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Il allait trop vite pour elle. Souvent, ses yeux se troublaient, et par deux fois, elle s’était retrouvée allongée sur le sol, sans se souvenir qu’elle était tombée. La seconde fois, d’ailleurs, elle s’était profondément entaillé le poignet.

Chaque fois, elle devait rattraper le temps perdu en hâtant le pas. Lorsqu’elle le vit disparaître derrière les rochers, elle se mit à sangloter de désespoir et s’adossa, complètement épuisée, contre un pan de roc volcanique, incapable d’en apprécier la fraîche couleur rosée, et sa surface lisse et polie comme le verre, qui témoignait de bouleversements volcaniques remontant à l’aube de la petite planète. Toutes ses forces passaient à lutter contre la sensation d’étouffement qui l’envahissait.

Soudain, elle l’aperçut, minuscule silhouette accroupie entre deux hauts rochers, lui tournant le dos. Serrant les dents, elle courut vers lui, le fouet neuronique au poing. Déjà, il avait levé son fusil et visait, calmement, sans se dépêcher.

Jamais elle n’arriverait à temps !

Il fallait distraire son attention.

— Rizzett ! cria-t-elle, Rizzett ! Ne tirez pas !

De nouveau, elle tomba. Le noir se fit devant ses yeux, mais elle ne perdit pas entièrement conscience. Elle sentit son dos heurter violemment le roc déchiqueté et eut encore la force de lever son fouet et d’appuyer sur la gâchette, tout en sachant parfaitement qu’il était trop loin, même si elle avait été capable de viser.

Plus tard, elle sentit des bras la soulever. Elle voulut ouvrir les paupières, mais elles ne lui obéirent pas.

— Biron ? murmura-t-elle.

Des mots incompréhensibles lui répondirent ; elle reconnut la voix de Rizzett. Elle voulut parler de nouveau, puis abandonna. Elle avait échoué !

Les ténèbres l’engloutirent.

* * *

L’Autarque conserva une immobilité totale, le temps qu’il fallait pour compter lentement jusqu’à dix. Face à lui, Biron, tout aussi immobile, fixait le canon du pistolet, qui lentement, s’abaissa.

— Vous devriez examiner votre arme, dit Biron. Elle ne semble pas être en état de marche.

Le visage exsangue de l’Autarque se tournait alternativement vers Biron et vers le pistolet. Il avait tiré à une distance de un mètre. Tout devrait être terminé maintenant ! Soudain, il sortit de sa torpeur et, d’un geste rapide, ouvrit le pistolet.

La petite cavité destinée à contenir la capsule atomique était vide. Avec un cri de rage, il jeta au loin l’arme devenue inutile.

— Nous lutterons corps à corps ! s’écria Biron d’une voix tremblante d’impatience.

L’Autarque recula d’un pas. Biron avança lentement sur lui.

— Je pourrais vous tuer de bien des façons, mais toutes ne seraient pas également satisfaisantes. Avec un atomiseur, un millionième de seconde séparerait la vie de la mort. Vous n’auriez même pas conscience de mourir ; ce serait dommage. J’en tirerais certainement une satisfaction bien plus grande en faisant appel à la seule force musculaire.

Il tendit les muscles de ses cuisses, prêt à bondir lorsqu’il fut interrompu par un cri aigu et frêle, empli de panique :

— Rizzett ! Rizzett ! Ne tirez pas !

Biron se retourna. Il eut le temps d’apercevoir un mouvement entre les rochers, et un éclat de soleil sur du métal, puis un corps humain atterrit de tout son poids sur son dos, le forçant à plier les genoux.

L’Autarque avait bien calculé son bond ! Ses genoux enserraient la taille de Biron, tandis que de ses poings il lui martelait la nuque.

Le souffle coupé, Biron lutta contre l’étourdissement qui le gagnait, puis parvint à se rejeter de côté. L’Autarque se dégagea et se releva, tandis que Biron se retrouva étendu sur le dos. Il eut juste le temps de replier les genoux avant que l’Autarque ne se précipitât de nouveau sur lui, et le rejetât d’une détente violente.

Cette fois, les deux hommes se relevèrent en même temps. Ils décrivirent lentement un cercle, face à face le visage baigné de sueurs glaciales.

Biron ôta son cylindre d’anhydride carbonique et le rejeta. L’Autarque défit également le sien, le fit tournoyer un instant au bout de la courroie d’attache, puis le lâcha. Biron se baissa juste à temps et l’entendit passer en sifflant au-dessus de sa tête.

Il se redressa instantanément et bondit sur son adversaire avant qu’il ne pût reprendre son équilibre. Ses deux poings frappèrent simultanément le visage de l’Autarque, qui tomba à genoux. Biron recula d’un pas.

— Relevez-vous. Vous allez en prendre d’autres de la même veine. Je ne suis pas pressé.

L’Autarque porta sa main gantée à son visage puis la regarda ; il eut un frisson d’horreur en voyant le sang dont elle était couverte. Sa bouche se tordit et, d’un geste rapide, il s’empara du cylindre de métal que Biron avait laissé tomber. Biron lui écrasa la main avec son pied et l’Autarque poussa un hurlement de douleur.

— Vous êtes trop près du précipice, Jonti, lui dit-il. Il ne faut pas aller par là. Levez-vous, que je vous pousse de l’autre côté.

A ce moment, la voix de Rizzett retentit :

— Attendez !

— Tirez sur lui, Rizzett ! hurla l’Autarque. Tirez ! D’abord les bras, puis les jambes, et nous l’abandonnerons ici dans cet état !

Lentement, Rizzett épaula.

— Qui avait déchargé votre pistolet, Jonti ? demanda calmement Biron.

— Comment ? dit l’Autarque sans comprendre.

— Je n’aurais jamais pu approcher de vos armes, Jonti. Mais qui aurait pu le faire ? Et qui pointe en ce moment même son fusil sur vous ? Pas sur moi, Jonti, mais sur vous !

L’Autarque se tourna vers Rizzett et hurla :

— Traître !

— Non, sire, pas moi, dit Rizzett imperturbablement. Le traître, c’est celui qui a trahi le loyal Rancher de Widemos et a été la cause de sa mort.

— Ce n’est pas moi ! s’écria l’Autarque. S’il vous a dit que c’était moi, il a menti !

— C’est vous-même qui nous l’avez dit. Je ne me suis pas contenté de décharger votre arme, j’ai également court-circuité le contact de votre communication radio ; tout ce que vous avez dit a été reçu, non seulement par moi, mais par tous les membres de l’équipage. Nous savons tous quel homme vous êtes.

— Je suis votre Autarque.

— Et aussi le plus grand traître qui ait jamais vécu.

Un moment, l’Autarque resta silencieux. Son regard allait et venait entre ces deux hommes aux visages farouches. Puis, il se redressa de toute sa hauteur, en faisant appel aux dernières ressources de sa volonté. D’une voix redevenue hautaine, il dit :

— Et même si tout cela était vrai, quelle importance ? Vous n’avez d’autre choix que d’en rester là. Nous devons encore explorer une dernière planète intranébulaire. Elle ne peut qu’être le monde rebelle, et je suis seul à en connaître les coordonnées.

Il parvenait à conserver sa dignité, malgré une main qui pendait, inerte, à un poignet cassé, une lèvre supérieure qui avait gonflé au point de le défigurer complètement, et un visage encroûté de sang. Pourtant, il émanait de lui la grandeur de ceux qui sont faits pour régner.

— Vous nous les direz, dit Biron.

— Ne vous leurrez pas. Rien ne me fera parler. Et si vous essayez de la trouver au hasard, vous avez moins d’une chance sur mille milliards de trouver une étoile quelle qu’elle soit.

Quelque chose fit clic dans l’esprit de Biron.

— Ramenez-le sur le Sans Remords ! ordonna-t-il à Rizzett.

— Il y a aussi Dame Artémisia…, fit observer ce dernier.