon peuple. Je lui ai dit que je me portais bien, que d’ici peu le criminel serait arrêté, et ma fille sauvée.

— Excellent, dit Aratap.

Il connaissait ce message d’autant mieux qu’il l’avait rédigé lui-même. Sans doute, Hinrik avait-il fini par se convaincre qu’il en était l’auteur et peut-être même que c’était lui qui dirigeait l’expédition. Le pauvre homme se désintégrait à vue d’œil. Aratap ressentit de la pitié pour lui.

— Je pense, reprit Hinrik, que mon, peuple a été fort troublé par ce raid audacieux effectué par des bandits si bien organisés. Ils seront fiers de leur directeur, en le voyant passer si rapidement à la contre-attaque, ne croyez-vous pas, commissaire ? Cela lui prouvera qu’il y a encore de la vigueur chez les Hinriades.

Sa voix s’était emplie d’une timide gloriole.

— Certainement, dit Aratap.

— Sommes-nous enfin arrivés à portée de l’ennemi ?

— Non, directeur. L’ennemi se trouve toujours aux abords de Lingane.

— Toujours ? Ah oui, je me souviens de ce que je voulais vous dire ! (Son débit devint saccadé.) C’est très important, commissaire. Il faut que je vous le dise ! On nous trahit ! Je le sais ! Nous devons agir sans tarder. On nous trahit… Il y a des traîtres à bord !

Aratap commençait à s’impatienter. Il fallait ménager ce pauvre crétin, bien sûr, mais cela commençait à devenir lassant. Si cela continuait ainsi, il finirait par devenir tellement déséquilibré qu’il ne serait plus d’aucune utilité pour les Tyranni. Ce serait dommage.

— Mais non, directeur. Il n’y a aucune trahison. Nos hommes sont loyaux et dévoués. Quelqu’un vous aura induit en erreur ? Vous êtes fatigué par le voyage.

— Non, non… (Hinrik repoussa la main qu’Aratap avait posée sur son épaule.) Où sommes-nous ?

— Eh bien, nous sommes ici ! Ici, voyons !

— Non, où est le vaisseau ? J’ai regardé les écrans. Il n’y a aucune étoile à proximité. Nous sommes perdus en plein espace. Le saviez-vous ?

— Evidemment.

— Nous ne sommes pas près de Lingane. Le saviez-vous ?

— Lingane est à exactement deux années-lumière.

— Ah ! Ah, vous voyez, commissaire ! Personne ne nous écoute ? C’est sûr ? (Il se pencha vers Aratap, qui retint un mouvement de recul.) Dans ce cas, comment pouvons-nous savoir que l’ennemi se trouve près de Lingane ? C’est trop loin pour une détection efficace. On vous donne des renseignements mensongers – voilà où est la trahison !

Bon, bon, Hinrik était peut-être fou, mais son argument n’était pas sans valeur.

— Le problème est du ressort des techniciens, directeur. J’ignore moi-même comment ils s’y prennent.

— Soit, mais en tant que chef de l’expédition, on aurait dû me mettre au courant ! (Il regarda autour de lui et baissa le ton.) J’ai parfois l’impression que le commandant Andros n’exécute pas toujours mes ordres. Est-ce un officier de toute confiance ? En fait, je lui donne rarement des ordres. Il pourrait sembler curieux de donner des ordres à un officier Tyrannien. Mais il faut que je retrouve ma fille ! Ma fille s’appelle Artémisia ! On me l’a enlevée, et j’ai mis sur pied cette expédition de dix vaisseaux pour aller la reprendre. Il faut que je sache, vous comprenez ? Je veux dire, comment savons-nous que l’ennemi est près de Lingane ? Sans doute ma fille y est-elle aussi. Son nom est Artémisia.

Il fixait le commissaire d’un regard implorant. Puis il se prit le visage dans les mains et marmonna quelque chose, peut-être : « Excusez-moi ».

Aratap serra involontairement les mâchoires. Il avait du mal à ne pas oublier que cet homme était un père touché au vif, et que même l’imbécile directeur de Rhodia pouvait éprouver des sentiments paternels. Il ne devait pas le laisser souffrir ainsi.

— Je vais essayer de vous expliquer, lui dit-il avec douceur. Vous savez ce qu’est un massomètre, cet instrument qui détecte les vaisseaux dans l’espace ?

— Oui, oui.

— Il est sensible à la gravitation. Vous comprenez cela ?

— Oh oui. Tout a une gravité.

Hinrik était penché vers Aratap et se tordait nerveusement les mains.