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— Je ne vous conseillerais pas de recourir à la violence, jeune homme.

— Ecoutez-moi ! dit Biron d’une voix forte. (Les pans de sa doublure flottaient dans le vent, mais il ne semblait pas s’en soucier.) Selon vous, vous m’aviez envoyé sur Rhodia, au risque de ma vie, uniquement pour impliquer le directeur dans une conspiration contre les Tyranni.

— C’est toujours vrai.

— Cela a toujours été faux. Votre principal objectif était de me faire tuer. Dès le début, vous aviez informé le capitaine du paquebot Rhodien de ma véritable identité. Rien ne vous prouvait que je parviendrais jamais à m’introduire auprès de Hinrik.

— Si j’avais voulu vous tuer, Farrill, j’aurais mis une vraie bombe à radiations dans votre chambre.

— Il était moins risqué de faire en sorte que les Tyranni s’en chargent.

— Par la suite, j’aurais de nouveau pu vous tuer, à mon arrivée sur le Sans Remords.

— En effet. Vous étiez armé, et je me trouvais à votre merci. Vous saviez que j’étais à bord, mais vous l’aviez caché à vos hommes. Pourtant, à partir du moment où Rizzett m’avait vu sur l’écran, vous ne pouviez plus me tuer. Et là, vous avez commis une erreur. Vous m’avez affirmé leur avoir dit que j’étais à bord, mais par la suite, Rizzett m’a appris que c’était faux. Vous ne mettez donc pas vos compagnons au courant de vos mensonges ?

Le visage de Jonti, pâle à cause du froid, sembla blanchir encore davantage.

— Je devrais sans doute vous tuer, maintenant que vous avez prouvé ma duplicité. Mais qu’est-ce qui m’a retenu de le faire quand vous étiez à ma merci, avant que Rizzett ne vous voie sur l’écran ?

— Simple politique, Jonti. Artémisia oth Hinriade était à bord et elle était momentanément plus importante que moi. Oh ! vous avez été prompt à changer vos plans, je vous l’accorde. Me tuer en sa présence aurait ruiné un jeu plus prestigieux.

— Je serais si rapidement tombé amoureux d’elle ?

— Amoureux ? Vous ? Puisqu’il s’agit d’une Hinriade, pourquoi pas, d’ailleurs ? Vous n’avez pas perdu un instant. Après avoir en vain exigé qu’elle vienne sur votre vaisseau, vous nous avez dit qu’Hinrik avait dénoncé mon père… Je l’ai donc perdue et vous restiez maître du terrain. Maintenant, je suppose qu’elle n’entre plus en ligne de compte ; elle vous est définitivement gagnée et vous pouvez me tuer en toute quiétude, sans compromettre vos chances d’accéder au trône des Hinriades.

Jonti poussa un long soupir.

— Il fait de plus en plus froid, Farrill, et le soleil ne va pas tarder à se coucher. Vous êtes d’une stupidité sans égale, et vos discours me fatiguent. Pour mettre un point final à ce délire paranoïaque, me direz-vous pourquoi j’aurais le moindre intérêt à vous tuer ?

— Pour la même raison qui vous a fait tuer mon père.

— Comment ?

— Pensez-vous que j’aie cru un seul instant qu’Hinrik était le responsable ? C’eût été possible, en théorie, mais sa réputation de faiblesse est trop bien établie. Prenez-vous mon père pour un imbécile ? Pensez-vous qu’il se serait confié à Hinrik, sachant ce qu’il était ? Et même s’il ne l’avait pas su, cinq minutes en sa présence ne suffisent-elles pas pour voir de quelle triste marionnette il s’agit ? Non, Jonti ! Mon père n’a pu être trahi que par un homme en qui il avait confiance !

Jonti recula d’un pas, repolissant la malle du pied, et s’apprêta à soutenir une attaque.

— Je vois ce que vous impliquez. La seule explication que je puisse trouver est que vous êtes un fou dangereux.

Biron tremblait, et ce n’était pas de froid.

— Mon père jouissait d’une grande popularité auprès de vos hommes. Trop grande à votre goût. Un Autarque ne souffre pas la concurrence. Vous l’avez donc supprimé. Ensuite, vous deviez veiller à ce que je ne puisse ni le remplacer ni le venger. (Sa voix s’éleva, claquant dans l’air comme un coup de fouet.) N’est-ce pas la vérité ?

— Non.

Jonti se baissa vers la valise.

— Je peux vous prouver que vous vous trompez ! (Il l’ouvrit d’un geste.) Regardez ! Elle contient de l’équipement radio, rien de plus !

Il empoigna la malle et en vida le contenu aux pieds de Biron.

Biron regarda les appareils.

— Qu’est-ce que cela prouve ?

Jonti se releva.

— Cela ne prouve rien, en effet. Et maintenant, regardez bien !

Dans sa main crispée, il tenait un pistolet atomique.

— J’en ai assez de vous ! dit-il d’une voix qui ne se maîtrisait plus. Mais je n’aurai plus à vous supporter longtemps !

Biron était resté figé sur place.

— Vous aviez caché un pistolet dans la malle ? dit-il d’une voix blanche.

— Pensiez-vous réellement que j’allais vous précipiter du haut de la falaise, les mains nues, comme un débardeur ou un travailleur des mines ? Je suis Autarque de Lingane. (Son visage se crispa et il abattit la main d’un geste sec, comme un couperet.) Je suis las de l’idéalisme hypocrite et béat des Ranchers de Widemos. (Entre ses dents, il ajouta :) Allez, avancez ! Vers la falaise.

Il fit un pas en avant.

Biron, les mains levées, recula, sans quitter l’arme des yeux.

— C’est donc bien vous qui avez tué mon père, dit-il.

— Oui, c’est moi ! Je le reconnais afin que, pendant vos derniers instants, vous sachiez que l’homme qui a veillé à ce que votre père soit réduit en miettes dans la chambre de désintégration est le même qui va vous tuer maintenant – et qu’il gardera à jamais la petite Hinriade pour lui seul, elle et tout ce qui va avec. Pensez-y, pensez-y bien ! Je vous donne une minute de plus pour que vous ayez le temps d’y penser. Mais gardez vos bras sagement levés, sinon je tire, et peu m’importent les questions que mes hommes pourront me poser !

Le vernis glacial avait craqué, et l’on sentait transparaître sa passion haineuse.

— Et vous aviez déjà tenté de me tuer, n’est-ce pas ?

— Oui. Toutes vos suppositions sont correctes, mais cela ne vous sera d’aucun secours. Reculez !

— Non, dit Biron. (Il s’immobilisa et abaissa les bras.) Si vous voulez me tuer, tirez !

— Pensez-vous que je n’oserai pas ?

— Je vous ai demandé de tirer.

— C’est ce que je vais faire.

Prenant son temps, l’Autarque visa à la tête et, à une distance de un mètre, appuya sur la gâchette.

19

Tedor Rizzett avançait prudemment, d’un rocher à l’autre. Il ne tenait pas à se faire voir – pas encore. Enfin, entre deux grands blocs cristallins, il les aperçut. Il s’essuya le visage avec ses gants de doux tissu spongieux. Mais par ce froid sec et ensoleillé, la sueur s’était déjà évaporée.

Il s’accroupit et posa son fusil atomique sur ses genoux. Il sentit la faible chaleur du soleil dans son dos. C’était un bon point, car ils l’auraient dans les yeux si jamais ils se tournaient vers lui.

Leurs voix étaient si fortes dans les écouteurs qu’il dut baisser le volume. La radio émettait – il sourit à cette pensée. Jusqu’à présent, tout marchait comme prévu. Sauf sa présence qui n’était, bien entendu, nullement prévue. Mais cela valait mieux ; son plan était assez hardi, après tout, et la victime n’était pas complètement imbécile. Peut-être serait-ce son arme qui servirait d’arbitre…

Il attendit. Impassible, il regarda l’Autarque lever son pistolet sur Biron.

Artémisia ne vit rien de tout cela. Cinq minutes auparavant, elle avait aperçu un instant la silhouette de Rizzett se profiler contre le ciel, et avait tenté de le suivre.