— Bien. Evidemment, le massomètre ne peut être utilisé qu’à faible distance, disons un million et demi de kilomètres au maximum. Il faut également que le vaisseau que l’on veut détecter ne se trouve pas trop près d’une planète, parce que, alors, on ne détecte que la planète, qui est beaucoup plus grande.
— Et qui a une gravité bien plus forte.
— Exactement ! dit Aratap, et Hinrik en parut tout content.
— Nous, les Tyranniens, avons sur nos vaisseaux un autre appareil, continua Aratap. Il émet dans l’hyperespace, dans toutes les directions, et ce qu’il émet est une forme particulière de distorsion de l’espace, distorsion dont la nature n’est pas électromagnétique. En d’autres termes, il ne s’agit ni de lumière, ni d’ondes radio, ni même d’ondes sub-éthériques. C’est clair ?
Hinrik ne répondit pas. A son air, cela ne devait pas être clair du tout.
— En tout cas, enchaîna Aratap, c’est différent, peu importent les détails. Nous pouvons détecter cette émission, ce qui nous permet de localiser tout vaisseau Tyrannien, même s’il se trouve à l’autre bout de la Galaxie, ou caché derrière une étoile.
Hinrik hocha solennellement la tête.
— Pour en venir au point important, dit Aratap, si le jeune Widemos s’était enfui sur un vaisseau ordinaire, il aurait été très difficile de le repérer. Mais comme il a pris un croiseur Tyrannien, nous savons à tout instant où il se trouve, bien qu’il ne s’en rende pas compte. C’est ainsi que nous savons qu’il est près de Lingane. Et de plus, il ne peut pas nous échapper. Comme vous voyez, nous retrouverons certainement votre fille.
— Bravo ! s’exclama Hinrik en souriant. Je vous félicite, commissaire. C’est une excellente ruse !
Aratap ne se faisait pas d’illusions ; Hinrik ne comprenait qu’une faible partie de ce qu’il lui avait dit. Mais c’était sans importance. Il avait reçu l’assurance qu’il retrouverait sa fille et, quelque part dans les brumes de son cerveau, il devait se rendre compte que c’était grâce à la science Tyrannienne.
Il parvint à se convaincre qu’il ne s’était pas donné tout ce mal uniquement parce que le pathétique Rhodien lui faisait pitié. Pour des raisons politiques élémentaires, il devait éviter que le directeur ne craque complètement. Peut-être le retour de sa fille améliorerait-il son état ; il fallait l’espérer.
Le signal de la porte retentit. Cette fois, c’était le commandant Andros. En le voyant arriver, Hinrik se raidit et prit une expression d’homme traqué.
— Commandant Andros… commença-t-il.
Mais Andros parlait déjà à Aratap, d’une voix sèche et rapide, sans tenir compte de la présence du directeur.
— Commissaire, le Sans Remords a changé de position.
— Il ne s’est pas posé sur Lingane, j’espère !
— Non. Il a effectué un Saut, et en est à grande distance.
— Bien… Un autre vaisseau est venu le rejoindre, peut-être ?
— Ou plusieurs. Comme vous le savez parfaitement, nous ne pouvons détecter que le sien.
— En tout état de cause, nous le suivons.
— L’ordre a déjà été donné. Je voudrais toutefois vous informer que le Saut l’a amené aux abords immédiats de la Nébuleuse de la Tête de Cheval.
— Comment ?
— Aucun système planétaire connu n’existe dans ces parages. Apparemment, leur destination est la Nébuleuse elle-même.
Aratap humecta ses lèvres et se dirigea précipitamment vers la salle de pilotage, suivi par le commandant.
Hinrik se retrouva seul au milieu du vaste bureau. Pendant près d’une minute, il regarda fixement là porte, puis avec un petit haussement d’épaules, se rassit. Son visage était sans expression et il resta longtemps ainsi sans bouger.
— Nous venons de vérifier les coordonnées du Sans Remords, annonça le navigateur. Il ne fait aucun doute qu’il se trouve à l’intérieur de la Nébuleuse.
— Peu importe, dit Aratap. Suivez-les.
Il se tourna vers le commandant Andros :
— Vous voyez que nous avons bien fait d’attendre. La situation commence à s’éclaircir. Où le Q.G. des conspirateurs pouvait-il se trouver, sinon dans la Nébuleuse même ? Voilà bien pourquoi ils nous avaient échappé jusqu’à présent. Cela devient de plus en plus cohérent. Excellent !
Pour la vingtième fois peut-être, le regard d’Aratap se porta automatiquement sur l’écran. En vain, car celui-ci demeurait obstinément noir, sans une seule étoile en vue.
Andros hocha la tête.
— C’est la troisième fois qu’ils s’arrêtent sans se poser. Je ne comprends pas où ils veulent en venir. Que cherchent-ils ? Et chacun de leurs arrêts dure plusieurs jours. Mais ils ne se posent jamais.
— Il leur faut peut-être ce temps-là pour calculer leur Saut suivant, dit Aratap. La visibilité est nulle.
— Vous croyez vraiment ?
— En fait, non. Leurs Sauts sont trop précis. Chaque fois, ils se retrouvent à proximité d’une étoile. Le massomètre seul ne permet pas une telle précision. Ils doivent connaître à l’avance leur localisation exacte.
— Dans ce cas, pourquoi ne se posent-ils pas ?
— Je suppose, dit Aratap, qu’ils sont à la recherche de planètes habitables. Peut-être ne connaissent-ils pas, ou du moins pas exactement, la localisation du centre de la conspiration. (Il sourit :) Peu importe. Nous n’avons qu’à les suivre.
Le lendemain, alors qu’Aratap était dans sa cabine, le navigateur arriva en courant :
— Commissaire !
Aratap leva les yeux.
— Oui ?
— L’ennemi s’est posé sur une planète !
— Appelez-moi le commandant Andros. Vite !
— Andros, dit Aratap dès que ce dernier arriva, on vous a mis au courant ?
— Oui. J’ai déjà donné mes ordres : descente et poursuite de l’ennemi.
— Un moment. Vous allez peut-être trop vite, comme lorsque vous vouliez vous précipiter sur Lingane. Je pense qu’un seul vaisseau devrait les suivre, celui-ci.
— Vos raisons ?
— Si nous avons besoin de renforts, vous serez à proximité, à la tête de l’escadrille. Si les rebelles sont puissants, ils penseront que nous sommes seuls : je vous avertirai du danger à temps, et vous pourrez battre en retraite sur Tyrann.
— Battre en retraite !
— Et revenir avec des forces suffisantes.
Andros réfléchit un moment.
— Soit, commissaire. Le vaisseau est d’ailleurs sans grande valeur. Pas assez maniable.
Tandis qu’ils descendaient en une lente spirale, la planète grandissait sur l’écran.
— La surface semble désertique, commissaire, dit le navigateur.
— Avez-vous déterminé la position précise du Sans Remords ?
— Oui, commissaire.
— Dans ce cas, posez-vous le plus près possible, mais sans vous faire repérer.
Ils pénétraient dans l’atmosphère. Dans la moitié diurne de la planète, le ciel avait des teintes pourpres devenant de plus en plus claires. Aratap regardait intensément le monde inconnu grossir sur l’écran. La longue poursuite touchait à son terme !
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Pour le profane, l’exploration d’un système stellaire et la recherche de planètes habitables peuvent paraître une tâche passionnante, ou du moins intéressante. Pour le pilote spatial, il n’est rien de plus ennuyeux.